Encore un rebondissement dans l'affaire SeaFrance et une incroyable volte-face du gouvernement qui a fini par annoncer, hier midi, son soutien au projet de Société coopérative et participative (SCOP), porté par le syndicat CFDT de la compagnie. C'est Nathalie Kosciusko-Morizet qui l'a annoncé, à la sortie d'une réunion à l'Elysée regroupant tous les ministres concernés. Pourtant, trois heures auparavant, la même ministre était sur l'antenne de la matinale de France Inter où elle déclarait que l'aide à la SCOP était « impossible », ajoutant que : « C'est bien la SCOP. Le problème, c'est qu'il faut 50 millions d'euros », une somme dont le projet ne dispose pas. A la radio, la ministre avait également rappelé l'interdiction d'aides d'État prononcée par la Commission européenne. Cela, après que le ministre des Transports, Thierry Mariani, ait fustigé vendredi dernier l'attitude de la CFDT, la qualifiant notamment de « fanatisme », après que les responsables syndicaux aient refusé de rencontrer les armements LDA et DFDS. Ces derniers avaient fait une offre de reprise de SeaFrance, avant de finalement jeter l'éponge face à l'opposition syndicale. « Nous n'avons pas changé de position, nous avons simplement dit: "le principal c'est l'emploi". Maintenant, un projet a été rejeté (l'offre LDA/DFDS, ndlr), c'était le plus intéressant, c'était le seul solide. Il nous reste un projet de SCOP, qui n'est absolument pas financé (...), bref, il manque 40 millions d'euros », a déclaré Thierry Mariani à l'Agence France Presse. Volte-face gouvernementaleBien que le ministre récuse un changement de position, la donne a bel et bien changé en deux heures de temps hier matin. Si l'influence présidentielle, dans un contexte de précampagne électorale, est évidente dans ce retournement de situation, le montage juridique qui devra être mis en place pour aider la SCOP l'est beaucoup moins. Le contexte légal est extrêmement contraint par les règles communautaires. La seule solution trouvée par le gouvernement pour le financement de du projet est l'utilisation des indemnités perçues par les salariés en cas de cessation d'activité, des enveloppes « majorées par des indemnités extra-légales », a expliqué Nathalie Kosciusko-Moriset. La ministre a également indiqué qu'une autre « formule » consisterait à verser aux salariés des avances sur les droits au chômage. Ce serait donc aux salariés de réinjecter dans la société coopérative l'argent leur étant destiné. Un montage basé sur les indemnités de chômage Concrètement, cela signifie qu'il faut prononcer la faillite de SeaFrance, ce qui permettra d'ouvrir les indemnisations de licenciement. Et qu'ensuite, ce sera à chaque salarié de décider de les affecter ou non à l'achat de parts dans la SCOP. Ce qui n'est pas un « cadeau » gouvernemental, comme on a pu l'entendre, puisqu'il s'agit d'un droit à indemnisation pour lequel les salariés ont cotisé. Le seul coup de pouce de l'Etat consisterait à permettre un versement anticipé. Par ailleurs, le paiement d'indemnités supplémentaires évoqué par NKM sera sans doute attentivement examiné par les juristes des concurrents de SeaFrance, qui ne manqueront pas de vérifier leur euro-compatibilité. Jeu d'équilibriste ou effet d'annonce du gouvernement ? Reçu hier à Matignon par le premier ministre, Guillaume Pépy, patron de la SNCF, maison-mère de SeaFrance, a promis des réponses « dans les heures qui viennent » sur les modalités d'aides du gouvernement. La CFDT s'est montrée prudente après ces annonces. « Nous sommes bien évidemment satisfaits de cette proposition, mais nous attendons de savoir exactement ce qu'il y a dedans », a déclaré le secrétaire du comité d'entreprise de SeaFrance, Eric Vercoutre, à l'Agence France Presse. La problématique de la flotte Il restera, enfin, à considérer la problématique de la flotte. Initialement, le projet de SCOP proposait de reprendre les quatre navires pour 1 euro. Or, ces bateaux, propriété de la SNCF, une entreprise publique, peuvent être considérés comme un bien patrimonial de l'Etat. Les céder pour l'euro symbolique à une société privée paraissait très compliqué juridiquement car, là encore, cela pourrait être assimilé à une aide d'Etat. D'autant que la SNCF devrait alors se priver du produit de la vente de ces navires pour éponger le passif de SeaFrance, qui resterait à la charge du groupe public. Dans le cadre de la piste lancée hier par le gouvernement, cette approche concernant la flotte évoluerait. Cette fois, il s'agirait donc d'aller jusqu'à la liquidation de la compagnie, ce qui se traduirait par une vente aux enchères des navires, avec comme idée qu'ils soient rachetés par la SNCF afin que celle-ci les loue à la SCOP. Une solution très délicate pour le groupe public, entrainé par l'Elysée sur une piste des plus aventureuses. Quant à la SCOP, cette formule de location serait moins avantageuse financièrement puisque les navires devraient être affrétés au prix du marché, afin d'éviter les recours des autres compagnies pour des motifs de concurrence déloyale. Enfin, et peut-être surtout, cette option n'offre aucune garantie quant à la sauvegarde de l'outil naval. « Rien ne garantit que la SNCF sera en mesure de racheter les navires en cas de liquidation judiciaire. Rien ne nous dit que d'autres repreneurs ne se tiennent pas en embuscade pour récupérer les navires une fois la liquidation prononcée », estime l'avocat des salariés de SeaFrance. Au tribunal de trancher A la lumière des dernières évolutions intervenues hier dans le dossier, maître Philippe Brun ne s'est d'ailleurs pas montré emballé par le projet esquissé par le gouvernement : « Que l'Etat s'intéresse enfin au dossier SeaFrance, c'est une bonne chose. Mais la manière dont il s'y prend, et les solutions qu'il propose, sont mauvaises. C'est un montage juridique abracadabrantesque, qui a peu de chances d'aboutir (...) Si le gouvernement veut vraiment accorder un coup de main pour sauver SeaFrance, le plus simple serait de faire appel au FSI (fonds stratégique d'investissement), comme nous l'avons demandé ». On attend, maintenant, de connaitre la décision du tribunal de commerce de Paris, qui doit statuer sur le projet de reprise de SeaFrance et déterminer l'avenir de la compagnie. L'audience est prévue aujourd'hui, le tribunal devant rendre sa décision dans un délai maximum de 10 jours.
SeaFrance : Le gouvernement annonce son soutien au projet de SCOP
Par
Caroline Britz
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02/01/2012

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