La tragique aventure du MSC Flaminia s'est achevée hier dans le port allemand de Wilhelmshaven. Remorqué par le Fairmount Expedition et l’Anglian Sovereign, le porte-conteneurs de 300 mètres de long a rejoint le Jade Weser Port, le terminal conteneur du port de Wilhelmshaven en fin d'après-midi.
Le 14 juillet dernier dans la matinée, alors que le navire faisait route en Atlantique Nord en provenance du port américain de Charleston et à destination du Havre, une explosion d’un conteneur en cale provoque un violent incendie à bord. Le MSC Flaminia se trouve alors à 1000 milles nautiques du point terrestre le plus proche. L’équipage, 25 marins allemands, polonais et philippins, démarre la lutte anti-incendie. En vain. Quatre hommes sont blessés, un autre est porté disparu. Le commandant, après avoir alerté le centre de sécurité et de sauvetage (MRCC) de Falmouth en Angleterre, ordonne l’évacuation du navire. Le Flaminia se trouve hors de portée d’hélicoptère de sauvetage, le MRCC de Falmouth diffuse donc un avis aux navires sur zone. L’équipage prend place sur l’embarcation de sauvetage et le radeau de survie. Le pétrolier DS Crown, le plus proche du MSC Flaminia, se déroute et lorsque, six heures plus tard, il arrive sur zone, il découvre un navire toujours en feu. Les marins sont recueillis à bord, les blessés seront transférés quelques heures plus tard sur le MSC Stella qui les amènera aux Açores. Un d’entre eux succombera à ses blessures.

Le MSC Flaminia (Photo : MARINE NATIONALE)
Un incendie qui fait rage pendant plus d’une semaine
Le MSC Flaminia, en flamme, va rester quatre jours à la dérive avec sa cargaison de 2870 conteneurs. L’explosion a sérieusement endommagé la partie centrale du pont et des cales. Une seconde explosion a lieu le 18 juillet, sans doute liée à la température régnant à bord du navire. L’armateur du Flaminia, la société allemande Reederei NSB, contracte rapidement avec la société néerlandaise Smit pour entamer les opérations de sauvetage. Les experts, arrivés sur zone avec trois remorqueurs, les Fairmount Expedition, Anglian Sovereign et Carlo Magno, commencent par des opérations de lutte anti-incendie. Près d’une semaine sera nécessaire à la maîtrise de l’incendie. Le navire accuse alors une gîte de 11 degrés liée à la quantité d’eau pulvérisée à bord. Plus de la moitié de la cargaison a brûlé ou est passée à l’eau. Mais le porte-conteneurs flotte toujours. Il se trouve à environ 150 milles de la pointe sud-ouest de l’Angleterre.
Début août, les sauveteurs ainsi que les experts de la société de classification Germanischer Lloyd effectuent des études sur la structure et l’intégrité du navire. Dans un rapport du 10 août, envoyé à l’ensemble des pays riverains (France, Angleterre, Irlande et Belgique), les experts expliquent que le navire est suffisamment intègre pour être remorqué et rejoindre en sécurité un port refuge de la zone.

Opérations de sauvetage à bord du MSC Flaminia en juillet dernier (Photo : DR)

Le MSC Flaminia (Photo: MARINE NATIONALE)
Les états riverains se renvoient la balle, aucun port ne veut être refuge
C’est alors que commence un surréaliste renvoi de balle entre les différents pays riverains. Personne ne veut accueillir le navire. Les craintes sont diverses : peur d’une marée noire si le navire venait à couler, puis peur de la cargaison, qui comporte, comme tous les porte-conteneurs du monde, des marchandises dangereuses. Les autorités de l’ensemble des pays riverains ne semblent pas prêtes à accueillir le navire. Au cours du mois d’août, il devient de plus en plus évident que seule l’Allemagne, état pavillon du navire, soit volontaire pour l’accueillir. Une nouvelle expertise est ordonnée pour établir un état des lieux de la marchandise, et particulièrement des dangereux, à bord. Le navire dérive toujours, sous la surveillance rapprochée des sauveteurs, les jours deviennent des semaines d’attente. La polémique ne tarde pas à enfler. Le président de l’armement Reederei NSB se dit choqué de voir les états riverains ne pas remplir leur devoir d’assistance à un navire en danger. En France, l’association Mor Glaz enjoint le gouvernement de désigner le port de Brest pour effectuer les réparations, dans un but à la fois de sécurité maritime mais également de création d’emploi pour la réparation navale locale. L’association française des capitaines de navire dénonce l’absurdité « d’être retenu comme port-refuge sans pouvoir obéir à son devoir d’assistance quand l’occasion se présente ». L’association Robin des Bois, toujours très en pointe sur les questions maritimes, se dit « navrée » par l’absence de solution européenne pour aider l’armateur et prévenir les pollutions éventuelles. Cette absence de coordination européenne ne manque pas de rappeler à de nombreux acteurs l’affaire du Prestige (2002), baladé entre la France, le Portugal et l’Espagne, avant de se briser, de couler et de polluer ces trois même pays.

