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Six heures du matin, le ciel tropical est chargé. La Marseillaise retentit sous le drapeau du camp Sega, sur l’île Juan de Nova. Les hommes du 2ème  RPIMA (régiment de parachutistes d’infanterie de marine) sont au garde-à-vous pour les couleurs. Aujourd’hui, en plus de l’arrivée du Marion Dufresne, c’est jour de relève à Juan de Nova. Les 14 militaires, dont un gendarme, qui viennent d’effectuer 45 jours sur l’île, laissent la place à une autre compagnie arrivée il y a quelques heures dans l’avion Transall de l’Armée de l’Air. « Ca fera toujours plus de bras pour transporter le ravitaillement du bateau », sourit l’un d’entre eux.
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
(MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
Juan de Nova, la deuxième étape de la tournée des Eparses effectuée au printemps 2014, est située au milieu du canal du Mozambique. Longue de six kilomètres, l'île a la forme d’une enclume. Elle tiendrait son nom d’un noble espagnol qui l'aurait découverte en 1501. Comme les autres îles, elle est gérée par l’administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises. « Juan, c’est un gros morceau », souffle Patrice Rannou, le responsable de la logistique des TAAF. En plus du ravitaillement en bidons de gas-oil, denrées alimentaires, bouteilles d’eau et munitions, des opérations de manutention délicates sont programmées pour l’hélicoptère embarqué sur le Marion Dufresne. « Il faut notamment changer la cheminée de l’incinérateur de déchets, c’est impératif qu’on le fasse, sans l’hélico, ils auront beaucoup plus de mal ». Sur le camp Sega, l’ambiance est très militaire. Le colonel Vincent Alexandre, commandant le RPIMA à La Réunion, est venu rendre visite à ses troupes. L’occasion de rappeler, aux côtés des représentants des TAAF, la raison de la présence du détachement sur l’île. « Il s’agit de faire respecter tous les aspects de la souveraineté de la France. Sans notre présence, l’île pourrait devenir une base arrière pour la piraterie, sa faune et ses ressources halieutiques pourraient être pillées par la pêche illégale ».
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Entrée du camp Sega (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
Et puis il y a le gaz. Le canal de Mozambique a récemment révélé un immense potentiel d’hydrocarbures : 6 à 12 milliards de barils de pétrole et de 3 à 5 milliards de m3 de gaz. Un nouvel eldorado qui pourrait, à long terme, également bénéficier à la France. « Il existe en effet des zones actuellement en prospection dans l’est de la zone économique exclusive de Juan de Nova », confirme Christophe Jean, secrétaire général des TAAF. Des campagnes sismiques ainsi que des carottages ont confirmé la présence d’hydrocarbures, « dans des couches relativement profondes, ce qui signifie que l’exploitation n’est sans doute pas pour tout de suite, les blocs plus près du Mozambique sont eux plus accessibles et vont pouvoir rapidement entrer en production », précise Christophe Jean. Néanmoins cette possibilité existe et est l’une des raisons des frictions diplomatiques entre la France et Madagascar, qui conteste, depuis les années 70, la souveraineté française sur les Eparses.
Il y a un vrai enjeu stratégique autour de cette question et ces perspectives d’exploitation aiguisent de nombreux appétits. Ainsi, en septembre 2013, la frégate de surveillance Nivôse a-t-elle surpris dans la ZEE d’Europa, au sud de Juan de Nova, un navire sismique en cours d’opération. « Sans la moindre autorisation de notre part », rappelle le secrétaire général, « les demandes d’exploration déposées pour la zone d’Europa sont en cours d’instruction ». 
 
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© MARINE NATIONALE
La frégate Nivôse escorte un navire sismique hors de la ZEE des Eparses (MARINE NATIONALE)
 
 
Reste à savoir comment une éventuelle exploration pétrolière pourra se conjuguer avec un des autres objectifs de la zone : la protection de la biodiversité et le classement des îles en aires protégées. « Juan de Nova est une immense colonie de sternes fuligineuses », rappelle Cédric Marteau, directeur de la réserve naturelle aux TAAF, « plus d’un million d’oiseaux viennent se reproduire ici ». Des sternes, mais également des fous, des pailles-en-queue… , dans l’eau, des tortues imbriquées, des poissons rares, des coraux… « les Eparses sont une immense réserve de faune et de flore et c’est une de nos missions de les protéger et de favoriser l’accès aux scientifiques, à travers des missions ponctuelles ou des appels à manifestation, tel celui que nous avons lancé en 2010 qui a permis à 36 programmes de venir travailler sur les Iles », détaille Christophe Jean. Les militaires, qui vivent sur l’île, sont sensibilisés avant leur détachement sur place et ce sont souvent eux qui sont aux avant-postes de la protection de l’environnement. Débroussaillage pour éviter les feux, ramassage des ordures, mais également rationnement de l’eau et de l’énergie, ils sont les premières sentinelles de l’écologie locale. « C’est un message qui est bien entendu et la collaboration avec les militaires est très fructueuse », souligne Cédric Marteau.
 
