En 1955, l’armement allemand Richard Schröder basé à Hambourg commande au chantier local Norderwerft Köser & Meyer un cargo de 3820 tonnes de port en lourd. Lancé le 10 novembre 1955, le Erich Schröder est livré à son armateur le 17 janvier 1956. Long de 101,95 mètres et large de 14,45 pour un tirant d’eau de 6,07 mètres, ce cargo possède des superstructures chapeautées par la timonerie au milieu de sa longueur puis des emménagements au dessus du compartiment Machines. Entre le gaillard d’avant et la maison mâts se trouve la cale 1. Puis entre la maison mâts et les superstructures se trouve la cale 2. La cale 3 se trouve entre le bloc du milieu et la partie arrière qui comprend le compartiment Machines. Ces trois cales sont desservies par une corne de 25 tonnes (cale 3) et dix mâts de charge de 5 tonnes. Propulsé par 2 diesel MaK à 8 cylindres développant 2800 ch (2060 Kw) et entraînant une hélice à pales fixes à travers un réducteur-coupleur, il peut atteindre la vitesse de 14 nœuds. Son équipage est à cette période composé de 31 hommes.

Dessin du Erich Schröder dans sa version initiale de cargo classique où l’on peut voir la maison-mâts, les mâts et les superstructures au milieu du navire. (© COLLECTION SCHRODER)
En février 1972, après avoir bourlingué à travers une grande partie de l’hémisphère Nord, le Erich Schröder est vendu à la compagnie Ocean Combustion Service N.V de Rotterdam qui souhaite lui donner une seconde vie. Dès le 11 février, il entre au chantier K.A van Brink N.V (Rotterdam) pour être totalement transformé. Et le 15 septembre suivant, il reprend la mer complètement métamorphosé en chimiquier avec le nom de Vulcanus sous pavillon de Singapour. Les superstructures de l’avant ont disparu et tout est regroupé sur l’arrière. Les cales ont désormais laissé place à 15 citernes d’une capacité totale de 3200 m3. Mais à la surprise générale de tout le monde maritime, le Vulcanus est affublé à sa poupe de deux imposantes cheminées. Celles-ci se trouvent au dessus d’un incinérateur ! Et oui, le Vulcanus n’est vraiment pas un navire de transport de produits chimiques comme les autres car il est conçu pour brûler des déchets issus du pétrole qu’il embarque dans ses citernes. Aussitôt entré en exploitation dans son nouveau registre, le navire fait escale dans toutes les raffineries ou les complexes pétrochimiques pour récupérer les huiles usées, les résidus de raffinage ou de carburants. C’est une fois arrivé à une position située à environ 200 milles des côtes danoises ou néerlandaises dans la zone de Dogger Bank que son brûleur entre en action. Sa capacité d’incinération quotidienne est de 400 à 500 tonnes, soit un tonnage annuel proche des 100.000 tonnes.

En septembre 1972, l’ancien Erich Schröder ressort d’un chantier de Rotterdam totalement métamorphosé. On y voit les deux énormes cheminées sur l’arrière des superstructures dont celles du milieu ont disparu. (© HANS KRAYENBOSCH)
A cette époque, personne ne se souciait des émissions de dioxyde de carbone, etc… dans l’atmosphère et la prise de conscience d’une future et réelle pollution de la planète était complètement occultée. Ce n’est que quelques années plus tard que des scientifiques ont trouvé des traces de résidus gras de fumée provenant de ces opérations répétées sur le continent. Il faut avouer que ce système d’élimination de déchets parfois très nocifs intéressait les grands groupes pétroliers au plus haut point. Pour quelques milliers de dollars et sans aucun contrôle sérieux, ils se débarrassaient de milliers de tonnes de poisons divers qu’ils ne pouvaient pas enterrer et ce, en toute légalité. En 1974, le Vulcanus prend la direction de l’hémisphère Sud pour sévir dans le Pacifique en brûlant près de 8000 tonnes d’Agent Orange provenant des stocks constitués pendant la guerre du Vietnam.

