La retraite à 55 ans, le régime spécial des marins à l’ENIM, son financement, ses catégories de cotisation... régulièrement des rapports, notamment parlementaires, se penchent sur le fonctionnement de ce régime particulier, héritier d’une longue tradition au commerce et à la pêche. Et régulièrement également, sont pointés les problèmes de financement, le déséquilibre de la pyramide des âge, la viabilité de ce régime spécial... sans pour autant que l’on connaisse précisément les tenants et aboutissants de ses spécificités.
Pourquoi un départ à 55 ans?
Alors quand la loi Leroy sur l’économie bleue a commandé au Conseil Supérieur des Gens de Mer un « rapport portant sur les axes possibles d'adaptation du régime de protection sociale des marins dans l'objectif d'accroître tant l'attractivité du métier de marin que la compétitivité des entreprises », l’Union fédérale maritime CFDT y a vu l’occasion d’essayer de mettre les choses à plat. « Nous avons voulu apporter notre contribution, pour notamment expliquer les liens entre le régime spécial de retraite et le droit du travail spécifique qui s’applique aux marins. Nous avons également voulu voir comment les critères de pénibilité, tels que définis par le régime général, se traduisaient concrètement dans la réalité des bords », expliquent Delphine De Franco, secrétaire générale adjointe de l’UFM CFDT et Paul Golain, secrétaire général du syndicat maritime CFDT Normandie. Un véritable travail de fond qui a été confié à deux cabinets spécialisés sur ces questions et financé par le syndicat. « Il s’agissait pour nous de donner une explication concrète et claire de la raison pour laquelle les marins bénéficiaient d’un régime spécial et notamment d’un départ à la retraite à 55 ans. Ce que nous souhaitons, c’est qu’à travers ces différentes explications, on puisse comprendre que ce qui peut parfois paraître comme un avantage, est justifié à la fois par les conditions d’exercice du métier des navigants et par le droit du travail maritime qui leur est appliqué »
Des exigences médicales et de formation professionnelle
Le rapport, qui a été remis cette semaine au Conseil Supérieur des Gens de Mer, établit dans ses premières pages l’« intérêt de la comparaison du droit commun du travail et du droit du travail maritime pour une étude sur le régime spécial de retraite des marins ». Ainsi, les juristes ont comparé de nombreux points de droits s’appliquant aux travailleurs du régime général et celui s’appliquant aux marins. Ils pointent notamment l’exigence d’aptitude médicale et la formation professionnelle continue qui imposent aux marins un important nombre de renouvellement de certificats et brevets. Les auteurs notent, dans ces domaines, « un fort interventionnisme de l’Etat », « remarquable par son détail et son ampleur » et ce alors même que l’activité des marins relève essentiellement du secteur privé. Analysant ces différentes spécificités, ils en concluent que « l’attention des pouvoirs publics aux conditions de santé et de sécurité des nouveaux marins est extrêmement révélatrice des conditions d’exercice de l’activité professionnelle sur un navire. Ce sont en effet les conditions de travail risquées et contraignantes d’exécution qui conduisent l’Etat à adopter une telle réglementation exigeant un contrôle de l’état de santé et des compétences des marins. De sorte que les exigences d’aptitude et de formation professionnelle apparaissent comme le reflet des conditions difficiles et dangereuses dans lesquelles les marins exercent leur activité ».
Un droit du travail maritime moins protecteur que le droit général
Se penchant ensuite sur le temps de travail des navigants, les auteurs constatent qu’il s’agit là du domaine où la différence avec le droit commun est la plus marquée en raison des conditions particulières de l’exercice du métier. Astreintes, durée maximale de travail, durée de temps de repos et de pause, absence de prise en considération du travail de nuit... Dans tous ces domaines, le droit qui s’applique aux marins est dérogatoire et, dans un sens, moins favorable que celui des salariés du régime général. « En cela, le droit du travail maritime révèle fidèlement les sujétions auxquelles les marins se trouvent soumis et avec lesquelles ils doivent composer », expliquent les auteurs. Et les spécificités ne s’arrêtent pas là : les marins relèvent d’un régime disciplinaire spécifique et ont un mode de rémunération, en particulier à la pêche, particulièrement dérogatoire, notamment en matière de fixation du salaire minimum.
C’est à l’aune de toutes ces constatations que les juristes estiment que « les adaptations réalisées par le droit du travail maritime se font au détriment des marins, qui se retrouvent moins protégés par le droit du travail maritime qu’ils ne le seraient par le droit commun du travail ». Et que « l’exercice du métier de marin se traduit donc aussi par la concession d’un certain nombre de garanties et de protections offertes par le droit commun du travail ». Et pour les juristes, le fait que l’Etat ait pris le soin de créer tout un arsenal de lois s’appliquant au travail des marins n’est pas anodin. Cela « témoigne de la faculté du législateur de prendre en considération des spécificités concrètes du travail maritime pour construire un régime juridique spécial ». Et d’en conclure que « dès lors, rien ne justifie qu’il n’en soit pas de même pour le régime spécial de retraite des marins ».
Ils vont même plus loin en poursuivant le raisonnement juridique. Que se passerait-il en cas de suppression du régime spécial des marins. Pas de deux poids, deux mesures, selon eux: « l’intégration du régime des retraites des marins devra-t-il s’accompagner d’un alignement complet du droit du travail maritime sur le droit commun du travail ? Cette hypothèse mériterait alors d’être envisagée. En effet, l’abandon du régime spécial de retraite des marins repose sur l’hypothèse (erronée) de la perte de spécificité de l’activité maritime. Mais, alors, une telle conclusion devrait également être étendue au droit du travail maritime : si l’activité de marin ne revêt plus d’originalité, quel est le sens du maintien du droit dérogatoire? »
Un élément d'attractivité du métier
Pour les représentants de la CFDT, il ne s’agit pas de demander davantage que le régime actuel sur la base de ces conclusions et de la deuxième partie du rapport, pointant l’exposition des marins à la quasi totalité des critères de pénibilité. « Nous avons voulu faire un état des lieux et faire un travail à la fois de terrain et d’explication. Ce que nous disons, c’est que le départ à la retraite à 55 ans ne vient pas de nulle part. Qu’il a toujours sa justification dans le contexte actuel. Nous ne demandons pas plus d’avantages que ceux que nous avons, mais nous voulons rappeler pourquoi il existe et pourquoi c’est aussi un élément de l’attractivité du métier ».
La concorde règne sur ce point entre les représentants du personnel et les armateurs. Pour l’instant, aucun projet de loi ne semble vouloir remettre en cause le régime des marins. « Nous avons simplement voulu apporter une contribution de fond, pour d’éventuelles discussions à venir ». Et tout simplement pour rappeler la réalité, complexe, de la vie professionnelle des marins.