Coup de tonnerre hier soir à Calais, où la bataille engagée par Didier Cappelle pour prendre le pouvoir à MyFerryLink semble avoir franchi la ligne rouge fixée par Eurotunnel. Lundi, le Conseil de surveillance de la SCOP SeaFrance, présidé par Didier Cappelle ne s’est en effet pas contenté de révoquer du Directoire Raphaël Doutrebente. Il a également évincé Jean-Michel Giguet de son poste de président de cette instance. Cela, alors que Didier Cappelle, dans un communiqué diffusé après la réunion du CS, avait affirmé que « dans un souci d’apaisement, le conseil de surveillance n’a pas évoqué la révocation de Monsieur Giguet, qui reste au Directoire ». Tout le monde, à commencer par les salariés de la compagnie, en avait déduit que Jean-Michel Giguet restait en poste. Décision d’autant plus logique, malgré la volonté de Didier Cappelle de débarquer le tandem Giguet-Doutrebente, que le maintien du premier est une condition fixée par Eurotunnel dans la charte d’affrètement des navires de MyFerryLink, dont le groupe ferroviaire, présidé par Jacques Gounon, est propriétaire. La réalité est donc tout autre : « J’ai pu constater ce jour, en présence des administrateurs judiciaires, que j’ai été destitué de la Présidence du Directoire au profit de Monsieur Philippe Caniot. Ce coup de force démontre un manque de respect total pour le travail accompli depuis le démarrage. Il va surtout contre les engagements de Monsieur Cappelle, pris en présence de messieurs Parisseaux et Landy devant Monsieur Jacques Gounon de me confier la direction de la SCOP », a écrit hier soir Jean-Michel Giguet dans un courrier envoyé aux salariés de la société.
Un oubli surréaliste
Si l’on regarde les mots employés, Didier Cappelle n’a dans les faits pas menti dans son communiqué du 13 avril. Il a juste omis de préciser que si Jean-Michel Giguet n’était pas révoqué du Directoire, il était destitué de son poste de président. Un oubli bien évidemment volontaire qui apparait aujourd’hui complètement surréaliste. Quant à Philippe Caniot, seule sa nomination au Directoire, sans plus de précision, avait été annoncée, laissant entendre qu’il prenait la place de Raphaël Dourtebente. Personne n’avait imaginé que ce Nordiste, directeur régional d’une société de location de camions et de véhicules utilitaires, allait se retrouver sans aucune expérience du maritime à la barre d’une compagnie en pleine tourmente.
« Ce nouveau camouflet est inadmissible »
Manifestement très touché, Jean-Michel Giguet, dont l’action commune avec Raphaël Dourtebente a été cruciale pour faire du cadavre de SeaFrance, liquidée en 2012, une nouvelle aventure qui renouait avec le succès, aurait selon nos informations pensé démissionner immédiatement. Mais ses proches l’auraient convaincu de prendre au moins un peu plus de temps pour réfléchir. Dans son courrier, l’ancien cadre dirigeant de Brittany Ferries, qui avait accepté d’intégrer la SCOP pour lui permettre de relancer l’armement de Calais, ne mâche pas ses mots et rappelle que la décision de Didier Cappelle fait office de gifle infligée à Jacques Gounon : « Ce nouveau camouflet à l’égard du Président d’Eurotunnel et de ce groupe qui supporte cette activité déficitaire est purement et simplement inadmissible. C’est au Groupe Eurotunnel qu’il reviendra de tirer les conséquences de cette nouvelle tromperie. Personnellement, je ne peux accepter une telle situation. Après concertation avec le Groupe Eurotunnel, je vous ferai part dans les plus brefs délais de mes intentions de quitter éventuellement notre SCOP avec toutes les conséquences que cela implique ».