Quelques années plus tard, les cheminées de l’incinérateur sont remplacées par de nouvelles plus hautes et sans capots d’obturation. (© DDG HANSA)
*** L’Agent Orange est le surnom donné à un défoliant employé par l'armée américaine durant la guerre du Vietnam entre 1961 et octobre 1971. Le produit était déversé par avion en grande quantité au-dessus des forêts vietnamiennes et des plaines cultivées. Ce produit fut responsable de nombreuses maladies chez les militaires l’ayant utilisé mais surtout chez les civils et combattants vietnamiens évoluant dans les zones exposées. L’Agent Orange contient de la dioxine, une famille de molécules persistantes dans l'environnement à caractère cancérigène. La particularité de cette dioxine réside dans le fait qu’elle se montre néfaste pendant des dizaines d’années après avoir été répandue, occasionnant de nombreux cas de cancers ou de malformations à la naissance plusieurs années après la fin de la guerre***
A maintes reprises, le navire est abordé par des activistes de Greenpeace protestant contre ces méthodes douteuses mettant en péril tant les vies humaines que la faune marine. Mais le gain d’argent donne bien malheureusement toujours raison aux pollueurs ! Le 18 août 1980 le groupe Hansa fait faillite, ce qui réjouit de nombreux scientifiques et écologistes prônant l’arrêt des opérations du Vulcanus. Mais la réalité est tout autre puisqu’il continue d’assurer ses missions jusqu’en mai 1983 où le navire arrive au chantier de Jurong à Singapour. Acheté par la compagnie taïwanaise Lien Ho Hsing Steel Enterprise Co basée à Kaohsiung, il subit de nouvelles transformations. Toute la partie avant de l’étrave au gaillard est reconstruite, ce qui ramène sa longueur à 97,08 mètres, des bossoirs pour de nouvelles embarcations de sauvetage sont installés au niveau du pont principal et tous les emménagements sont modernisés. Renommé Vulcanus I, il continue d’assurer des missions d’incinération, mais cette fois-ci en Mer de Chine et uniquement – sans sources officielles confirmées – pour des résidus provenant des soutes de navires de commerce.

A la fin de l’été 1983, le navire sort du chantier Jurong de Singapour avec de grosses modifications. Les cheminées ont été modifiées, toute la partie avant a été modifiée et de nouveaux bossoirs pour les embarcations de sauvetage ont été installés sur le pont principal. (LIEN HO HSING STEEL ENTREPRISE)
En 1990, il change à nouveau de propriétaire après avoir été acheté par l’armement danois M.H Simonsen ApS de Svendborg et revient en Europe pour être une nouvelle fois transformé. Son brûleur et ses deux cheminées sont débarqués, tout comme les deux bossoirs installés sept ans plus tôt. A l’inverse, un canot de sauvetage à chute libre est mis en place sur l’endroit laissé libre par la suppression des cheminées. En dessous, l’espace laissé par le brûleur est utilisé pour accueillir une chaudière. Rebaptisé Oragreen sous le pavillon des Bahamas, le navire fréquentera assidûment les ports du Nord de l’Europe jusqu’au début de 2004 en transportant du bitume. Puis il met le cap sur Dakar et le 03 mai suivant, amarré dans le port sénégalais, il devient le Kotrando pour une société établie à Apapa (Nigéria) du nom de Kotram Nigeria Ltd. L’ancien navire incinérateur poursuit sa carrière comme navire de soutage dans le Golfe de Guinée. Puis en 2012, après 56 ans de carrière il disparaît des listes d’unités en service sans savoir ce qu’il est devenu. A t’il sombré ? Est-il en train de rouiller le long d’un quai ou dans une anse du port nigérian ? Ou bien a t’il été tout bonnement démoli clandestinement dans un chantier ?

Tout juste acheté par la compagnie danoise M.H Simonsen, l’Oragreen fait son retour en Europe avec son brûleur et ses cheminées démontés. Il conserve toutefois les bossoirs sur le pont principal. (© M.H.SIMONSEN)

En 2003, le bitumier Oragreen est en attente dans le port de Rotterdam. On remarque la suppression des bossoirs sur le pont principal et l’installation d’une embarcation à chute libre à l’emplacement des deux grosses cheminées. (© HANS KRAYENBOSCH)
Mais au début des années 80, en pleine période de demande croissante d’incinération de produits illicites très dangereux et divers, la société Waste Management Inc. de Houston commande un navire incinérateur neuf de 4429 tonnes de port en lourd au chantier allemand Suerken Hermann Stahlbau de Papenburg. En 1982, le Vulcanus II est livré en toute discrétion malgré de nombreux manifestants écologistes aux portes du chantier. Il est alors le plus grand navire incinérateur au monde puisqu’il a la possibilité de brûler les 4400 tonnes de déchets de plus haute toxicité qu’il a embarqué dans ses huit cuves en moins d’une semaine. Imaginons les milliers de mètres cube de fumées partis dans l’atmosphère et redéposés en partie sur les plaines glaciaires du Gröenland….

