Nouvelle difficulté pour la compagnie maritime française, confrontée cette fois à un problème de trésorerie. Les caisses sont vides et la SNCM pourrait se retrouver en cessation de paiement dès le mois de novembre, selon le journal Le Monde. Celui précise que l’armement a obtenu, le 14 octobre, l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès du tribunal de commerce de Marseille. Il s’agit, pour la SNCM, de recouvrer dans les meilleurs délais quelques 80 millions d’euros : 50 millions d’euros de surcharge carburant et de subventions au titre du service complémentaire, non versés par la Collectivité territoriale de Corse ; ainsi que 30 millions d’euros promis par Transdev (filiale de Veolia et de la Caisse des Dépôts et Consignations), son actionnaire principal, pour renflouer la trésorerie.
D’après Marc Dufour, président du Directoire de la SNCM, la mise en place cet été du plan de redressement de la compagnie, qui conditionnait le soutien de Transdev, doit permettre le versement de cette somme. Seulement voilà, d’après Le Monde, qui cite des sources proches de Veolia, le versement des 30 millions d’euros est bloqué en raison des fortes sommes d’argent que l’Europe demande à la SNCM de rembourser, une réclamation que le chef de l’exécutif corse, dans une lettre adressée à Veolia le mois dernier, avait menacé d’appuyer.
Le remboursement des aides comme point bloquant
La même raison est à l’origine du non versement par la CTC de la subvention liée au service complémentaire (accroissement des capacités de transport maritime lors des périodes de pointe, comme les vacances), précisément visé par Bruxelles, qui juge cette pratique illégale et ordonne à la SNCM le remboursement de 220 millions d’euros d’aides perçues entre 2007 et 2012. La Corse a semble-t-il cessé de verser cette subvention à la SNCM depuis le mois de juillet, ce qui correspondrait à un manque à gagner de 3 millions d’euros par mois pour la compagnie.
Ayant accusé 14 millions d’euros de pertes en 2012 et prévoyant un nouvel exercice négatif cette année, la SNCM doit impérativement recouvrer cet argent pour survivre. Le temps, explique Marc Dufour dans les colonnes du Monde, de retrouver l’équilibre financier sous deux ans grâce au plan de redressement, qui prévoit notamment 515 suppressions de postes, dont 415 l’an prochain. Si tel n’est pas le cas, l’armement pourrait bien se retrouver en cessation de paiement et être contraint de déposer le bilan.
Bourbier juridique et financier
La situation de la SNCM parait, en tous cas, de plus en plus inextricable. Attaquée de toutes parts, la compagnie fait d’abord face à l’Europe, qui n’a pas l’intention d’abandonner ses procédures pour obtenir le remboursement des 220 millions d’euros d’aides jugées illégales. Une facture à laquelle il faut ajouter 280 millions d’euros versés par l’Etat lors de la privatisation de la compagnie, en 2006, que la Cour de justice européenne considère comme des aides publiques. La SNCM, soutenue par le gouvernement français, va tenter d’obtenir gain de cause en déposant un recours devant la Cour de justice, seul moyen d’annuler la décision de la Commission européenne. Mais cela va prendre du temps et le résultat de cette procédure demeure très incertain. A cela, il faut en plus ajouter les différentes actions juridiques intentées par Corsica Ferries autour de la délégation de service public (DSP) pour la desserte des ports insulaires depuis Marseille. La grande concurrente de la SNCM, qui dénonce un cahier des charges taillé sur mesure pour favoriser l’opérateur historique, a encore gagné une bataille la semaine dernière devant le tribunal administratif de Bastia.
Le problème de l’actionnariat
Dans le même temps, l’armement a un autre problème majeur : son instabilité actionnariale. Alors que Veolia, désireux de se désengager de l’activité transport, va céder ses parts dans Transdev à la Caisse des Dépôts et Consignations, il a été convenu que le groupe demeure au capital de la SNCM, en reprenant les parts de Transdev. Mais cette opération est repoussée depuis des mois et aucune date n’est aujourd’hui fixée. Concrètement, Veolia n’a aucune envie de rester dans la SNCM, le groupe préférant voir un autre acteur lui succéder. Seulement voilà, dans la situation actuelle, avec au dessus de la tête l’épée de Damoclès que représente le remboursement des aides réclamé par l’Europe, aucun opérateur ne peut risquer d’investir dans la compagnie. Il est pourtant vital, pour celle-ci, de disposer d’un actionnaire industriel de référence pour lui permettre de lancer les investissements nécessaires à sa survie. Il s’agit notamment de commander quatre nouveaux navires dont la mise en service, à partir de 2016, est impérative pour que la SNCM conserve la DSP.
Une compagnie qui bouge enfin
Le plus terrible, pour la SNCM, est que la compagnie fait face à tous ces problèmes alors qu’elle commence enfin à bouger. Après des années de conflits sociaux à répétition et d’inertie l’ayant empêchée d’évoluer, l’entreprise a enfin été remise sur les rails, parvenant à obtenir l’accord de ses syndicats pour la mise en œuvre du plan de relance dont dépend sa pérennité. Cela, sans conflit majeur, ce qui constitue une grande nouveauté. Alors que, malgré ses pertes, la SNCM n’est pas endettée, puisqu’elle a comblé ses précédents déficits par des ventes d’actifs, ce qui signifie que sa situation financière est seine, sa réorganisation doit lui permettre de réaliser des gains de productivité significatifs. Quant à son projet de nouveaux navires, il lui permettra, s’il est mené à bien, de disposer d’un outil naval très performant et répondant au durcissement de la règlementation environnementale. Cela, au moment où les autres armements sont dans une situation plus difficile pour investir dans des constructions neuves. Elle a, enfin, décroché la nouvelle DSP pour la desserte des ports corses, cela pour une période de 10 ans, ce qui lui offre une bonne visibilité. Relations sociales apaisées, réorganisation interne et perspectives économiques doivent donc lui permettre de sortir la tête de l’eau.