Quatre ans après son lancement, l’autoroute maritime reliant le port espagnol de Gijón à Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire, a effectué hier sa dernière rotation. Arrivé dans l’estuaire de la Loire dans la matinée, le Norman Atlantic a débarqué ses ultimes camions et passagers embarqués la veille dans les Asturies. LDLines, qui l’exploitait en compagnie de l’un de ses sisterships, le Norman Asturias, a mis un terme aux chartes d’affrètement, les navires étant rendus à leurs propriétaires, le chantier italien Visentini et l’armateur suédois Stena. Comme nous l’expliquions le 18 août (voir notre article détaillé sur le sujet), LDLines est contraint de suspendre cette ligne en raison de la fin des subventions dont elle bénéficie depuis 2010. Sans ces aides, l’armateur assure que le service n’est plus viable économiquement, son déficit annuel étant annoncé à 6 millions d’euros.
Des initiatives vouées à l’échec sans politique globale
Alors que de nombreux élus locaux appellent à trouver une solution pour permettre la réouverture de la ligne via un prolongement du soutien public, ce nouvel échec des autoroutes maritimes illustre, une fois encore, la nécessité de mettre en œuvre une politique globale si l'on souhaite vraiment développer les modes de transport alternatifs. On ne peut en effet, d’un côté, faire l’éloge du report modal et financer à grands frais des initiatives permettant de réduire le trafic routier et, de l’autre, ne pas traiter le fond du problème : la route coûte aujourd’hui moins cher que la mer. Une donnée capitale qui a conduit certains pays à adopter des solutions d’écobonus ou d’écotaxe afin d’inciter les transporteurs routiers à mettre leurs camions ou marchandises sur un train, une barge ou un bateau. Sans ce type de mesures, le constat économique est sans appel et les services maritimes alternatifs n’ont, pour beaucoup, aucune chance d’être pérennisés. Dans ces conditions, puisque l’Europe, les Etats et les collectivités n’ont pas les moyens de subventionner suffisamment et ad vitam aeternam les autoroutes maritimes, on en vient alors à se dire qu’il ne sert à rien de dépenser de l’argent public (plus de 34 millions d’euros en quatre ans pour Montoir-Gijón) dans des projets voués à l’échec dès que les aides s’arrêtent.

Le Norman Asturias (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Des objectifs pourtant atteints
Un triste bilan, surtout que l’idée des autoroutes maritimes répond parfaitement aux enjeux environnementaux et de sécurité routière via le désengorgement de grands axes terrestres. Cela, en satisfaisant au passage, sur le plan opérationnel, la plupart des transporteurs concernés. On rappellera pour Montoir-Gijón qu’il s’agissait en priorité de capter le trafic routier transitant entre la péninsule ibérique et l’Europe du nord, soulageant ainsi les axes routiers remontant du sud-ouest de la France. Les transporteurs faisaient passer leurs camions avec chauffeurs ou des remorques seules récupérées par d’autres tracteurs au bout de la traversée. D’un point de vue commercial, l’autoroute maritime transgascogne fut en tous cas, selon LDLines, un vrai succès commercial. Atteignant son objectif initial de quelques 100.000 pièces de fret, la ligne avait trouvé sa clientèle, en majorité ibérique. Ils sont nombreux, comme le transporteur espagnol Raul Busto, à regretter vivement l’arrêt d’un service dont ils avaient pris l’habitude et qui leur offrait des avantages.
« On ne pourra plus faire face aux demandes de nos clients »
« Cela fait plus de 35 ans que je travaille dans le transport entre l’Espagne et le Nord de l’Europe. J’ai un parc de 80 semi-remorques et 26 tracteurs, 20 à Vigo et 6 à Saint-Nazaire, où nous avons une filiale. J’utilise l’autoroute de la mer Montoir-Gijon depuis sa création, principalement pour le transport de remorques non accompagnées. Les camions partent du sud de l’Europe, Portugal ou Espagne, les tracteurs sont détachés à Gijon, les remorques sont embarquées sur le bateau et mes tracteurs français les reconnectent à leur arrivée à Montoir », explique Raul Busto, dont l’entreprise est basée à Vigo. Pour lui, l’arrêt de la ligne est une très mauvaise nouvelle : « Je ne pourrai pas, avec mes 26 tracteurs, faire face à la demande de mes clients habituels ». Le transporteur espagnol explique qu’il avait, grâce à l’autoroute de la mer, des trafics et des volumes réguliers avec de gros clients. « L’avantage de la ligne maritime n’était pas économique, ce n’est pas réellement moins cher pour moi. C’était plutôt une question de modularité, avec mes 26 tracteurs je pouvais bouger 80 remorques et servir de manière régulière mes clients ». L’entrepreneur ne sait pas encore comment il va pouvoir s’organiser dans les jours à venir. « Dans un premier temps, nous allons tout faire passer par la route en organisant des relais entre nos chauffeurs français et nos chauffeurs espagnols ». La ligne de Montoir-Vigo, qui pourrait également être renforcée pour devenir une autoroute de la mer, « n’est pas encore opérationnelle, et je doute quant à son avenir », estime-t-il. Alors Raul espère toujours un rebond du côté de Gijón : « nous savons que le port de Gijon est très actif sur la question. Il recherche activement une solution et il semblerait que des armateurs candidats soient déjà en contact avec lui pour reprendre la ligne. J’espère vraiment que cela puisse fonctionner ».

Voiture de tourisme sur le pont supérieur durant la période estivale (© : LDLINES)
Un trafic passager confidentiel mais qui marchait très bien
En dehors des routiers, il y avait aussi des passagers sur Montoir-Gijón. La ligne rencontrait en effet un beau succès auprès des particuliers, les touristes appréciant d’éviter de longues heures de route entre le nord-ouest de la France et l’Espagne. En été, les sièges et cabines disponibles sur le bateau étaient littéralement pris d’assaut. Pour autant, LDLines n’avait pas souhaité développer son trafic passagers, d’abord en raison des aides européennes, contraignantes sur ce point, mais aussi à cause du caractère très saisonnier de cette activité. Montoir-Gijón est donc avant tout restée une ligne roulière, ce qui avait aussi son charme pour les passagers, comme nous avons pu le constater lors de l’une des toutes dernières rotations (voir notre reportage sur cette traversée).