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L’étau se resserre autour de la SNCM. Et celui-ci ressemble désormais davantage à un rouleau compresseur : deux fois 220 millions, soit 440 millions d’euros. C’est la somme que l’armement va devoir rendre à l’Etat français suite à deux décisions de la Commission européenne adoptées hier. Une somme considérable, supérieure à son chiffre d'affaires annuel, que la compagnie ne peut payer. Sa situation financière demeure en effet précaire : après l’exercice négatif de 2012, elle a rencontré des problèmes de trésorerie qui ont nécessité, fin octobre, une injection exceptionnelle de 30 millions d’euros par ses actionnaires. 
Les décisions européennes, aux très lourdes conséquences, ne sont pourtant aucunement une surprise, malgré les postures outrées adoptées par certains élus depuis cette annonce. Elles résultent de deux procédures distinctes ouvertes par la Commission européenne concernant le respect du droit de la concurrence. 
 
 
Début de l’histoire : le plan de restructuration de 2003 puis la privatisation de 2006
 
 
La première porte sur les aides à la recapitalisation de la compagnie, en 2003, alors que la SNCM était publique. L’Etat français avait à l'époque soumis un plan de restructuration à la Commission, garante de l’application du droit de la concurrence dans l’Union européenne. Celle-ci l’avait, dans un premier temps, approuvé. Puis, saisi par Corsica Ferries, le tribunal de l’Union Européenne avait, en 2005, annulé cette décision. Le droit européen prévoit que, dans ce cas, la Commission européenne adopte une nouvelle décision prenant en compte le dispositif du  jugement. C’est ce qu’elle a fait, en 2008, dans un document global qui validait également les mesures financières liées à la privatisation de la SNCM, intervenue en 2006. A ce moment-là, l’ensemble des flux financiers de l’Etat vers la SNCM examinés par la Bruxelles s’élève à environ 220 millions d’euros (15.8 millions pour les mesures de restructuration de 2003, 158 millions d’apport en capital lors de la cession en 2006, une avance en compte courant de 38.5 millions en 2006 au titre de mesures sociales en faveur des salariés et 8.75 millions pour une augmentation supplémentaire de capital, toujours à l’occasion de la privatisation de la SNCM).
Seulement voilà, la validation de ce « package » de 220 millions d’euros par la Commission a été annulée en septembre 2012 par le tribunal de l’Union européenne. Ce dernier a, en effet, considéré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que ces mesures françaises n’étaient pas des aides d’Etat. Le tribunal lui a donc, encore une fois, demandé de revoir sa copie. 
 
 
« L’Etat français ne s’est pas comporté en investisseur avisé »
 
 
C’est ce qu’elle vient de faire et le verdict est sans appel : « la Commission a conclu qu'il n'était pas établi qu'en choisissant l'option de la privatisation, l'Etat s'était comporté en investisseur avisé et avait choisi la solution la moins coûteuse pour les finances publiques », explique-t-elle. « D'autre part, l'apport en capital supplémentaire de 8.75 millions d'euros a été réalisé dans des conditions qui n'étaient pas comparables à celles de l'apport des repreneurs privés. Enfin, l'avance en compte courant de 38.5 millions d'euros au titre des mesures sociales couvrait des frais que la SNCM aurait dû supporter elle-même. Ces mesures ne correspondant pas à ce qu'aurait entrepris un investisseur avisé, elles ont conféré un avantage économique à la SNCM par rapport à ses concurrents qui devaient opérer sans ces subventions. Elles constituent dès lors des aides d'Etat ».
 
