Après d’autres secteurs maritimes, comme le vrac sec et le conteneur, le transport de GPL (gaz de pétrole liquéfié) fait à son tour l’objet d’une forte spéculation. Une grosse soixantaine de VLGC (Very Large Gas Carrier) et une trentaine de navires de 35.000 tonnes doivent en effet être livrés par les chantiers dans les toutes prochaines années, soit une capacité cumulée équivalente à un tiers, voire 40 % parfois, de la flotte en service. Une frénésie de commandes qui n’est, aux dires de professionnels du secteur, absolument pas justifiée par le marché. « La flotte en service est assez jeune, puisqu’elle a fait l’objet d’un important renouvellement à la fin des années 2000, les mises en service étaient alors compensées par les démolitions. Jusqu’ici, les commandes ont été finement calculées afin de ne pas détruire les équilibres de ce marché. Or, on constate actuellement de nombreuses commandes provenant de gens qui n’ont aucune expérience du GPL et ont pris des positions sur des actifs de façon très spéculative, ce qui est particulièrement déraisonnable et menace les équilibres traditionnels », estime Marc Etcheberry, directeur général de Geogas Maritime, le spécialiste français du secteur.
Une surcapacité liée au gaz de schiste
Ces nouveaux investisseurs sont, pour l’essentiel, américains. Ce qui les motive ? Tout simplement des perspectives liée à l’exploitation aux Etats-Unis du gaz de schiste, qui permet notamment de produire du Gaz naturel liquéfié (GNL), mais aussi du GPL. Alors que les productions futures sont présentées outre-Atlantique comme mirifiques, les spéculateurs se sont donc rués sur ce marché de niche, entrainant dans leur sillage de nombreux investisseurs. Une tendance qui fait frémir les acteurs historiques, très prudents face à l’enthousiasme général autour du gaz de schiste. « Il faudra d’abord d’assurer qu’il n’y a pas de problème écologique majeur, alors que des incidents industriels lors des extractions sont toujours possibles, ce qui pourrait entrainer une interruption de la production, et s’assurer ensuite que les chiffres des réserves énoncées sont réalistes ». Avec le risque, donc, d’une flotte trop importante engendrant un effondrement des prix du transport. Même sans cela, on s’acheminerait droit vers une surcapacité, avec la possibilité de voir les plus gros navires prendre les cargaisons traditionnellement dévolues aux unités plus petites et, ainsi, mettre en péril l’édifice du transport de GPL.
Un marché mondial de 250 millions de tonnes
Depuis les années 50, trois « générations » de GPL se sont succédées. Ce produit était d’abord issu du raffinage, le gaz étant recyclé pour la consommation domestique au lieu d’être brûlé dans les torchères. Puis, dans les années 80, le GPL s’est développé comme produit fatal lié à l’exploitation du pétrole brut. Enfin, ces dernières années, le marché a évolué dans la foulée des grandes découvertes de gaz naturel. Alors que le refroidissement du méthane sert à former le GNL, les éléments lourds du gaz, le butane et le propane, donnent le GPL.
La consommation mondiale de GPL atteint aujourd’hui atour de 250 millions de tonnes par an, dont 70 millions de tonnes transportées par la mer. Le reste est acheminé par voie terrestre, essentiellement via des pipelines et des trains. Quant aux perspectives de croissance, certains avancent une augmentation de 20 millions de tonnes dans les trois à quatre prochaines années. Un bond lié au gaz de schiste qui laisse songeur chez Geogas Maritime : « On nous annonce des chiffres colossaux mais nous sommes plutôt dubitatifs. Nous avons tendance à réduire ces prévisions de moitié ».
Une niche de spécialistes
Quoiqu’il en soit, l’armement français s’attend à une tendance baissière du marché dans les prochaines années, en raison d’une surcapacité de plus en plus évidente. Une situation qui lui bénéficiera d’ailleurs partiellement, puisque le groupe Geogas affrète 60% de ses capacités et pourra donc louer des navires à un coût plus intéressant. « Etant affréteurs de tonnages sur le marché, nous pourrons éventuellement bénéficier d’un impact à la baisse des affrètements et, alors, le répercuter en partie à nos clients », reconnait Marc Etcheberry, qui relativise néanmoins cette possible aubaine : « Encore faut il que ces capacités viennent de véritables armateurs, avec des navires armés par des équipages professionnels. Car on ne réalise pas comme ça un transbordement entre un 35.000 tonnes et un 7000 tonnes sous pression ».
L’entreprise, qui travaille uniquement sur le marché du GPL, devrait en outre se trouver relativement protégée dans la mesure où son activité est très « industrielle », sa flotte en propriété répondant à des besoins de transport spécifiques. Geogas Maritime, comme les autres acteurs historiques du GPL, mise enfin, pour affronter la période difficile qui s’annonce, sur son expertise et son savoir-faire. « C’est un marché de niche, avec des acteurs spécialisés très peu nombreux. Geogas travaille uniquement sur le butane et le propane, avec une présence sur les cinq continents et une logistique fondée sur l’emploi de gros bateaux puis un éclatement des cargaisons sur de petits navires ». En plus de fournir de grands industriels en GPL, l’armement achemine également le gaz consommé par les populations. « Nos livraisons vont de plusieurs centaines de milliers de tonnes pour de gros industriels, jusqu’à 60 tonnes par an à Wallis et Futuna. C’est un service sur mesure ».
« Il n’y a pas de place pour les amateurs ou les cowboys »
Une véritable activité d’ « épicerie fine » dans des zones parfois reculées ou peu peuplées, avec des enjeux sociaux potentiellement très importants. Afrique, Caraïbes, Méditerranée, Océanie… dans de nombreux pays et îles, ces livraisons sont fondamentales car le GPL, distribué aux particuliers en bombonnes et utilisé notamment pour la cuisson des aliments, fait partie des produits de première nécessité. Il faut donc être en mesure de livrer les clients dans des endroits divers, plus ou moins isolés, dans des quantités très variables et avec des teneurs en gaz différentes d’un pays à l’autre. « C’est toute une logistique. Il ne suffit pas d’avoir des navires. Il faut aussi savoir remplir avec le bon ratio de butane et de propane pour tel ou tel pays. Cela nécessite une expertise que n’a pas un fonds de pensions américain », affirme Marc Etcheberry. Selon le patron de Geogas Maritime, cela explique pourquoi les clients, s’ils peuvent évidemment être sensibles à l’évolution des prix, le sont tout autant, si ce n’est plus, vis-à-vis de la qualité de service. « Ce que nous transportons, c’est pour beaucoup un produit de première nécessité. Dans certains pays, l’équilibre social dépend de la bonne fourniture de bouteilles de GPL dans la rue. Il y a donc une exigence très forte qui nécessite une confiance dans des professionnels capables de répondre à ces besoins. Cela nécessite un outil de très bonne qualité et des équipages compétents, que ce soit chez nous ou au sein de nos partenaires, qui répondent à ce niveau d’exigence. Il n’y a pas de place pour les amateurs ou les cowboys».