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Ce n’est pas un rejet mais ce n’est pas un bon signe. L’avocat général de la Cour de Justice de l’Union européenne vient de rendre ses conclusions sur le pourvoi formé conjointement par la SNCM et l’Etat français. Celui-ci porte sur le jugement du tribunal de l’Union européenne qui ordonnait, en septembre 2012, le remboursement  par la compagnie maritime de 220 millions d’euros à l’Etat français. L'avocat général préconise le rejet de l’ensemble des moyens soulevés par la France et la SNCM, ce qui signifie concrètement un refus de reconsidérer leurs arguments qui tendent vers une annulation de la décision du tribunal. Cet avis n’est évidemment pas celui de la Cour, qui n’est pas obligée de suivre les conclusions de l’avocat général.  Mais c'est un indice assez tangible de l’état d’esprit des institutions judiciaires européennes en la matière.

 

 

220 millions d'euros de recapitalisation

 

 

Ces 220 millions d’euros sont  en fait l’addition de plusieurs recapitalisations de la SNCM par l’Etat. Ce dernier avait, en 2003, soumis un plan de restructuration à la Commission, garante de l’application du droit de la concurrence dans l’Union européenne. Celle-ci l’avait, dans un premier temps, approuvé. Puis, saisi par Corsica Ferries, le tribunal de l’Union Européenne avait, en 2005, annulé cette décision. Le droit européen prévoit que, dans ce cas, la Commission européenne adopte une nouvelle décision prenant en compte le dispositif du  jugement. C’est ce qu’elle a fait, en 2008, dans un document global qui validait également les mesures financières liées à la privatisation de la SNCM, intervenue en 2006. A ce moment-là, l’ensemble des flux financiers de l’Etat vers la SNCM examinés par la Bruxelles s’élève donc à environ 220 millions d’euros (15.8 millions pour les mesures de restructuration de 2003, 158 millions d’apport en capital lors de la cession en 2006, une avance en compte courant de 38.5 millions en 2006 au titre de mesures sociales en faveur des salariés et 8.75 millions pour une augmentation supplémentaire de capital, toujours à l’occasion de la privatisation de la SNCM). Seulement voilà, la validation de ce « package » de 220 millions d’euros par la Commission a été annulée en septembre 2012 par le tribunal de l’Union européenne. Ce dernier a, en effet, considéré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que ces mesures françaises n’étaient pas des aides d’Etat.  C’est ce jugement que l’Etat et la SNCM ont frappé d’appel et sur lequel l’avocat général a rendu ses conclusions hier.

 

 

La radicale évolution de l'avis de la Commission européenne

 

 

Parallèlement, la Commission européenne, retoquée, a dû revoir sa copie et a présenté ses conclusions  en novembre dernier. Et celles-ci étaient radicalement différentes ce qu’elle avait pu décider en 2006. Elle a, en effet,  conclu « qu'il n'était pas établi qu'en choisissant l'option de la privatisation, l'Etat s'était comporté en investisseur avisé et avait choisi la solution la moins coûteuse pour les finances publiques ». « D'autre part, l'apport en capital supplémentaire de 8.75 millions d'euros a été réalisé dans des conditions qui n'étaient pas comparables à celles de l'apport des repreneurs privés. Enfin, l'avance en compte courant de 38.5 millions d'euros au titre des mesures sociales couvrait des frais que la SNCM aurait dû supporter elle-même. Ces mesures ne correspondant pas à ce qu'aurait entrepris un investisseur avisé, elles ont conféré un avantage économique à la SNCM par rapport à ses concurrents qui devaient opérer sans ces subventions. Elles constituent dès lors des aides d'Etat ».

 

 

Le test de l'investisseur privé

 

 

L’avocat général, après examen des mémoires de toutes les parties prenantes (la France, la SNCM, Corsica Ferries et la Commission européenne),  a donc traité tour à tour les quatre moyens soulevés par la France et la SNCM. L’argumentaire le plus long et le plus étayé est celui consacré au premier moyen concernant les 158 millions d’euros versés au capital lors de la privatisation, que l’avocat général qualifie de « cession à prix négatif ». Pour juger de la compatibilité de cette aide avec le droit de la concurrence, il reprend la méthode du critère de l’investisseur privé : celui-ci permet de comparer le comportement de l’Etat, actionnaire principal de la SNCM à ce moment-là, avec celui d’une entreprise privée.

Après une longue démonstration et s’appuyant sur une jurisprudence, il réfute toute la défense soulevée par la SNCM et la France. « Un investisseur privé poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle, guidée par des perspectives de rentabilité à long terme ne saurait raisonnablement se permettre, après des années de pertes ininterrompues de procéder à un apport en capital, qui, en termes économiques, s’avère plus coûteux qu’une liquidation des actifs, mais est, en outre, lié à la vente de l’entreprise, ce qui lui enlève toute perspective de bénéfice, même à long terme ». En clair, des apports publics sans perspective de rentabilité doivent être considérés comme des aides. Ce qui est, selon l’avocat général, le cas pour la SNCM en 2006.

 

 

La France ne peut pas se justifier par d'autres arguments que des faits économiques

 

 

Il balaie d’un revers de la main une partie de la défense de la France, Etat actionnaire, qui s’appuyait sur son « image de marque » en tant qu’investisseur global dans l’économie de marché et de son souci des retombées sociales et politiques en cas de fermeture de la SNCM. « Ces préoccupations aussi nobles soient-elles à d’autres égards sont très éloignées de celles d’un investisseur privé ». Reprenant les différents arguments de l’Etat (entre guillemets dans la citation suivante), il les réfute un à un : « et ce qu’il s’agisse des " coûts politiques " (à côté des coûts économiques et sociaux) d’une fermeture d’entreprise, des " pressions exercées par les milieux syndicaux ou politiques ", de la présence de l’entreprise en difficulté " dans une zone socialement en crise " ou dans la présente affaire de risque de grèves de solidarité qui se propageraient dans tout le secteur public. De ces considérations est absente toute perspective de rentabilité même à long terme de l’entreprise bénéficiaire de l’aide publique ». C’est clair et ferme : tout argument non économique n’est pas recevable.

 

 

La Cour se prononcera dans les mois à venir

 

 

L’avocat général va appliquer, de la même manière, le test de l’investisseur privé au deuxième et au troisième moyen, portant respectivement sur les 8.75 millions d’euros de recapitalisation et les 38.5 millions d’euros attribués aux personnels licenciés en 2006. Avec le même résultat, qui revient à dire que l’Etat ne s’est pas comporté en investisseur avisé. Le dernier point sur les 15.81 millions d’euros de 2003 étant, par la procédure, subordonné aux décisions sur les trois premiers moyens, le moyen est lui aussi rejeté.

Au final, cette argumentation met à mal l’espoir de voir cette décision de remboursement annulée. Et il rappelle, en de nombreux points, le rapport parlementaire récemment diligenté par Arnaud Leroy et Paul Giaccobbi, qui pointait les errements de l’Etat gestionnaire de la SNCM. La Cour de Justice devrait rendre son arrêt dans les mois à venir.

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