Le MSC Flaminia (Photo : MARINE NATIONALE)
Un transit de plusieurs jours pour atteindre le port de Wilhelmshaven
L’Allemagne, état du pavillon, annonce que le port de Wilhelmshaven est désigné. Un port situé en mer du Nord, impliquant donc le franchissement de la Manche, et notamment du très fréquenté dipositif de séparation du trafic (DST) du Pas-de-Calais. Un transit extrêmement délicat, tant par sa difficulté nautique que par les risques terrestres que peut impliquer un passage dans les eaux resserrées et les DST se trouvant sur la route du convoi. Une situation quelque peu ubuesque pour la plupart des experts maritimes, notamment pour les navigants. « Au lieu de faire venir le navire dans un port de l’entrée de la Manche, de bien préparer son arrivée en cernant tous les risques – ce que l’on sait très bien faire et ce qui a été fait plusieurs fois sur le Flaminia – on lui fait traverser la route maritime la plus dangereuse du monde, en le soumettant à plusieurs jours d’aléas météos et, potentiellement à de nombreuses situation de risques de collision », dénonce un expert maritime.
Le 28 août, un rapport donnant la situation de navigabilité et cartographiant l’ensemble des marchandises et polluants toujours à bord, est rendu par un groupe d’experts internationaux. Celui-ci est remis à l’ensemble des autorités côtières. Le feu vert est alors donné, côté français et britannique, pour autoriser le transit en Manche. Le convoi, marchant à une vitesse entre 3 et 5 nœuds, emprunte successivement le DST des Casquets, du Pas-de-Calais, puis ceux menant à German Bight devant les côtes allemandes.
Peu de communication gouvernementale
Dans le milieu maritime, c’est l’interrogation. Les leçons du Prestige ne semblent pas avoir été tirées et la frilosité des gouvernements inquiète.
Du côté du gouvernement français, après une période de silence médiatique, les premiers communiqués ont insisté sur la maîtrise des risques de pollution. Puis, sur la qualité des expertises à bord du Flaminia. Et enfin, et sans doute à juste titre, sur l’excellence du dispositif de sauvetage mis en place pour le transit du navire dans les eaux françaises lors de sa remontée vers sa destination allemande. En revanche, malgré des interrogations répétées, et notamment celles de l’association brestoise Mor Glaz, pas de réelles précisions sur un éventuel refus d’accueillir le Flaminia.
Un des éléments de réponse se trouve, finalement dans une interview accordée à la Voix du Nord le 5 septembre par le ministre Frédéric Cuvillier. Il précise que la raison pour laquelle le navire n’a pas été pris en charge en France c’est que « nous n'étions pas dans le cadre du dispositif "port refuge". Nous l'aurions appliqué s'il y avait eu une menace immédiate de pollution. Mais tant que l'incendie n'était pas éteint, il y avait un risque d'explosion et nous aurions dû évacuer le port concerné dans un rayon de huit kilomètres. Sans parler des produits toxiques propagés par le vent dans l'atmosphère. Il faut apprécier les conséquences humaines et environnementales dans une zone de refuge. Il était hors de question de mettre en danger la population ». Pour mémoire, l’incendie du navire avait été déclaré maîtrisé fin juillet. La portée de la législation communautaire « port-refuge », évoqué par le ministre, ainsi que son application en droit français n’a pas encore été porté devant une juridiction. Devant l’absence de jurisprudence, il est difficile de connaître réellement les obligations qui pèsent sur l’état côtier.
Dans cette même interview, le ministre, interrogé sur la question de savoir pourquoi les réparations n’avaient pas été effectuées à Brest, déclare que « ce navire ne nous appartient pas. Il est la propriété d'un armateur allemand, qui a décidé de le rapatrier au plus près. C'est pourquoi nous avons pris toutes les dispositions pour que ce transfert se fasse en toute sécurité. » Il est cependant frappant de constater que ce même armateur, il y a un mois, dénonçait, comme dit plus haut, la « non-assistance » au navire.
Quelques soient les motivations des uns et des autres, le cas MSC Flaminia fera sans doute école. Il met en évidence une absence de coordination ou même de collaboration en matière de sauvetage dans une Europe qui a pourtant verrouillé quasiment toute la sécurité maritime par les paquets législatifs Erika 1,2 et 3. Le MSC Flaminia, exploité par une compagnie suisse (MSC), bat pavillon allemand et appartient à un armateur hambourgeois connu pour son sérieux, qui a fait face à ses responsabilités, conjointement avec l’état du pavillon. Que se serait-il passé si le navire avait été propriété d’un armateur moins scrupuleux et immatriculé dans un pavillon de complaisance ?