Présidente du directoire de la Brittany Ferries, Martine Jourdren part à la retraite et cédera la place au 1er avril à Christophe Mathieu. Femme à poigne mais plutôt discrète, celle qui fut le bras droit d'Alexis Gourvennec (le célèbre paysan fondateur de la compagnie maritime) lâche la barre à un moment où l'entreprise retrouve une bonne vitesse de croisière après avoir enduré une période de gros temps. Avec Frédérique Le Gall, du Télégramme, Martine Jourdren revient sur sa carrière, l'évolution de Brittany Ferries, la période difficile de 2012, le redressement de l'armement breton et son avenir, en particulier la commande à venir de nouveaux navires.
LE TELEGRAMME : La Brittany ferries annonce de bons résultats pour 2015 et les perspectives sont prometteuses. Dans quel état d'esprit quittez-vous cette entreprise après 43 ans de carrière ?
MARTINE JOURDREN : Je pars au bon moment. La relève est là et les conditions économiques et financières sont réunies. Notre grande satisfaction est de voir que l'entreprise est sortie de l'ornière. Grâce à une bonne activité fret et passagers, notre chiffre d'affaires 2015 est en forte progression. Le haut niveau de la livre sterling et la baisse du prix du pétrole nous ont été favorables. Pour 2016 nous nous attendons à un résultat équivalent à celui de 2015 si l'activité prévue est au rendez-vous. Au niveau social enfin, nous sommes satisfaits d'avoir obtenu des accords sur le temps de travail. Cela n'a pas été sans peine.
Ce renouveau va-t-il amener l’armement à investir dans des nouveaux navires ?
Oui, nous sommes repartis dans les starting-blocks pour le renouvellement de la flotte. Nos bateaux vieillissent. De toute évidence, nous allons en construire de nouveaux car nous ne trouvons pas sur le marché de l'occasion les ferries qui correspondent à nos besoins. Nous voulons remplacer en priorité le Bretagne et le Normandie, construits respectivement en 1989 et 1991. Dans les cinq prochaines années la compagnie espère en commander au minimum deux peut-être trois. Il ne faut pas traîner car entre la commande et la livraison il faut compter un délai de trois ans.
Allez-vous reprendre votre projet de navire Pegasis doté d’une propulsion au gaz naturel liquéfié ?
La GNL est moins performant à l'heure actuelle car le pétrole n'est pas cher. Cependant, toutes les options sont étudiées. Nos équipes y travaillent. Aujourd'hui c'est encore une page blanche. Le problème, c'est que les carnets de commandes des chantiers sont bien remplis, y compris celui de de saint Nazaire qui affiche complet jusqu'à 2021.
L'entreprise connait un renouveau après avoir affronté de gros récifs et aussi un grave conflit social en 2012. Quel regard portez-vous sur cette période ?
Brittany Ferries a été durement frappée par la crise de 2008 et l'effondrement de la livre sterling qui a suivi. Il ne faut pas oublier que 80% de notre clientèle est anglaise. A l’époque, toutes nos recettes en livres ont fondu alors que 70% de nos coûts étaient en euros. Début 2012, j'ai annoncé à Jean-Marc Roué qu'il nous fallait impérativement envisager un plan drastique avec l'objectif d'économiser 15 millions d'euros. C'est dans ce contexte que nous avons proposé un plan de retour à la compétitivité. Nous coupions dans les dépenses et nous demandions un effort aux salariés. Cela a provoqué des grèves. Nos bateaux ont été arrêtés. Cette période a été difficile pour tout le monde mais notre méthode a été positive. Dès 2013, l'entreprise a arrêté de perdre de l'argent. Depuis, elle a titularisé plus de 800 personnes et nous allons distribuer cette année à nos salariés 2.238.000 euros en participation et intéressement. Nous sommes heureux de la faire, c’est important de renvoyer la balle.
Entrée dans la compagnie comme chef comptable en 1973, vous avez patiemment gravi les échelons jusqu'au plus haut niveau en 2009. Le fait d'être une femme vous a-t-il desservie ?
Non, je n'ai pas eu à souffrir de mon statut de femme. J'ai été respectée par mes actionnaires, mon président et mes salariés. Je remercie Jean-Marc Roué, qui m'a nommée présidente du directoire en 2009. Ce n'était pas facile pour le jeune président qu'il était de reprendre le flambeau après Alexis Gourvennec. Non seulement il a relevé le défi, mais il a mis une femme à la tête d'une boite de marins, une femme il est vrai qui connaissait bien l'entreprise. Il y a eu une très grande entente entre nous deux, ce qui m'a permis de travailler en toute sérénité.