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(MER ET MARINE-CAROLINE BRITZ)
 
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(MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
 
Vrombissement et tempête de sable sur la piste d’aviation de Juan de Nova. Le Transall de l’armée de l’Air vient de repartir avec les autorités et le détachement sortant. Cinq heures de vol seront nécessaires pour rallier La Réunion. « Pour l’instant, c’est lui qui assure la majorité du ravitaillement à l’occasion des relèves », explique Christophe Jean. « Mais l’Armée de l’Air va être obligée de les retirer du service pour les remplacer par des Casa, qui ont une capacité d’emport beaucoup moins importantes. Ce qui va sans doute provoquer de nouvelles configuration logistique avec, peut-être, davantage de rotations maritimes ». Une rotation annuelle du Marion Dufresne par exemple ? « C’est une des possibilités, mais rien n’est établi ».
 
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Chargement du Transall (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
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Décollage du Transall (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
 
Un chemin quitte le camp militaire de Juan de Nova, il serpente vers l’Est, sous les filaos. Au bord de la piste en sable, des souvenirs d’une autre époque. Celle d’une éphémère aventure industrielle comme toutes les îles du bout du monde en ont connu. A Juan de Nova, ce sera celle d’Hector Patureau. De son histoire, on ne connaît pas grand-chose. Issu d’une famille franco-mauricienne, l’homme est un commerçant, qui a étendu son réseau entre Madagascar, la Réunion et Maurice. Juste après la deuxième guerre mondiale, il reçoit – du général de Gaulle lui-même, dit-on – la concession de l’exploitation de l’île de Juan de Nova. Son idée est d’exploiter le guano de l’île, abondamment renouvelé par la colonie de sternes. Le guano, très riche en phosphates, est utilisé comme engrais dans l’Europe de l’agriculture extensive de l’après-guerre.
 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
La maison Patureau (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
Monsieur Patureau engage des ouvriers et des contremaîtres à Maurice, les installe sur l’île. Un quai sort de terre, une liaison maritime est établie avec la Réunion. Dès la première année d’exploitation, plus de 50.000 tonnes sont extraites de l’île et transbordées vers l’Europe, devenant un des trafics majeurs de la Réunion. Sur l’île, la vie s’organise. Les ouvriers y travaillent, certains y meurent, comme en témoigne le cimetière de l’île où seules quelques tombes conservent des noms. Monsieur Patureau ne vit pas à l’année sur Juan de Nova, mais, pour ses séjours, il se fait construire une résidence. Ferronneries ouvragées, salle de bains, carrelage et escaliers imposants, la maison de monsieur Paturau est une belle demeure. L’exploitation du guano prospère une quinzaine d’années. Et puis, le mécanisme s’enraye. Le cours du phosphate s’effondre, l’engrais chimique se déverse sur le marché, les ouvriers de Juan de Nova se révoltent. L’usine ferme à la fin des années 60. Le débarcadère s’est effondré, la demeure se dresse toujours, belle et bourgeoise, à quelques encablures des rustiques habitations militaires du camp du 2ème RPIMA.
 
 
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Tombe d'un des contremaître de l'usine Patureau (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
La chaleur moite de Juan de Nova est à peine apaisée par le crépuscule qui approche. Stéphane et Jean-Pierre, ingénieurs de la direction générale de l’aviation civile, reviennent en courant vers l’hélistation pour attraper le dernier hélico retour vers le Marion. « Il y a toujours des systèmes de radio-balisage pour le trafic aérien sur les Eparses. Il a été installé après la deuxième guerre mondiale. Et depuis, nous l’entretenons ». Les deux hommes ont démonté une antenne et tentent de la ramener à bord du bateau. « Plus de temps, il va faire nuit, on la ramènera la prochaine fois » leur souffle Marion, la directrice technique des TAAF. Le soleil se couche sur le lagon, « des missions comme ça, on aimerait en avoir plus souvent », sourit, émerveillé, Stéphane.
 
 

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