Les restrictions de cargaison, avec un tirant d'eau de maximum 38.5 pieds, continuent dans le Canal de Panama jusqu'au 24 mai. Ces mesures sans précédent sont liées au phénomène climatique El Niño, très actif dans le Pacifique.
Le niveau d'eau actuel dans le Canal de Panama ne permet plus, depuis un mois, d'accueillir avec les mêmes quantités de chargements les 35 à 40 transits quotidiens. Le lac Gatun en particulier, principal réservoir en eau du canal, accuse par endroits près de deux mètres en dessous de son niveau minimal et une température de 29.4 degrés. Il a pourtant été dragué et approfondi ces dernières années en vue de fournir également suffisamment d'eau aux écluses qui vont ouvrir le 26 juin prochain. L'Autorité du Canal de Panama (ACP) est ainsi contrainte de limiter l'accès de près d'un navire sur cinq.
Cela fait maintenant un an que le Panama manque de pluie et cumule les records météorologiques. En juin 2015, le pays enregistrait sa période la plus sèche depuis 102 ans. Le phénomène El Niño, qui avait délaissé le Panama en 1998, a fait un retour en force (voir en fin d'article). L'ACP avait alors envisagé, en août dernier, de réduire le tirant d'eau des navires de six pouces mais quelques précipitations avaient évité la mesure dix jours avant sa mise en application.
La saison des pluies, d'octobre à décembre, permet traditionnellement de remplir les deux lacs de Gatun et d'Alhajuela afin d'approvisionner en eau le canal pour la saison sèche, qui arrive ensuite de janvier à mai. Mais les précipitations n'ont, cette fois, pas eu lieu et depuis le 21 mars, l'ACP a dû prévenir ses clients de réviser leurs hauteurs de tirants d'eau.

La sécheresse, visible en avril (© : ANNIE-LAURE PETIT)
38.5 pieds au lieu de 39.5
Le lac Gatun est, avec ses 425 km2, le second plus grand lac artificiel au monde mais avec l'actuel système d'écluses, 197.000 mètres cubes d’eau sont déversés dans l'océan chaque fois qu'un navire passe dans le canal. La déforestation de la forêt tropicale alentour, sujette à de nombreuses controverses, est également mise en avant pour expliquer la baisse des stocks d'eau. L'humidité que la végétation relâche en saison sèche vient alors à manquer.
Dans un premier temps, les navires sont passés avec six pouces (0.5 pieds) de tirant d'eau en moins mais onze jours après, le 29 avril dernier, il fallait cette fois gagner un pied de tirant d'eau. Onze jours encore plus tard, c’est à dire lundi, les navires devaient à nouveau avoir ajusté leurs cargaisons pour n'avoir plus que 38 pieds de tirant d'eau. Mais, dès le lendemain, la restriction est remontée à 38.5 pieds suite à un gros orage pendant le week-end.
Ceux qui n'ont pu modifier leurs cargaisons en amont (malgré l'avertissement quatre semaines plus tôt) doivent trouver une solution. Les tankers choisissent très souvent de vendre une partie de leur pétrole sur place au Panama afin de s'alléger. Quant aux porte-conteneurs, ils préfèrent décharger une partie de leurs boites à Balboa, pour le coté Pacifique ou Cristobal, coté Atlantique. Ils sont ensuite acheminés de l'autre côté de l'isthme majoritairement par le train, plus rarement par la route. Des options qui ne sont pas gérées par l'ACP et qui représentent des coûts supplémentaires. De nombreux conteneurs issus des neo-panamax effectuent ainsi ces 67 km en attendant l'ouverture des nouvelles écluses le 26 juin prochain.
Une nouvelle baisse de tirant d'eau de 6 pouces supplémentaires (soit à 38 pieds au lieu des 39.5 habituels) reste à craindre pour la fin du mois. S'il a commencé à pleuvoir un peu ces derniers jours, les fortes pluies attendues et annoncées par les prévisions météorologiques pour ce mois de mai, ont déjà été décalées pour le mois de juin.
L’incontrôlable El Niño
Le phénomène climatique est mondial et modifie les vents, les températures et les précipitations. Il n'avait pas touché le Panama aussi durement depuis 1998.
De faibles alizés dans le Pacifique entraînent une augmentation moyenne de trois degrés de la température de l'océan au niveau de l'équateur et bouleversent le climat planétaire.
El Niño peut avoir lieu tous les deux à sept ans. Ces épisodes, irréguliers, débutent en général au printemps et durent de six à dix-huit mois. En période intense, comme en 1997-1998 et actuellement en 2015-2016, les pluies tropicales sont retardées entraînant des conséquences économiques et sociétales.
Si l’épisode d’El Niño de 1997-1998 a été le plus fort jamais enregistré et le plus catastrophique du XXe siècle, une étude publiée en janvier 2014 dans la revue Nature Climate Change révèle que les épisodes les plus intenses seront deux fois plus fréquents au cours du XXIème siècle.
Annie-Laure Petit, correspondance depuis Panama