MER ET MARINE : 2013 a encore été une année très difficile sur le plan économique, quel en est le bilan pour les armements français ?
ERIC BANEL : Pour la cinquième année consécutive, notre activité a été impactée par une crise économique profonde et durable. Avec toujours les mêmes ombres qui planent sur notre secteur : la surcapacité, des prix très bas et la concurrence exacerbée au niveau mondial. Il existe cependant quelques raisons d’être optimistes, la fin de l’année 2013 ayant montré des signes de reprise dans plusieurs secteurs, comme le vrac sec et le transport de Gaz Naturel Liquéfié (GNL). La reprise du marché américain ouvre également de belles perspectives, de même que le développement de nouvelles lignes de conteneurs sur l’Afrique.
En revanche, d’autres secteurs, comme le transport de pétrole, sont toujours dans l’impasse. L’année 2013 a été catastrophique dans ce secteur. Il n’y a aucun signe d’évolution positive, notamment sur le transport de pétrole brut où il y a une surcapacité massive. Le marché européen est complètement saturé. C’est la raison pour laquelle nous nous battons depuis plusieurs années pour une extension de la loi de 1992, qui réserve une partie du trafic pétrolier au pavillon français. L’enjeu est considérable pour notre indépendance stratégique, pour la filière et pour l’emploi : l’extension de la loi aux produits raffinés génèrerait l’immatriculation de près d’une vingtaine de navires supplémentaires sous pavillon français avec, à la clé, jusqu’à 300 emplois français de navigants et de sédentaires !
Et où en est-on de ce projet de réforme, qui a été solennellement annoncé par le Premier ministre à l’occasion du comité interministériel de la mer en décembre dernier ?
Il s’enlise. Depuis janvier et les dernières réunions organisées avec les services de l’Etat et les partenaires sociaux, nous n’avons aucune nouvelle, même pas le début d’un calendrier. Cette réforme a plus que jamais sa pertinence dans un contexte international très exposé. Nous avons perdu Maersk Tankers France il y a quelques semaines, d’autres armements français sont très menacés. Pour cette réforme, comme pour d’autres sur lesquelles nous avons travaillé, nous avons fait très attention à proposer à l’Etat des mesures qui ne lui coûtaient absolument rien. Nous sommes conscients de la situation budgétaire nationale et voulons garder notre démarche citoyenne et responsable. Mais il est temps également que l’Etat assume sa responsabilité d’arbitre et de développeur des activités économiques.
Comme dans le dossier de la loi sur la protection privée à bord des navires, également annoncée en décembre dernier ?
Absolument. Il s’agit également d’un dossier urgent, qui, là encore, peut être mis en œuvre sans aucune conséquence budgétaire. Pourtant les délais annoncés ne cessent de s’allonger. On nous parle désormais d’un vote du projet de loi par l’Assemblée nationale en juin. Ce qui veut dire, qu’avec la navette devant le Sénat, nous pouvons difficilement espérer un texte avant l’été,. Pendant ce temps, nos armements perdent des clients et des marchés parce qu’ils n’ont toujours pas la possibilité de protéger en continu leurs navires et leurs équipages. Le temps de l’administration n’est décidément pas celui des acteurs économiques, qui évoluent dans un contexte changeant et totalement globalisé.
Et ce alors que le pavillon français est en perte de compétitivité, notamment par rapport à ses voisins européens. Le rapport du député Arnaud Leroy, paru à l’automne dernier, résume bien cette évolution : à titre d’exemple, le pavillon français est aujourd’hui 20% plus cher que le pavillon danois ou britannique. La flotte française est menacée, du fait essentiellement du contexte réglementaire, fiscal et social propre à notre pays. Pour relever ce défi, nous avons proposé des solutions réalistes, dont celles que nous venons d’évoquer. Désormais, nous n’avons plus besoin de discours, de rapports, ni de missions. Nous avons besoin de décisions, qu’elles soient positives ou négatives. Un entrepreneur a besoin de visibilité et la seule chose que nous demandons désormais à l’Etat est un positionnement clair sur ces dossiers.
Les énergies marines renouvelables devraient commencer à prendre place dans l’économie maritime française, notamment à travers les appels d’offres sur l’éolien offshore. Pourtant vous craignez que les armements français n’en bénéficient pas. Pour quelles raisons ?
Les énergies marines renouvelables sont un véritable terrain d’avenir et de conquêtes pour la filière maritime française. Notre pays dispose du savoir-faire et des compétences nécessaires à la pose, à l’entretien et à la maintenance des futurs champs éoliens offshore, qui doivent sortir de l’eau en 2017. Nos chantiers navals, nos équipementiers et, bien sûr, nos armateurs sont prêts. Il était prévu, dans le cahier des charges des appels d’offres, que des accords industriels soient passés entre les consortiums et les opérateurs maritimes. Or, il n’y a toujours rien. Faut-il rappeler le délai de construction d’un navire de pose d’éolienne de type jack-up ? Minimum deux ans. Si aucune décision n’est prise, nous risquons de voir ce marché pris par la concurrence danoise ou néerlandaise, déjà équipée. Nous ne pouvons pas manquer le coche de cette nouvelle filière !
Au 1er janvier 2015, la directive « soufre » qui impose un rejet de 0.1% de soufre dans les échappements des navires en zone Manche, mer du Nord, va entrer en vigueur. Où en est-on de cette transition énergétique qu’ont dû opérer les armateurs, notamment ferries ?
Les armateurs sont allés au bout de leur engagement, soit en décidant d’équiper leurs navires de dispositifs de nettoyage de fumée, soit en commandant des unités propulsées au GNL (Gaz naturel liquéfié), qui sera le carburant de demain. Des investissements très lourds dans le contexte actuel de crise, notamment sur le trafic transmanche. Mais des investissements qui sont effectués dans une démarche active de responsabilité environnementale. Sur ce point, le gouvernement s’apprête à annoncer le lancement d’un régime d’aides spécifique destiné à faciliter la transition énergétique du transport et des services maritimes. A 8 mois et demi de l’échéance, c’est évidemment une bonne nouvelle, mais qui arrive presque trop tard ! Que de temps perdu…
Propos recueillis par Caroline BRITZ