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Quand le sujet de la décarbonation est évoqué, le premier réflexe est souvent de s’en référer aux nouvelles propulsions, au branchement au courant quai ou à une optimisation de la distribution électrique à bord. Mais pour atteindre les objectifs de baisse d’émissions de CO2, la seule solution technologique n’est sans doute pas la panacée. Notamment au moment où la disponibilité des nouveaux carburants n’est pas encore garantie. Laurent Mermier, architecte naval et patron de Ship ST, a beaucoup travaillé avec plusieurs armateurs, au commerce et à la pêche, sur une approche plus globale, notamment grâce à la mise en place d’études et de bilans énergétiques des navires. Il livre à Mer et Marine ses réflexions sur le sujet. 

« De nombreux carburants dits "bas carbone" sont mis en avant. Mais un acteur maritime qui étudie les pistes de réduction de l’impact de son activité constate la difficulté de cette voie : onéreuse, peu mature, en concurrence avec d’autres solutions, d’approvisionnement incertain, d’impact non certifié. Ces armateurs acquièrent au moins une certitude : ils ne savent pas quel sera le carburant du futur », constate-t-il. Face à cette situation et pour répondre aux enjeux de décarbonation des prochaines années, il faut donc combiner les approches. « Les études montrent que des réductions de l’impact carbone résident dans la sobriété énergétique. Elle nécessite de modifier l’usage et d’augmenter les rendements. Ces deux leviers sont matures, certains, souvent rentables ». 

Réduire la consommation

L’usage, c’est la manière dont le navire est opéré et conduit. « C’est le levier le plus performant mais souvent les armateurs s’en méfient car y toucher signifierait qu’il y a une dégradation du service vendu. Or les études menées avec l’ensemble des acteurs, et surtout avec leurs clients, ont jusqu’ici montré que c’était un a priori ». Le premier moyen efficace est de baisser la vitesse du navire, solution souvent préconisée et testée par certains armateurs. « L’énergie dépend, pour la plupart des navires, d’une fonction proche du carré de la vitesse : abaisser d’un cran la manette des gaz ne modifie souvent qu’à la marge le service mais baisse significativement la consommation ». Sur les porte-conteneurs, qui avaient adopté une vitesse réduite lors des dernières crises, des baisses de consommation d’un facteur 3 à 6, parfois plus, ont été constatées. « La réduction de la vitesse ouvre d’autres voies, comme la propulsion vélique qui devient alors un "carburant" à retour sur investissement intéressant ». 

D’autres moyens de réduire la consommation existent, notamment en s’appuyant sur les logiciels et automates. « Arriver juste à l’heure, en réduisant la vitesse au strict besoin, est particulièrement intéressant. Régler automatiquement les systèmes de réfrigération, par des variateurs de vitesse pilotés par des capteurs, réduit significativement leurs énergies. Aujourd’hui on n’éteint pas la lumière dans un navire, même dans les compartiments vides : un capteur de présence pourrait s’en charger ». Autant de paramètres qui peuvent être évalués en amont par une campagne de mesures des énergies à bord.

Augmenter les rendements

Deuxième levier d’action : l’augmentation des rendements. « 5 % de rendement gagné, c’est 5 % d’énergie en moins. Très pertinent dans le cadre d’une construction neuve, il peut l’être aussi dans le cadre d’une rénovation. Certaines chaînes énergétiques présentent des rendements faibles : par exemple une propulsion hydraulique consomme entre 20 % et 40 % de plus qu’une propulsion directe ». Pour bien analyser les dépenses énergétiques, il faut reprendre l’ensemble de la chaîne à bord. « Le calcul vaut le coup, il faut vérifier ce qu’annoncent les équipementiers : par exemple nous n’avons pas encore trouvé qu’un parc de batteries utilisé pour lisser la charge réduise l’impact environnemental global ; en back-up d’un groupe électrogène, oui ». De nombreux paramètres d’amélioration simples existent et seront sans doute amenés à prendre de plus en plus d’importance dans la voie de l’optimisation énergétique. « On peut s’attendre à ce que des rendements minimums apparaissent dans les règlements internationaux : ils sont simples à contrôler et leur coût de possession est souvent négatif, l’investissement et la maintenance étant compensés par la réduction du coût de l’énergie qu’ils apportent ».

Laurent Mermier en est persuadé, il s’agit là d’une des premières réponses que les armateurs peuvent facilement engager pour répondre aux défis de la décarbonation. « Beaucoup de nos clients armateurs concluent que compter seulement sur la technologie bas carbone des carburants est illusoire : les risques et les coûts sont trop élevés. Même la faisabilité globale à terme ne paraît pas démontrée : aujourd’hui, aucun carburant bas carbone n’a encore prouvé sa capacité à être produit dans le futur en quantité suffisante pour répondre à la consommation énergétique globale du monde maritime, qui n’est pas le seul concerné. Je pense donc qu’on se dirige vers de la sobriété, même si ce terme est encore considéré par certains comme synonyme de décroissance ».

© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.

 

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