La surveillance du littoral et de l'espace maritime a toujours été l'une des préoccupations de la Douane. Primitivement constituée par un cordon de guetteurs répartis le long des côtes sur les fameux « sentiers du douanier », la surveillance maritime douanière s'est progressivement équipée de moyens maritimes, aériens (12 avions, 5 hélicoptères) et d'un réseau de transmissions permettant une observation globale de l'activité en mer. Contribuant à l'Action de l'Etat en Mer (AEM), son objectif prioritaire est la lutte contre les fraudes, la contrebande (alcool, tabac, armes...) et les grands trafics illicites (narcotrafic). Sa flotte est aujourd'hui composée de 64 unités, réparties entre la métropole et l'outre mer. Les deux principales unités de la Douane sont les patrouilleurs hauturiers Jacques Oudart Fourmentin et Kermorvan, basés à Boulogne-sur-Mer et Brest. Construits par le chantier boulonnais Socarenam, ces bâtiments sont entrés en service en 2007 et 2008. Longs de 43.3 mètres pour une largeur de 9 mètres, ils sont armés par un équipage de 16 douaniers-marins et peuvent mettre en oeuvre quatre mitrailleuses (12.7 mm et 7.62 mm). Dotés de deux moteurs diesels Carterpillar et deux hélices, ils peventt atteindre la vitesse de 18 noeuds et, côté autonomie, franchir 1800 nautiques à 12 noeuds. Ces bâtiments hauturiers sont spécialement conçus pour être déployé loin des côtes sur une longue période, capacité qui manquait jusque là aux douaniers. Ainsi, les patrouilleurs sont conçus pour assurer une présence en mer de 300 jours par an, avec des missions embarquées de six jours, contre 36 à 48 heures maximum pour les vedettes garde-côtes classiques. (© : DOUANE) (© : DOUANE) C'est sur le Jacques Oudart Fourmentin que François Didierjean a récemment embarqué et nous fait vivre aujourd'hui cette mission avec les douaniers. Boulogne sur mer, 7 heures 30 du matin. Par un temps gris et venteux, je rejoints l'équipage déjà à bord depuis plusieurs jours. Le temps de me présenter au commandant et à son équipage (dont une femme officier), nous venons de passer l'écluse Loubet qui nous permet de rejoindre le large. Sur une mer d'hiver, bien grise et agitée, le patrouilleur fait route au 270 (bouée ZC1), puis au 030 (bouée ZC2) afin de remonter le rail Manche-Mer du Nord. Cette «autoroute maritime» concentre à elle seule prés de 25% du trafic mondial avec plus de 500 mouvements de bateaux par jour. La passerelle du Jacques Oudart Fourmentin (© : FRANCOIS DIDIERJEAN) Cap sur la cible Le centre opérationnel de Rouen nous a donné l'ordre de contrôler une «cible». Un cargo, battant un pavillon de complaisance, dont le dernier port de chargement est relativement «exotique». La passerelle, panoramique, est perchée relativement haut ce qui donne une excellente visibilité mais aussi une amplitude marquée dans les mouvements de tangage et de roulis, dont j'ai failli faire les frais... Les miracles de la technique, la pertinence des renseignements communiqués, le «flair» du personnel de quart nous permettent de « ploter » rapidement sur les écrans radars le vraquier. D'ici deux heures celui-ci sera en vue. La drome du Jacques Oudart Fourmentin (© : FRANCOIS DIDIERJEAN) Préparation de la visite du navire Pour ses interventions, chacun des patrouilleurs dispose de deux annexes semi-rigides. L'une est une embarcation rapide standard de type Zodiac, l'autre un Hurricane de 10 mètres équipé de deux moteurs inboard de 225 chevaux, de 10 sièges «jockey» pour son équipage, de moyens de communication et de navigation dont un radar. Cette embarcation rapide présente une bonne autonomie lui permettant de s'éloigner aux limites de portée radar de son bateau-mère. L'officier responsable de la mission décrit précisément la structure du cargo, la composition de l'équipage, les spécificités du chargement, les étapes de la fouille, les documents à inspecter et rappelle les droits et les devoirs de chaque partie. L'équipement sécurité, l'arme de service, la radio de chaque douanier sont contrôlés après la constitution des binômes. L'amélioration de la météo permet le déploiement rapide du Hurricane. La mise à l'eau, sécurisée par le système antiroulis du patrouilleur, se fait à une vitesse de 2 à 3 noeuds, avec une légère houle côté tribord. Mise à l'eau du Hurricane (© : FRANCOIS DIDIERJEAN) A bord du «client» Par VHF, le «client» est informé au dernier moment de notre venue. A prés de 40 noeuds, nous le rejoignons et montons à son bord par une échelle de pilote. Les