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« Attention, n’oubliez pas de reculer votre montre, nous passons à l’heure de Mayotte ». Le Marion Dufresne a quitté la Réunion il y a deux jours, direction le nord et les Glorieuses, première étape de sa rotation de ravitaillement des Iles Eparses (voir la première partie de ce reportage). 
Une cinquantaine de passagers est installée dans la très réputée salle à manger du navire, où le service se fait toujours en blanc. Logisticiens de l’administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises, militaires des forces armées de la zone océan indien, représentants de la Réserve naturelle… mais également une vingtaine de touristes. Tous conscients d’effectuer un voyage exceptionnel. « Une rotation Eparses, il y en une tous les trois ans, alors quand j’ai appris qu’il y avait quelques places, j’ai sauté sur l’occasion », s’enthousiasme Delphine, une Réunionnaise passionnée de faune marine et d’aventure. Charles, lui, a l’habitude de ce genre d’expédition. Le millionnaire américain passe son temps libre à arpenter les endroits les plus reculés et inaccessibles de la planète. Chaque tampon sur son passeport est une pièce supplémentaire à sa collection, lui assurant une carte de membre au club des « Most Travelled People ».
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Arrivée à Glorieuses (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
Sur l’horizon, on commence à distinguer une ombre. Un récif corallien de 16 km de long, avec des terres émergées à chaque extrémité : Grande Glorieuse, la « grande » île de 2.5 km de diamètre et l’île du Lys, toute petite. Le Marion, pour la troisième fois, aborde l’archipel des Glorieuses. Officiellement françaises depuis 1892, elles auraient été nommées en hommage aux trois jours de 1830 qui ont vu l’avènement de la Monarchie de Juillet. 
Le commandant Marjak ne se laisse pas distraire par le blanc étincelant des plages cachées derrière le lagon. L’endroit est plutôt mal pavé et les conditions paradisiaques peuvent vite laisser place à des coups de vent et de la houle. Christophe Jean, secrétaire général des TAAF et représentant du préfet à bord, a les jumelles à la main. « Vous voyez, là-bas, près de l’île du Lys ? On dirait bien des embarcations ». 
 
Grande Glorieuse, le récif et l'île du Lys (TAAF)
 
 
Trois barques ont été repérées au bout de l’atoll. « C’est un des problèmes majeurs de la zone. Nous avons beaucoup de pêche illicite, principalement d’holothurie ». L’holothurie est une sorte de concombre des mers, très prisé en Asie pour ses vertus médicinales. Son prix peut atteindre près de 1000 dollars le kilo. « Nous surveillons la zone avec l’aide du Centre régional de surveillance et de sauvetage de la Réunion. Et puis il y a les observations effectuées depuis l’île par les militaires (dont un gendarme, ndlr) qui voient régulièrement des mouvements de bateaux dans la zone. Il s’agit d’embarcations majoritairement malgaches ou mahoraises ». Des petites embarcations qui, parfois, ravitaillent de plus gros navires-mères positionnés en haute mer. Les frégates de surveillance de la Marine nationale basées à La Réunion sont déjà intervenues sur ces bateaux dont certains seraient de la taille de navires usines. 
 
 
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© MARINE NATIONALE
Le Nivôse, basé à La Réunion, intervient dans les Eparses (MARINE NATIONALE)
 
 
 
L’hélicoptère est positionné sur l’hélideck du Marion. La passerelle a appelé le camp de Glorieuses, le gendarme se tient prêt. « Nous avons besoin d’un officier de police judiciaire pour effectuer les constations », explique Christophe Jean. Le bateau s'approche, les pales de l’hélico tournent, le passage au-dessus de l’île du Lys sera le premier vol de l’escale. A l’avant, les grues sont débordées, les marins sont déjà en train de préparer les colis qui seront héliportés sur l’île. Pas une seconde à perdre, l’escale est courte et il y a beaucoup de déchets à évacuer. Les logisticiens des TAAF sont sur le pont : ce seront les premiers à partir vers Glorieuses pour coordonner, avec les militaires, le débarquement des colis.
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
L'hélicoptère du Marion va effectuer sa première sortie, un vol de souveraineté vers l'île du Lys (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Les colis sont préparés pour les slings hélico (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
 
