Il vient d’avoir 20 ans. Le beau navire bleu au nom qui fait rêver méritait bien une nouvelle jeunesse pour pouvoir continuer à affronter les mers du Sud et servir la science, pour laquelle il est un des plus beaux laboratoires en mer. Le Marion Dufresne finit quatre mois de jouvence et va quitter les chantiers Damen de Dunkerque pour rejoindre la Réunion.
Le Marion dans sa cale sèche aux chantier Damen (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
« Avec tout ça, il va repartir pour quinze ans au moins ». Christophe Jean, secrétaire général des Terres Australes et Antarctiques Françaises – propriétaire du Marion Dufresne, se fraie un passage dans la salle des machines. Des dizaines de personnes s’activent dans les coursives, l’équipage se mêle aux personnels des chantiers et aux nombreux équipementiers qui interviennent simultanément. Les équipes des TAAF, de l’Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV), qui est affréteur du navire pour ses missions océanographiques, et de CMA CGM travaillent depuis 2013 sur cet arrêt technique majeur qui voit des interventions à tous les niveaux : de la rénovation des cabines à l’installation de nouveaux matériels scientifiques. Un chantier complexe, supervisé sur place par les superintendants de CMA CGM, avec l’aide de l’IPEV pour les équipements scientifiques

(MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
(MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Travaux sur les chambres froides (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Complexe à l’image du navire lui-même, conçu pour deux missions totalement différentes. Il y a le ravitaillement des terres australes (Crozet, Kerguelen et Saint-Paul-et-Amsterdam), et ponctuellement celui des Iles Eparses, où il doit pouvoir mettre en œuvre un hélicoptère et des vedettes, transporter des conteneurs, du vrac, des colis lourds, du gas-oil pour les groupes électrogènes des îles, mais également plus d’une centaine de passagers. Des missions d’un mois, baptisées les OP, au nombre de quatre (deux durant l’été austral, une à l’automne et une en hiver). Le reste de l’année, soit 217 jours, le Marion sert la science. Il est l’un des plus grands navires océanographiques au monde et est capable de remplir des missions très variées et multidisciplinaires.

(MICHEL FLOCH)
« Cet arrêt technique a été l’occasion de mettre à niveau les capacités scientifiques du navire, de manière à répondre aux besoins jusqu’à l’horizon 2030 », détaille Hélène Leau, responsable des moyens navals à l’IPEV. L’institut polaire, spécialisé dans la logistique scientifique dans les hautes latitudes (Antarctique, Spitzberg, Terres Australes) et les missions océanographiques, a décroché un budget de 13 millions d’investissements d’avenir pour moderniser les équipements scientifiques du Marion. « Il y a eu des groupes de réflexion de scientifiques dès 2012 et ce dans tous les domaines de compétences du bateau : océanographie et physique des océans, paléo-climatologie, géoscience, géochimie, géophysique et biologie. Ils ont planché sur les perspectives de recherche pour les quinze prochaines années », explique Hélène Leau. Avec le fruit de ces réflexions, l’IPEV a traduit ces besoins en instrumentations en lançant quatre groupes de travail portant sur les équipements scientifiques, les apparaux (treuils et portiques), les locaux scientifiques et l’informatique. « Chacun a proposé des technologies, qu’il a ensuite fallu intégrer en tenant compte à la fois du budget et des contraintes du bateau ».

Vue des travaux sur les équipements scientifiques (IPEV)
Le Marion a plusieurs atouts de taille, d’un point de vue scientifique. Il y a d’abord son carottier, qui avec ses 75 mètres, est le plus long au monde, faisant du navire français le leader en paléo-climatologie. Cette branche de la science permet, grâce à des prélèvements de sédiments, de notamment reconstituer l’histoire climatique. « Le bateau a été construit autour du carottier et de sa mise en œuvre ». En 2014, le treuil permettant la mise à l’eau du carottier avait été modifié pour en augmenter la capacité. Cette année, c’est le portique qui a évolué. « La mise en place de ce portique latéral, qui facilitera grandement la manutention, a nécessité le découpage d’une partie du pavois sur la coursive extérieure tribord. Une opération délicate qui a nécessité des pré-études structurelles, de manière à pouvoir placer des renforts de coques pour maintenir l’intégrité du bateau ».

