Le vent catabatique dévale des glaciers de l'Antarctique et s’abat, comme à son habitude, sans prévenir. L’anémomètre à la passerelle du navire de croisière L'Austral est passé de 10 à 55 nœuds en quelques minutes. Juste devant lui, plusieurs growlers, des « petits » blocs de glace détachés de la banquise, dérivent rapidement. Des ombres suspectes foncent la surface de l’eau : écume ou icebergs, pas moyen de le savoir, mais il faut les éviter. Le navire avance à 11 nœuds, il ne faut pas trop ralentir, puisqu’il faut rester manoeuvrant. La barre a été passée en manuel. Les angles de barre restent modérés, les passagers ne doivent pas être trop bousculés. Avec cette vitesse de vent, il faut trouver comment le navire peut se positionner pour rester maniable. L’Austral se rapproche du lit de vent, se stabilise. Il faut rester vigilant, en zone polaire tout va très vite, on peut heurter de la glace ou se faire rapidement enfermer. Le coup de vent s’éloigne. Le navire se faufile au vent d’un gros bloc de glace. Les lumières du simulateur se rallument.

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Simulateur de navigation de l'ENSM Marseille (© MER ET MARINE - C.BRITZ)
Un partenariat entre l'ENSM et la Compagnie du Ponant
« Naviguer dans les glaces à Marseille, c’est quand même assez exceptionnel, non ? » sourit Hervé Baudu, professeur de navigation à l’Ecole Nationale Supérieure Maritime. Le site marseillais de l’ENSM s’est associé avec la Compagnie du Ponant pour mettre en place un tout nouveau stage de navigation dans les glaces. Pour cela, les partenaires ont développé un outil de simulation complètement original, qui a été intégré sur le simulateur de navigation de l’école.
« L’idée, pour nous armateur, était d’anticiper la mise en place du code polaire, qui va fixer des règles de sécurité contraignantes pour la navigation en zone Arctique et Antarctique qui est actuellement en cours d’élaboration à l’Organisation maritime internationale et qui devrait être abouti en 2014 », explique François Vielfaure, directeur des opérations maritimes à la Compagnie du Ponant. L’armement déploie depuis plusieurs années ses navires en Antarctique, lors de l’été austral et développe désormais une offre sur la zone Arctique.

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L'Austral en Antarctique ( © MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Une autre organisation à la passerelle
« Il s’agit de former nos jeunes officiers à une navigation qui est totalement unique, de les confronter à des conditions climatiques extrêmement particulières mais également une organisation de passerelle très spécifique », poursuit le commandant Vielfaure. En effet, en navigation dans les glaces, il y a du monde à la passerelle : le commandant qui supervise la manœuvre, l’officier glace qui surveille le mouvement des icebergs, l’officier de quart qui s’assure de la cohérence et de la sécurité de la route et souvent des renforts posté à l’avant et sur les ailerons pour surveiller les alentours. « Contrairement à toutes les autres passerelles, l’avis du commandant peut être contredit par ses officiers lorsque les circonstances l’exigent. C’est une manière de gérer les relations humaines qui est très différente. »

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L'Austral en Antarctique ( © MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le retour d'expérience des navigants
C’est cette dimension, entre autres, qui est enseignée lors du stage que suivent les officiers. En trois jours, ils vont également étudier la théorie –notamment celle relative à la formation et la dérive des glaces -, la sécurité dans une zone où les secours sont lointains et, donc, la navigation. « Nous avons travaillé avec les officiers de la Compagnie du Ponant pour identifier les besoins de formation et bénéficier de leur retour d’expérience. C’est avec eux que nous avons bâti les scénarios de simulation, de manière à ce qu’il corresponde à une situation très proche du réel », détaille Hervé Baudu. Le professeur de navigation a mis au service du projet sa connaissance pointue de la modélisation pour mettre en place des scénarios reproduisant fidèlement les conditions climatiques et les réactions du navire.

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( © MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Retrouver le sens marin
« L’idée n’est pas de donner une image exhaustive des scénarios que nos officiers pourraient avoir à gérer, pour la simple et bonne raison que, précisément, cette zone est totalement imprévisible. Il s’agit plutôt de les confronter à une autre manière de réfléchir, plus instinctive et de désinhiber ceux qui n’y ont jamais été», explique François Vielfaure. « Naviguer dans ces conditions, dans des endroits mal cartographiés, où les instruments ne suffisent plus, ramène à des réflexes ancestraux : regarder constamment l’eau et le ciel, analyser rapidement les éléments et réagir en faisant le meilleur compromis. Retrouver le sens marin, en fait », conclut Hervé Baudu.

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Iceberg au large du Groenland ( © MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)