L’hélico a fait chou blanc. « Les embarcations, des barques artisanales, étaient vides », explique Christophe Jean. Les pêcheurs établissent parfois des camps de base sur l’île, en laissant de quoi se ravitailler en gas-oil à terre.  « La pêche illicite, qu’elle soit artisanale ou industrielle, pose un problème grandissant dans la zone ». 
Glorieuses est devenu un parc marin en 2012. Avec son jumeau de Mayotte, il forme l'une des plus grandes aires marines protégées au monde. « Nous devons, dans ce cadre, saisir l’opportunité de mettre en place une collaboration accrue en matière de gestion des pêcheries et de protection de la biodiversité ». Des programmes sont actuellement menés avec les voisins, Seychelles, Mayotte, Madagascar, Afrique du Sud… « nos objectifs sont ambitieux, à la hauteur de l’incroyable biodiversité des îles Eparses, qui abritent quantité d’oiseaux, de tortues, de mammifères marins… ». Restent à savoir quels moyens pourront les appuyer. « Pour la surveillance de la zone, nous composons avec les moyens de l’Etat à proximité : les bâtiments de la Marine nationale, notre patrouilleur Osiris… mais nous n’avons pas encore de moyen dédié ». 
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Le Marion s'est positionné devant le lagon de Grande Glorieuse (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
A terre, le camp s’apprête à recevoir ses visiteurs. Sur le sable blanc qui relie l’hélistation aux habitations, des allées en cocos ont été soigneusement dessinées. La terrasse est impeccablement balayée. « Ton casernement sera toujours net, c’est une de nos devises. Et il n’y aucune raison qu’elle ne soit pas appliquée ici ». Béret vert vissé sur la tête, le capitaine Franck Alliot accueille chaleureusement ses visiteurs. Depuis 1967, c'est la Légion étrangère, stationnée à Mayotte, qui assure la présence française sur l’île : 14 soldats sont envoyés ici pour 45 jours. « C’est une mission exceptionnelle pour nos hommes. Pour le lieutenant qui est à la tête du détachement ce sera une première expérience de commandement. Je leur rappelle régulièrement le privilège d’être ici ».
Franck Alliot a une longue carrière derrière lui. Il aime son métier, il aime la Légion, « c’est notre famille ». Mais le capitaine aime aussi beaucoup Glorieuses. « J’y suis venu moi-même en mission alors que j’étais jeune légionnaire. J’y ai trouvé de quoi nourrir mes rêves d’aventure ». Il est désormais officier îles. C’est lui qui gère depuis Mayotte les besoins des militaires et fait la liaison avec l’état-major et les TAAF. « Mais, j’essaie d’y revenir régulièrement moi-même ». 
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Le camp légionnaire de Glorieuses (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Place d'armes de Glorieuses (MER ET MARINE-CAROLINE BRITZ)
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Ravitaillement en gas-oil pour le groupe electrogène (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
Tout le monde mange à la même table, avec vue sur le magnifique lagon. Au milieu des militaires, il y a Thomas et son look à la Robinson Crusoé. « J’ai décidé de ne plus me couper les cheveux depuis mon arrivée », dit-il dans un éclat de rire. Le jeune scientifique est un spécialiste des tortues, rattaché à l’université de la Réunion. Il  passe quatre mois sur l’île pour les observer. Toutes les nuits, elles viennent pondre sur la plage avant de replonger dans le lagon aux premières heures du jour. « Ca leur demande un sacré effort de remonter en haut de la plage », explique-t-il en montrant les traces laissées dans le sable. Tous les matins, avec le gendarme, il effectue le tour des 8 km de plage pour relever la température des différents nids, poser des grillages pour observer les petits et noter toutes les habitudes des reptiles. « J’ai réussi à convertir le gendarme, il est devenu aussi passionné que moi », sourit-il.
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Les plages de sable blanc de Glorieuses (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Corail fossilisé dans le lagon (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
C’est justement le gendarme qui revient, l’air un peu inquiet. « Je crois qu’il y en a une qui s’est perdue ». Une grosse tortue, sans doute très vieille, est allée trop loin pour pondre. Elle s’est retrouvée à proximité de l’ancien terrain de tir des militaires. « On fait quoi, on la soulève ? ». Des militaires sont arrivés en renfort. L’équipage du Transall de l’armée de l’Air, qui s'est posé dans la matinée, est venu voir s’il pouvait donner un coup de main. Thomas et Cédric, le directeur de la réserve naturelle, ne veulent pas brusquer l’animal. Alors, on décide de lui faire un passage. On écarte les veloutiers, on lui verse un peu d’eau dans le cou pour le refroidir. Sous les encouragements des hommes en treillis, la tortue déploie toute son énergie pour rejoindre l’eau transparente du lagon.
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Le gendarme Delaunay et Thomas organisent le sauvetage de la tortue (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Retour au lagon pour la tortue (MER ET MARINE- CAROLINE BRITZ)
 