En 1984, le Vulcanus II est en sortie du port de Rotterdam avec un plein chargement qu’il va aller brûler à 200 milles des côtes en polluant sérieusement l’atmosphère. (© HANS KRAYENBOSCH)
Retour à Rotterdam pour le Vulcanus II après avoir incinéré quelques milliers de tonnes de produits nocifs. (© HANS KRAYENBOSCH)
Le navire unique de 93,55 mètres sur 16,05 de large était reconnaissable à plusieurs milles par sa silhouette. Comme pour protéger les membres de l’équipage, les superstructures ont été placées à l’extrême avant tandis que les trois imposantes cheminées du brûleur étaient positionnées tout à l’arrière. Mais en 1991 après avoir éliminé de nombreuses substances chimiques, nocives et sans aucun doute toxiques, une multitude de plaintes portées par des associations environnementales de plusieurs pays imposent à la Waste Management Inc. de mettre définitivement un terme aux opérations du Vulcanus II. Tout avait commencé en octobre 1987 lorsqu’une trentaine de pêcheurs danois confortés par leurs homologues britanniques et néerlandais avec le soutien de Greenpeace avait fait stopper la combustion de 3000 tonnes de produits toxiques en Mer du Nord en jetant un filet dans l’hélice du navire. Privé de propulsion, le Capitaine s’était vu demander l’assistance d’un remorqueur pour revenir à Rotterdam.

A quelques reprises, le Vulcanus II est venu en escale dans le port de la Cité Océane. On y voit bien ses impressionnantes cheminées crachant au large des côtes des milliers de mètres cube de fumées nocives. (© FABIENNE TREHET)
En 1991, il est racheté par le groupe sud-africain Grindrod qui à travers sa filiale Unicorn lui fait reprendre du service en tant que bitumier. Avant de prendre la direction de l’Afrique du Sud sous le nom de Rampart, il passe dans un chantier qui lui débarque toute son installation d’incinération, à savoir le brûleur et son système de pompes d’alimentation et ses trois grandes cheminées. Jusqu’en 2000, le Rampart travaille le long de la côte sud-africaine puis devient la propriété de l’Aeromic Shipping S Pte Ltd de Singapour. Sous le pavillon de cet état, il devient le Bitumen Express et prend le chemin du sud-est asiatique où il travaillera jusqu’à sa démolition sur l’une des plages de Chittagong (Bangladesh) en décembre 2007. Côté « Machines », jusqu’à la fin de sa carrière l’ancien Vulcanus II aura conservé son ensemble propulsif d’origine composé d’un diesel Deutz de 6 cylindres en ligne – type SBV6M540 – développant 3548 ch (2610 Kw) et entraînant une hélice à pales orientables à travers un réducteur sur lequel était couplé un alternateur attelé de 675 Kw. Trois diesel-alternateurs – 2 de 350 Kw + 1 de 156 Kw en secours – fournissaient la puissance électrique du bord et du propulseur d’étrave.

En mai 1994, l’ancien Vulcanus II quitte Rotterdam sous le nom de Rampart. Immatriculé à Kingstown (ST Vincent) il a été acheté par le groupe Grindrod et portes les couleurs de Unicorn. Son brûleur et ses 3 grosses cheminées ont été débarqués et le navire est devenu un bitumier. (© HANS KRAYENBOSCH)

(© PASCAL BREDEL)

En 1995, le Rampart sort du Havre sous une livrée de coque bleue et les marques d’Unicorn. On aperçoit très bien sur cette photo l’emplacement où se trouvaient les trois cheminées. (© PASCAL BREDEL)
Pour la petite histoire, un autre navire incinérateur de 3495 tonnes de port en lourd a sévi en Mer du Nord entre 1979 et 1991. Construit par le chantier allemand Sterkrade de Walsum, le Vesta appartenait à la Lehnkering Montan de Duisburg, son port d’attache. Long de 71,81 mètres et large de 11,10 le Vesta a été jumboisé pour être transformé en drague de haute mer en 1991. Malheureusement quatre ans plus tard sous le nom de Spauwer, l’ancien Vesta se retourne et sombre en quelques secondes emportant dans ses flancs son Capitaine. Sa propulsion était assurée par un diesel MWM à 8 cylindres de 1200 ch (883 Kw).

Le Vesta qui avait la coque de couleur orange était beaucoup plus petit et ne pouvait brûler « que » 300 tonnes par jour. Malheureusement sa conversion fut tragique. (© HANS KRAYENBOSCH)
Texte de Marc OTTINI