formalités de politesse sont fermes, rapides mais courtoises. Comme prévu lors du briefing, les binômes se partagent automatiquement les missions. L'équipage est regroupé, les passeports contrôlés avec la crew list (le rôle d'équipage répertorie les marins présents à bord), les mouvements du personnel non nécessaire à la navigation interdits. La sécurité est le maître mot, le cargo n'étant pas à l'arrêt dans le rail. Les documents de bord dont la «Ship Store Declaration» qui retrace les entrées et sorties du tabac et de l'alcool du bord sont étudiés, le coffre ouvert et ce en présence du capitaine et de son second. Ces deux officiers sont Egyptiens, le reste de l'équipage étant Philippin. Tous les échanges sont en anglais. Les cabines du bosco, du chef mécanicien et du cuisinier, les frigos, le peak avant, le puits aux chaînes, le local barre, la machine... Les locaux et recoins sont visités avec soin. Visite de la cambuse (© : FRANCOIS DIDIERJEAN) Visite du peak avant (© : FRANCOIS DIDIERJEAN) Un officier dirige la manoeuvre à l'aide du plan du bord (© : FRANCOIS DIDIERJEAN) Fouiller ne s'improvise pas. Avant d'ouvrir une armoire, un rapide état visuel des lieux est réalisé. Ganté pour éviter toute éventuelle contamination et confusion de traces, aidé par un matériel sophistiqué (vidéo-endoscopes....) permettant d'aller dans les moindres recoins, le douanier selon un processus bien défini commence sa fouille. En quelques minutes, les objets et autres vêtements sont déplacés puis remis avec le même soin. Le second douanier du binôme observe discrètement les éventuelles réactions du marin qui nous accompagne. A chaque changement de zone de fouille, un rapport par talkie walkie est fait à l'officier responsable qui réoriente si nécessaire les binômes vers d'autres zones. En prés de deux heures, les objectifs assignés auront été remplis. Aucune substance illicite ou chargement illégal, aucun marin non déclaré ou passager clandestin n'ont été trouvés. Resté près du cargo, le Fourmentin nous retourne la drome. Le réembarquement est un peu plus sportif, la mer s'étant de nouveau formée. Chaque contrôle se conclut par un débriefing une fois le matériel rangé. Eventuels points à améliorer, manipulation perfectible du matériel, compréhension des ordres sont parmi les sujets abordés. Avant la tombée du jour, nous contrôlerons, cette fois à l'initiative du commandant et toujours dans les eaux territoriales, un second cargo qui s'avèrera aussi «blanc» que le précédent. Et c'est par un temps tout aussi gris que je débarquais à Boulogne avec la relève d'équipage du Fourmentin. Un avion de la Douane (© : DOUANE) Les compétences douanières Les éléments qui font la particularité de la douane en mer, par rapport aux autres administrations maritimes de l'Etat, s'expliquent par ses modalités de contrôles propres dont le contrôle de tous les types de navires, les vols d'identification à basse altitude, les pouvoirs juridiques étendues jusque dans la zone contiguë. Il s'agit d'une zone comprise entre 12 et 24 milles mesurés à partir des lignes de base de la mer territoriale et sous réserve d'accords de délimitation avec les Etats voisins. Sur cet espace, le service des douanes peut exercer les contrôles nécessaires en vue de prévenir les infractions aux lois et règlements que l'administration est chargée d'appliquer sur le territoire douanier, et poursuivre les infractions à ces mêmes lois et règlements commises sur le territoire douanier. La Douane dispose, aussi, de la possibilité de prolonger toute action dans la profondeur du territoire grâce à la surveillance terrestre. Pour toutes ces missions, elle dispose d'un réel savoir-faire. Si le code des douanes (article 323-1) indique que «Les infractions aux lois et règlements douaniers peuvent être constatées par un agent des douanes ou de toute autre administration», il ne reconnaît qu'aux agents des douanes le droit de les rechercher et a fortiori de les sanctionner. Lorsqu'une infraction en mer ou sur terre est découverte fortuitement, sans recherche préalable, par une autre administration, ce texte lui permet d'en informer la douane afin qu'elle la sanctionne. Ce cadre juridique définit en fait un cadre de coopération au bénéfice de la douane. Par François DIDIERJEAN CF(r) Le Fourmentin, ici à Cherbourg (© : MARINE NATIONALE)
Reportage : Avec la Douane, dans le sillage des contrebandiers
Par
Vincent Groizeleau
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16/02/2012

© FRANCOIS DIDIERJEAN