 
« Alors cette tortue ? » « C’est bon, mon capitaine, elle est sauvée ». « Bien ». Le capitaine Alliot sait que son détachement est présent ici avant tout dans un but d’ordre public. Mais cela ne l’empêche pas de sensibiliser ses hommes à l’environnement exceptionnel qui les entoure. Il a notamment mis en place une politique stricte de gestion des déchets. Depuis quelque temps, il a aussi lancé des travaux pour « rendre son côté rustique » au camp. « J’ai le souvenir d’une île préservée, sans câble et sans béton ». Alors, les militaires nettoient le camp de ses vieilles installations et reconstruisent avec des matériaux naturels.
 
Le chemin serpente dans la cocoteraie. « Ici c’est ma cathédrale ». Au milieu des arbres, le capitaine se remémore l’époque où il venait y lire ses romans d’aventure. « Je fais ratisser les chemins toutes les semaines, on appelle ça la corvée chinoise. Mais il faut bien prendre conscience que la moindre brindille, ici, peu devenir une plante et tout envahir en quelques jours ». 
 
 
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© FRANCOIS LEPAGE
Le capitaine Alliot dans sa cathédrale ( FRANCOIS LEPAGE)
 
 
La cocoteraie a été plantée par Hippolyte Caltaux, un Réunionnais devenu commerçant sur l'île de Nosy Bé, à Madagascar. En 1882, il reçoit de l’Etat français l’autorisation de s’établir à Glorieuses « à ses risques et périls ». Après de multiples aventures, il commence l’exploitation du guano, utilisé comme engrais, et du coprah. Des ouvriers malgaches viennent affronter les rudes conditions tropicales pour travailler dans la plantation. L’entreprise ne durera pas longtemps, mais son héritage est toujours bien présent sur l’île.
 
"Le légionnaire ne pleure pas ses morts, il les honore". Le capitaine Alliot n’oublie jamais de se rendre au cimetière de Glorieuses, au bout de la cocoteraie. Là où sont enterrés ceux qui sont morts ici, les ouvriers d’Hippolyte Caltaux, dont Célestine, 16 ans. « Un arbre est tombé sur les tombes. Mes légionnaires ont décidé de déplacer le tronc et de refaire toutes les tombes avec des pierres chaulées ». Un autre a sculpté une entrée digne de ce nom au petit cimetière. « Ce sont eux l’histoire de Glorieuses, ne l’oubliez pas ».
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
La tombe de Célestine (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
Le soleil commence à tomber. Les derniers passagers s’engouffrent dans l’hélico qui s’envole vers le Marion. Pascal, le pilote, n’aura pas pu mettre le pied à terre tant il a tourné pour transporter tous les colis et évacuer un maximum de déchets du camp. Les cheminées du Marion fument déjà, les portes de l’hélideck se referment. Cap au sud, Juan de Nova attend.
 
Rendez-vous demain pour la suite de ce reportage... 
 
 
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© FRANCOIS LEPAGE
Grande Glorieuse (FRANCOIS LEPAGE)
 
 
 

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