Mise en oeuvre du carottier (IPEV)

Le carottier du Marion (IPEV)
Mais la grande nouveauté de la jouvence 2015 est sans aucun doute la gondole, placée sous la coque. D’une longueur de 12 mètres pour une largeur de 8, elle a été construite sur mesure pour accueillir tous les sondeurs nouvelle génération qui ont été choisis par les équipes scientifiques. « Les anciennes antennes de sondeurs étaient placées directement sur la coque, ce qui pouvaient parfois provoquer des interférences. Nous avons donc choisi de créer ce nouvel appendice ». Pour conforter cette nouvelle approche, les équipes de l’IPEV et de CMA CGM ont repris des les résultats des études menées en bassin des carènes sur une maquette, menées en 1993 en prévision de la construction du Marion Dufresne. Ces derniers ont été repris par les spécialistes en hydrodynamiques d’Hydrocéan et les architectes de Ship ST. Une analyse fine de la trajectoire des bulles sur la carène a permis de définir la géométrie de gondole la plus favorable.
La gondole (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)

La gondole et ses antennes (IPEV)
Construite par la société normande Mouquet, elle a été livrée en morceaux aux chantiers Damen, qui s’est chargé de l’assemblage. « Le fabricant a réalisé un très beau travail puisqu’il fallait garantir une planéité parfaite ». Il a ensuite fallu construire un tout nouveau chemin de câbles reliant un local de supervision dédié à la gondole : beaucoup de découpage sur plusieurs ponts et entre les ballasts ont été pratiqués. La coque, et notamment l’emplacement des anciennes antennes, a été entièrement reconstituée et les soudures meulées pour éviter toute turbulence.

(IPEV)

Nouveaux passages de câbles (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
« Grâce à la gondole qui nous affranchit du masque acoustique, nous augmentons considérablement nos capacités en matière de sondeurs ». Ainsi, le Marion va désormais être équipé d’un sondeur de sédiments, d’un spécialisé dans les grands fonds et d’un moyen fonds et d’un nouveau sondeur de pêche qui va permettre de considérablement améliorer les possibilités d’observation en biologie marine.
Autre nouveauté de la jouvence, le système de prélèvement et d’échantillonnage d’eaux, la CTD. Il sera désormais mis à l’eau par une potenceet disposera d’un local fermé. « Ce système propre va nous permettre d’être au meilleur niveau en hydrologie, notamment pour les recherches d’éléments métalliques dans les échantillons d’eau ». Enfin, le portique arrière, qui sert à la mise à l’eau de robots sous-marins ou du sonar latéral, à du petit chalutage ou encore au mouillage a été rénové. « Les laboratoires sont entièrement rénovés et vont être connectés de manière optimale. Il ne faut pas oublier que grâce à sa grande capacité de cabines, le Marion peut s’organiser comme une véritable université flottante qui permet d’accueillir de nombreux étudiants ».

La CTD (IPEV)

Vue du futur PC Sciences (IPEV)
« De notre côté, nous avons en charge la rénovation coque et machine », rappelle Christophe Jean des TAAF. Les TAAF ont touché une aide de 10 millions d’euros de l’Agence Française du Développement. Une partie des travaux, notamment l’instrumentation en passerelle, avait déjà été effectuée en 2014. En revanche, un des gros morceaux de la jouvence a été le remplacement, par Wärtsilä, de l’ensemble du système d’automates : 20 km de câbles, 3000 capteurs, 9000 connexions, 19 disjoncteurs…. ont ainsi été mis à neuf. Une chaudière a été retirée de la salle des machines, la propulsion s’effectuant désormais uniquement au diesel. Les chambres froides, ainsi que l’installation de traitement des eaux usées ont également été remplacées.
Le navire va remettre le cap sur la Réunion. Il devrait ensuite effectuer, en septembre, une opération de ravitaillement des archipels subantarctiques avant d’effectuer plusieurs semaines de test des nouveaux instruments scientifiques.