Garder le Nord-Pas-de-Calais et même renforcer l’activité fret avec un projet de second navire, tout en se séparant des Berlioz et Rodin. C’est la décision prise par Eurotunnel, qui a annoncé hier avoir retenu l’offre émanant de DFDS Seaways. L’armateur danois exploitera les deux ferries dans le Détroit, où il opère déjà cinq navires, dont deux sous pavillon français. La crise de gouvernance au sein de la SCOP SeaFrance a sans nul doute précipité le démantèlement de MyFerryLink. Mais Jacques Gounon, président du groupe ferroviaire, a surtout mis en avant le risque de voir l’autorité britannique de la concurrence (CMA) reprendre ses attaques, malgré les jugements favorables obtenus récemment par MFL devant les tribunaux londoniens. « La position de l’autorité britannique de la concurrence ne laissait aucune place à Eurotunnel pour investir et développer cette activité. Et nous sommes persuadés que la CMA aurait continué de s’acharner et de nous canonner ».
« C’est un drame social mais nous n’avons pas les moyens de continuer »
C’est pourquoi Eurotunnel propriétaire des navires de MFL mais aussi de MyFerryLink SAS, société en charge de la commercialisation fret et passagers, avait décidé dès janvier de mettre ses actifs maritimes en vente. Le choix de Jacques Gounon, qui précise que les candidats vraiment intéressés « étaient ceux travaillant déjà sur le Détroit », s’est donc révélé très limité : « l’offre de DFDS était la meilleure, ou la moins mauvaise. DFDS était clairement le plus motivé et celui qui présentait le plus de capacités de maintien de l’emploi ». Le patron d’Eurotunnel explique que cette solution « permet de maintenir le Rodin et le Berlioz sur le Détroit » mais reconnait que tous les emplois ne pourront être sauvés. « Dès lors que les bateaux sont vendus à un opérateur qui dispose déjà d’équipes au sol, administratives, comptables et commerciales, il est évident que la reprise ne peut pas concerner tous les personnels. Il y aura donc des conséquences sur l’emploi, c’est un drame social mais nous n’avons pas les moyens de continuer ». Alors que MyFerryLink emploie, via la SCOP SeaFrance, 370 CDI embarqués et 106 sédentaires, aucun chiffre concernant le nombre de personnels repris n’est avancé, ni par Eurotunnel, ni par DFDS.
Conserver un service de navettes maritimes pour le fret
Jacques Gounon, qui dit vouloir « sauver ce qui peut l’être », souhaite donc conserver l’activité purement fret avec le Nord-Pas-de-Calais. Les attaques de la CMA, considérant les liens entre Eurotunnel et MyFerryLink comme un risque monopolistique, se sont en effet concentrées sur le transport de passagers et non sur le fret. Le groupe ferroviaire estime dès lors qu’il peut poursuivre cette activité seule en complément des trains, avec dans l’idée d’affréter un second navire. « Il s’agit de disposer d’une navette maritime spéciale fonctionnant en coordination avec nos autres navettes. Il existe sur le marché un certain nombre de navires spécialisés et il doit donc être possible de louer un bateaux pour constituer une paire avec le Nord Pas de Calais ». Mais cette fois, Eurotunnel souhaite exploiter sa flotte directement et non via une gestion séparée, comme c’était le cas avec MFL. A cet effet, les autorisations nécessaires vont être demandées aux autorités britanniques et françaises e la concurrence. Et si la réponse est négative, « le Nord Pas de Calais sera arrêté » prévient Jacques Gounon, qui espère une réponse rapide. Concernant l’exploitation du fréteur, le patron d’Eurotunnel indique qu’il est prêt à travailler avec une SCOP SeaFrance réduite ou une autre société coopérative mais que, dans tous les cas, Jean-Michel Giguet et Raphaël Doutrebente seraient aux commandes. Une troisième option consisterait, toutefois, à intégrer cette activité et les personnels concernés au groupe. Quant à MyFerryLink SAS, elle subsisterait avec un périmètre réduit au fret.
Vente ou affrètement à DFDS ?
Concrètement, que va-t-il se passer maintenant ? Eurotunnel va d’abord tenter de se défaire de la contrainte fixée par le tribunal de commerce de Paris en 2012 au moment du rachat de la flotte de la défunte SeaFrance. A l’époque, le groupe ferroviaire s’était engagé à ne pas vendre les navires pendant une période de cinq ans. « Je souhaite obtenir rapidement une autorisation du tribunal de commerce de Paris », explique Jacques Gounon, qui pourra toujours, en cas de refus, commencer par louer le Berlioz et le Rodin à DFDS avant que celui-ci les rachète à la fin du délai de cinq ans.
La SCOP placée en redressement judiciaire
Pour ce qui est de la SCOP SeaFrance, qui fait l’objet d’une procédure de sauvegarde depuis avril, elle devrait être placée mercredi en redressement. Les administrateurs judiciaires en charge de la société vont rencontrer les représentants de DFDS afin, notamment, de traiter la question de l’emploi. « DFDS sera le nouvel employeur des personnels mais ils n’ont pas voulu aborder avec nous la manière dont ils comptaient armer les navires, sachant que l’organisation sera probablement différente de celle de la SCOP », explique Jacques Gounon, qui n’a pas non plus eu d’assurance quant au fait que les ferries resteraient sous pavillon français : « Je n’ai pas pu imposer quoique ce soit et il n’y a pas eu d’engagement de DFDS. Toutefois, s’ils sont intelligents, et ils le sont, ils devraient voir l’intérêt de garder le pavillon français, ne serait-ce que pour être plus confortables avec les salariés de la SCOP qu’ils reprendraient ».
Eviter une interruption du service début juillet
Pour Jacques Gounon, l’objectif est désormais d’ « accélérer le processus de transfert pour qu’il n’y ait pas d’interruption de service le 1er juillet. Les administrateurs judiciaires de la SCOP et DFDS vont se rencontrer afin de mettre en place ce que je souhaite être un plan de cession ». Quand on l’interroge sur le fait qu’il vend finalement ses ferries à une compagnie qui était en première ligne pour l’attaquer aux côtés de la CMA, le patron d’Eurotunnel temporise : « DFDS n’est pas un ennemi, c’est un concurrent. Il est vrai qu’ils ont été actifs et visibles sur le dossier mais ceux qui n’étaient pas visibles étaient au moins aussi actifs », affirme-t-il en taclant sans le nommer P&O Ferries et en ajoutant : « Nous savions que si nous persistions, la CMA continuerait d’être actionnée par des gens qui avaient intérêt à voir disparaitre MyFerryLink ».
Vives inquiétudes à Calais
Reste que DFDS constitue depuis des années la « bête noire » des personnels de MyFerryLink et, à Calais, l’inquiétude était hier palpable. La SCOP faisait hier face à deux chocs : celui de la décision d’Eurotunnel mais aussi l’annonce du décès, dans la nuit, de Didier Cappelle, victime d’une crise cardiaque. La disparition du leader du syndicat maritime nord et président du Conseil de surveillance de la SCOP SeaFrance a ébranlé un peu plus la société, où l’on veut désormais, et au plus vite, des réponses quant à l’ampleur de la casse sociale à venir. Alors qu’Eurotunnel pourrait reprendre, selon les estimations, un peu plus de 100 personnes avec le Nord Pas de Calais, armé par deux équipages d’une quarantaine de marins (auxquels il faut ajouter du personnel à terre, notamment technique ou pour le chargement), que va faire DFDS ? Au-delà des services terrestres, beaucoup craignent que les équipages soient également réduits et qu’au final une bonne partie des emplois de la SCOP disparaissent.