 
« Pas de viabilité à long terme sans recours aux aides publiques »
 
 
Plus grave encore, la Commission pointe ce qu’elle estime être un cercle vicieux des aides publiques dans le plan de privatisation de la SNCM qui, pour mémoire, a l’Etat comme actionnaire (il détient encore 25% du capital) mais aussi comme client, via la délégation de service public entre Marseille et les ports corses.  « Selon les règles européennes, les entreprises en difficulté telles que la SNCM, peuvent recevoir des aides d'Etat pour leur restructuration si certaines conditions sont réunies: elles doivent avoir des perspectives réalistes de redevenir viables dans le long terme, contribuer suffisamment au coût de la restructuration pour réduire la charge pesant sur le contribuable et limiter les distorsions de concurrence induites par les aides publiques grâce à des mesures compensatoires », poursuit la Commission . Celle-ci a conclu que « le plan de restructuration accompagnant ces aides ne permettait pas à la SNCM de rétablir sa viabilité à long terme sans recours à de nouvelles aides publiques. De plus, la contribution propre de la SNCM au coût de la restructuration demeurait très insuffisante. Enfin, les mesures compensatoires proposées étaient largement insuffisantes pour remédier aux distorsions de concurrence créées par ces aides ». Par conséquent, les 220 millions d’euros perçus sont considérés comme des aides d’Etat, qui doivent être recouvrées par l’administration française.
 
 
Ce n’est pas le ministre français qui décide de recouvrer ou non ces sommes
 
 
Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi une somme supplémentaire de 220 millions d’euros, que l’Etat refuse de recouvrer dans l’autre volet de la procédure européenne. Elle correspond au montant des aides versées entre 2007 et 2013 à la SNCM  au titre du service « complémentaire » de la délégation de service public pour la desserte de la Corse. En mai 2013, la Commission a jugé qu’elles constituaient des aides d’Etat et a ordonné leur remboursement dans les quatre mois. La France et la SNCM ont fait appel de cette décision, alors que le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, faisait savoir à de nombreuses reprises que l’Etat ne souhaitait pas recouvrer cette somme. 
Sauf que ce n’est pas le ministre français qui décide. Les décisions de la Commission européenne en matière de concurrence sont exécutoires directement. Et même s’il y a un appel sur le fond de la décision, celui-ci n’était pas suspensif. Cela signifie que la somme doit être rendue dès maintenant et que, si le tribunal décide de contredire la Commission, la France pourra alors rendre la somme à la SNCM. Et pas avant. « Dura lex sed lex » comme on dit chez les juristes, ce qui pourrait se traduire par « la loi est dure mais c'est la loi ».  
 
 
La France doit se mettre en conformité, sous peine de pénalités
 
 
La Commission, que l’on devine un peu agacée par l’attitude des politiques français drapés dans leur refus d’appliquer le droit européen, se fend même d’un sérieux avertissement. «  Si un Etat membre ne met pas en œuvre une décision de récupération, la Commission peut saisir la Cour de Justice en vertu de l'article 108(2) du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE), qui permet de saisir la Cour directement pour des violations des règles relatives aux aides d'Etat. Si un Etat membre ne respecte pas le jugement de la Cour, la Commission peut demander à la Cour d'imposer des pénalités en vertu de l'article 260 TFUE ». En clair, la France risque de lourdes astreintes si elle refuse de mettre en œuvre la décision européenne. Concrètement, de réclamer l'argent à la SNCM. 
 
 
Un avenir compromis
 
 
Que va-t-il se passer maintenant ? Il est difficile de le dire, même si l’avenir de la SNCM, qui n'a pas encore souhaité s'exprimer, semble très compromis. L'actionnaire majoritaire de l’armement, Transdev (filiale de Veolia et de la Caisse des Dépôts et Consignations détenant 66% de la compagnie), a déjà expliqué qu’il ne souhaitait pas investir à corps perdu dans la compagnie. Quant à l'autre grand actionnaire, l’Etat, il est sous les fourches caudines de Bruxelles et plus particulièrement de la Direction générale de la Concurrence. Le gouvernement est embarrassé et ne peut guère, désormais, que rappeler la poursuite des procédures d’appel sur les deux dossiers. Mais il ne peut plus prétendre être en mesure de contredire la Commission, posture adoptée ces dernières semaines pour apaiser les craintes, plus particulièrement à Marseille, où l'avenir de la SNCM est un dossier politiquement très sensible. Surtout à l'approche des échéances électorales. 
 
 
 

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