« C’est le dernier exercice dans l’ambiance pré-Brexit et nous sommes contents de continuer à progresser et ce malgré plusieurs facteurs, notamment le taux de change entre la livre, où nous réalisons la majorité de nos recettes, et l’euro, avec lequel nous payons nos charges, qui ne nous est pas favorable ». Jean-Marc Roué affiche une satisfaction prudente en présentant les résultats 2018 de Brittany Ferries qui voient un bénéfice de 8 millions d’euros (pour un chiffre d’affaires de 444.2 millions), avec une progression du marché passagers (+1.4% à 2.63 millions de personnes transportées) et un recul de 2.9% du fret (205.401 camions). Le marché passagers représente encore cette année la plus grosse part du chiffre d’affaires (63%), suivi du fret (23%) et des ventes (14%).

L’effet Brexit s’est déjà manifesté sur l’exercice 2018, notamment sur le léger retrait du fret. « C’est un phénomène que l’on a vu les six derniers mois sur tout le transmanche, où le fret a reculé de 1 à 2%. L’économie britannique est d’ores et déjà en train de marquer le pas, la livre baisse beaucoup : mécaniquement, les achats, défavorisés par le change, baissent et les capacités d’exportation de produits qui sont moins compétitifs aussi. Et quand tout le trafic transmanche baisse, c’est Brittany Ferries et la ligne de Dieppe qui trinquent en premier parce que nous n’avons pas les capacités logistiques du Pas-de-Calais qui restent le passage emprunté en priorité », analyse Jean-Marc Roué.
« On attend le Brexit, on sait qu’il va y avoir des effets négatifs mais on sait aussi que notre modèle rassure : cet exercice 2018 en témoigne, nous restons bénéficiaires malgré le contexte, tout en employant des marins français ». Un modèle qui a sans doute également convaincu le ministère britannique des Transports d’attribuer à Brittany Ferries 51.7 millions d’euros de subventions pour contribuer au désengorgement de Calais.
L’anticipation pratique du Brexit, dont le scénario est toujours flou à moins de trois semaines de l’échéance, passe, pour l’instant, surtout par des considérations administratives et logistiques. Les ports normands et bretons desservis par les navires de Brittany Ferries vont sans doute devenir des ports frontières, ce qui implique à la fois la mise en place d’inspections douanières et des nouvelles mesures de sécurité et de sûreté, liées notamment à l’immobilisation prolongée des camions. « Nous travaillons avec les services de l’Etat et notamment la Douane. Un outil informatique adapté à ces nouvelles conditions de passage portuaire a été mis en place et un exercice grandeur nature va être organisé à Ouistreham avant la fin du mois. « Nous avons quantifié nos besoins et les nécessités de moyens matériels et humains nécessaires à ces nouvelles conditions portuaires. Des mesures ont été déjà prises par l’administration, mais des demandes sont encore formulées par nous comme par exemple la présence que nous estimons nécessaire et légitime de la Police des airs et des frontières dans tous les ports, même Roscoff. Notre modèle économique est basé sur la rapidité et la fluidité : il faut que les équipements liés au Brexit puissent nous permettre d’offrir une prestation équivalente à celle que nous avons actuellement ».
Avec le potentiel Brexit dur, les flux commerciaux risquent d’être modifiés, notamment avec l’Irlande dont les importateurs pourraient privilégier des liaisons directes évitant le double passage portuaire Douvres et Liverpool. BAI a déjà commencé à anticiper avec l’ouverture d’une nouvelle ligne sur l’Irlande : « la fréquentation en camions est en forte progression, surtout sur la ligne Cork-Roscoff. Cork-Santander met un peu plus de temps à démarrer mais les perspectives sont très favorables sur cette ligne ». De là à rajouter un navire pour venir augmenter la fréquence de la ligne, il y a un pas que Jean-Marc Roué est encore loin de franchir : « remplissons d’abord le Connemara, regardons comment se comporte le marché, nous verrons ensuite ».
Les lignes vers l’Espagne sont une « très belle réussite et même si nous voyons déjà des retards de réservations pour cet été, sans doute en raison de la psychose du Brexit, nous allons continuer à investir sur ces lignes ». Les Galicia et Salamanca, en construction dans les chantiers chinois AVIC et affrétés coque-nue à Stena, seront alignés sur les lignes vers l’Espagne à compter de 2020 pour le Galicia et 2022 pour le Salamanca, qui sera propulsé au GNL. « Nous continuons à investir. Le Honfleur arrivera à la fin de cet automne, tout semble reparti au chantier à Flensburg. Et pour le successeur du Bretagne, qui sera également propulsé au GNL, nous lancerons un appel d’offres après l’été ».
Propos recueillis par Caroline Britz, mars 2019