De quoi faire fuir les repreneurs potentiels
Les conséquences sont simples. Si Jean-Michel Giguet, évincé, est contraint de facto de s’en aller, la charte partie d’affrètement des navires tombera et, sous 15 jours normalement, la SCOP n’aura plus de navire à exploiter. Elle sera donc morte. Surtout qu’il n’est pas à exclure, en cas de départ de Jean-Michel Giguet, que Raphaël Doutrebente, débarqué du Directoire mais qui conserve son poste de directeur général adjoint et avait souhaité rester à ses côtés, décide lui aussi de faire ses valises. Cela, alors que la compagnie, en pleine tourmente, fait face à deux dossiers brûlants: La décision de la cour d’appel de Londres, qui doit se prononcer à la fin du mois sur l’interdiction faite à MyFerryLink par l’autorité de la concurrence britannique d’accoster à Douvres à partir de la fin juin, et la vente des actifs d’Eurotunnel. Devant la tournure défavorable du combat judiciaire au Royaume-Uni, où les liens entre le groupe ferroviaire et la compagnie sont considérés comme un risque monopolistique sur le Détroit, Jacques Gounon a en effet décidé de vendre les navires et MyFerryLink SAS, en charge de la commercialisation fret et passagers. Les repreneurs potentiels ont jusqu’au 24 avril pour déposer leurs dossiers et, si le patron d’Eurotunnel avait récemment indiqué que quatre investisseurs s’étaient manifestés, il n’est désormais plus certain, vu le contexte explosif que connait la SCOP, qu’il en reste un pour se lancer dans l’aventure.
Dans l’attente d’une décision de Jacques Gounon
Suite au Conseil de surveillance de lundi, Jacques Gounon ne s’était pas exprimé, de peur peut être d’obérer ses efforts pour trouver un repreneur. Mais, après le coup de Trafalgar de Didier Cappelle, le président du groupe ferroviaire pourrait bien être contraint de sortir du bois et siffler la fin de la récréation. Voire de mettre un terme à une situation qu’Eurotunnel pourrait rapidement considérer comme inextricable.
Cap sur le mirage de la SEM
Le président du Conseil de surveillance de la SCOP, pour sa part, ne semble avoir que faire des conséquences de ses décisions sur la stratégie d’Eurotunnel et de la direction de la compagnie. Il ne s’en est pas caché, ce qui l’intéresse, c’est une transition vers la création d’une société d’économie mixte en partenariat avec les collectivités territoriales. Sauf que la SCOP n’a aucunement les moyens de racheter la flotte et qu’un tel investissement est également hors de portée de la région, qui n’a d’ailleurs, manifestement, aucune envie de rejoindre l’attelage du leader du syndicat maritime nord. Pour preuve, le silence assourdissant des politiques concernés, qui ont tous botté en touche ces derniers jours sur le sujet. Didier Cappelle imagine peut être qu’au pied du mur, ils seront obligés d’embarquer dans le projet de SEM, surtout à l'approche des élections régionales. Mais, vu la tournure des évènements, rien n’est moins sûr aujourd’hui.
Philippe Caniot reçu par Alain Vidalies
En attendant, le président du Conseil de surveillance prépare l’arrivée de Philippe Caniot, qui doit apparemment rencontrer aujourd’hui le secrétaire d’Etat aux Transports : « Philippe Caniot est à Paris ce jour pour travailler avec le Cabinet ISEO sur le dossier MyFerryLink. Demain jeudi, il rencontrera Mr Vidalies Secrétaire d’Etat aux transports. Le vendredi 17 avril il prendra possession de son bureau gare maritime », annonçait hier Didier Cappelle dans un mail adressé aux sociétaires de la SCOP.
Vers une assemblée générale des sociétaires
Dans le même temps, une partie du personnel, estimant que le président du Conseil de surveillance est en train de conduire la société et ses 600 salariés dans le mur, réclame la tenue d’urgence d’une assemblée générale de la SCOP. Le minimum de signatures requis pour déclencher une telle procédure a été largement atteint, obligeant légalement le Conseil de surveillance, dont les membres sont élus par l’AG des sociétaires, à provoquer une réunion. Alors que l’armement joue clairement sa survie, la confrontation devrait être pour le moins houleuse.