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Anesthésiste de formation, le docteur Michel Pujos est à la tête du Centre de Consultations Médicales Maritimes depuis sa fondation au début des années 1980. Le 1er mai, il sera à la retraite. Retour sur les grandes évolutions de l’aide médicale en mer ces 35 dernières années.

 
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MER ET MARINE : Vous êtes à la tête du CCMM depuis sa création en 1983, comment a évolué l’aide médicale en mer ?

 

DR MICHEL PUJOS : Autrefois la santé des marins n’était pas la préoccupation première. Il n’y avait pas grand moyen de la prendre en charge. Il y avait à bord ce qu’on appelle le médecin de papier : ce n’est pas un médecin mais un document. Ca, plus quelques bases apprises à l’école. A partir du moment où les télécommunications se sont développées, les possibilités d’accéder à un avis médical aussi. Il a fallu faire comprendre aux marins qu’ils avaient intérêt à les utiliser. Le fondateur du Samu, Louis Lareng, qui m’a recruté dans les années 1980, a préparé l’instruction interministérielle de 1983 qui mettait en place le « système opérationnel d’aide médicale en mer ». Ce texte établit « la prise en charge par un médecin de toute situation de détresse humaine survenant parmi les membres de l’équipage, les passagers ou les simples occupants d’un navire de commerce, de pêche ou de plaisance français ou étranger, ainsi que des bâtiments des flottilles civiles d’Etat, à la mer. » Elle ne concerne pas, en principe,  les bâtiments de guerre ou les navires amarrés dans un port. Ce texte définit aussi les relations entre le CCMM, les CROSS et les Samu : nous on dit ce qu’il faudrait faire ; le Cross dit ce qu’il est possible de faire ; le Samu côtier dit où le patient doit être hospitalisé et met à disposition une équipe médicale. La décision finale opérationnelle est prise à trois. Ce texte a été revisité récemment, en 2011. Il y a eu une actualisation des Samu de coordination par Cross et l’ajout de la possibilité au terme d’une consultation d’une mise en relation avec une cellule d’urgence médico-psychologique. Il a aussi été établi la procédure à suivre en cas de suspicion de maladies infectieuses type grippe aviaire, Ebola…

 

De la téléconsultation à la formation et au conseil… Le champ d’action du CCMM s’est élargi. Qu’englobe-t-il aujourd’hui ?

 

On a mis en place l’activité de téléconsultation dans les années 1980. Nous sommes passés de 602 téléconsultations en 1994 à 3405 en 2014. Soit 1764 patients. Puis on s’est rendu compte de la nécessité de formations médicales aux marins. On les a lancées à partir des années 1990, en parallèle avec l’évolution de la réglementation internationale qui les a rendues obligatoires. Ce sont des modules d’une journée à destination des officiers (marine) et capitaines (pêche et plaisance) sur l’aide médicale en mer et la téléconsultation. Ils sont dispensés dans les lycées maritimes et les écoles de marine marchande. Les commandants, responsables du soin à bord, ne gèrent pas la partie diagnostic mais ils ont une formation de secouriste, une formation aux gestes infirmiers et ils doivent être capable d’examiner le malade. Ils doivent savoir appliquer la prescription du médecin et réaliser les soins. Le CCMM a aussi une activité de conseil vis-à-vis des Affaires maritimes. On aide à l’élaboration et au suivi des programmes de ces formations. On travaille aussi avec le Service santé des gens de mer sur la mise à jour des dotations médicales des bateaux. Les dotations de type A pour les navigations sans limitation de temps, les dotations B pour plus de 24 heures en mer mais toujours à moins de 8 heures d’un port et les dotations C pour moins de 24 heures en mer. Chaque dotation est adaptée à un type de navigation. La dotation de type A inclut par exemple un module de transmission pour électrocardiogramme. Enfin on intervient comme conseil pour les services en charge du Saar (Cross) sur toutes les procédures de l’aide médicale en mer.

 

Qui finance l’aide médicale en mer ?

 

La consultation est gratuite.  Elle est à la charge de l’Etat, pas de l’armateur. Le CCMM  est géré par le CHU de Toulouse qui le finance aux 4/5ème. Le reste vient du département des Affaires maritimes et de l’Enim. Le CCMM est sous l’autorité d’un conseil de surveillance composé du ministère de la santé et de l’ENIM et présidé par la directrice des Affaires maritimes. Quand une intervention est nécessaire (évacuation par hélicoptère, déroutement, aide d’un autre bateau…), c’est à la charge des services qui engagent leurs moyens. Dans son avis, le médecin du CCMM tient compte du fait que dérouter un bateau va couter à l’armateur, que pour la pêche c’est perdre le bénéfice d’une marée… Quand on préconise un déroutement ou une évacuation, il faut que ce soit médicalement indiqué et qu’il n’y ait pas d’alternative. In fine c’est le capitaine qui décide.

 

De quels types de bateaux proviennent les appels ? Quelle est la proportion de déroutements, d’évacuations ?

 

47 % des appels proviennent de navires de commerce et de services. 21 % proviennent de navires avec passagers et 18 % de bateaux de pêche. 11% enfin proviennent de bateaux de plaisance. Dans 70 % des cas, la raison de l’appel est médicale (maladies), dans 30 %, elle est traumatique (accidents). La plupart du temps, la téléconsultation débouche sur des soins à bord. En 2014 le CCMM a préconisé un débarquement dans  18% des cas, une évacuation dans 14 % des cas et un déroutement dans 5%. Les pathologies et les décisions sont quasiment inversées entre la pêche et la marine marchande. Dans le commerce c’est essentiellement médical, il y a peu de traumatologie. Et dans plus de 80 % des cas, l’appel débouche sur des soins à bord. En pêche et en plaisance il y a autant de traumatologie que de médical et beaucoup plus de déroutement, débarquement et évacuations.

 

Quelles sont les évolutions à venir ?

 

L’objectif est d’apporter aux marins des soins de qualité comme à terre. Ca implique de transposer sur les bateaux les évolutions des possibilités thérapeutiques. Nous travaillons donc sur les dotations pour qu’ils aient les mêmes médicaments. On essaie aussi de faire évoluer le contenu des formations. Enfin on se dirige, doucement, vers la télémédecine. 

 

Propos recueillis par Léonore Mahieux

 

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