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Dans quelques mois, ils seront tous à Dunkerque. Les Oceanic Challenger, Geo Celtic, Geo Caribbean, Geo Coral, CGG Alizé, Oceanic Phoenix : toute la flotte sismique sous pavillon français de GeofieLD, co-société entre CGG et LDA, y sera progressivement désarmée. Et avec elle, un savoir-faire bien spécifique que l’industrie tricolore risque de perdre définitivement.

Les temps sont durs pour le groupe français spécialiste de la géophysique CGG et toute la filière pétrolière, victime de la chute du baril de pétrole. CGG perd de l’argent, beaucoup d’argent depuis plus d’un an. Le troisième trimestre a vu une perte de plus d’un milliard d’euros. Un bilan catastrophique qui a immédiatement provoqué un nouveau plan d’austérité avec des licenciements, dont 190 dans les sites français de CGG, et le désarmement des navires de GeofieLD.

Un coût d'exploitation important

Pourquoi les désarmer ? Il y a plusieurs explications, la première étant évidemment le coût d’exploitation important de ces navires ultra-spécialisés : maintenance et ravitaillement à la mer, rotations de personnels, équipements couteux et délicats à mettre en œuvre, des spécialistes et du matériel capable d’analyser en temps réel les données recueillies… l’acquisition sismique en mer a un prix : plusieurs centaines de milliers de dollars par jour pour les navires les plus sophistiqués. Une dépense que les majors, qui perdent beaucoup d’argent avec un baril à 45 dollars, rechignent désormais à faire. Avec une visibilité nulle sur l’évolution du cours du pétrole, les grosses compagnies pétrolières se concentrent sur l’optimisation de leurs exploitations en cours et reportent sine die les dépenses de prospection. 

« Depuis septembre 2013, les compagnies pétrolières ont fortement réduit leur budget d’exploration avec un volume d’activité réduit par presque trois. La conséquence de cette baisse d’activité, qui dure depuis désormais plus de deux ans, se traduit dans une baisse des prix d’acquisition marine, qui ont été divisés également par trois et qui aujourd’hui ne couvrent pas les coûts cash de fonctionnement de nos navires, c’est-à-dire les coûts avant amortissements des matériels/équipements et des navires», explique-t-on chez CGG

Le problème de la surcapacité

Et puis il y a la surcapacité. Ces dernières années, alors que l’industrie offshore caracolait en haut de son cycle, on a massivement commandé : beaucoup de navires de ravitaillement, de releveurs d’ancres, de navires de travaux et, bien sûr, d’unités sismiques. Par série de six, avec des designs innovants, comme les RAM Form de PGS  ou les X-Bow de CGG et Polarcus… le marché sismique n’a pas échappé à la fièvre de la fin des années 2000. Sauf qu’un cycle est un cycle et quand le marché a commencé à ralentir, bien avant la chute du prix du pétrole de 2014, il y avait déjà trop de bateaux. Et d’autres encore en construction. La rationalisation, sans doute nécessaire, se fait dans la douleur depuis presqu’un an. Elle n’épargne personne : ni les Américains de WesternGeco, ni les Norvégiens de PGS ou Dolphin, ni les Emiratis de Polarcus. Et pas plus CGG. Le groupe, un des fleurons de la filière parapétrolière française dans lequel l’Etat possède, via l’IFP et la BPI, près de 10%, a vu sa flotte passer de 23 à 5 navires en trois ans. Et ces 5 derniers sont norvégiens.

Un partenariat industriel de longue date entre CGG et LDA

Au-delà de toute considération cocardière, ce dernier constat pose des questions, notamment de stratégie industrielle nationale. L’acquisition sismique en mer est un métier de spécialistes, dont l’émergence s’est faite progressivement. Dans les années 1990, on a commencé à transformer des chalutiers pour en faire des bateaux capables de trainer des flûtes d’acquisition sismiques. Des bateaux rustiques qui se spécialisent progressivement, avec la modernisation des équipements d’acquisition et d’analyse.  Dès cette époque, l’armement LDA se positionne sur ce segment et noue un partenariat avec CGG, qui possède des navires. LDA arme une partie de la flotte de CGG, les marins se spécialisent dans cette navigation un peu particulière qui impose une maintenance en flux tendu et une très grande souplesse opérationnelle. Quand, à la fin des années 2000, CGG veut rationaliser la gestion nautique de ses navires, elle choisit de ne conserver que deux interlocuteurs : le Norvégien Eidesvik et le Français LDA, à qui elle confie la majeure partie de ses bateaux en propriété. Ce dernier gère, à ce moment-là, une flotte d’une dizaine de navires, dont certains passent du pavillon norvégien au pavillon français. Une structure commune entre CGG et LDA, GeofieLD, est créée.

Des différences de rapports contractuels entre LDA et Eidesvik

Puis tout s’arrête avec l’annonce de début novembre. « Tout le monde savait que ça allait mal, il y avait déjà des bateaux désarmés ou vendus, y compris sous pavillon français. Ce qui a surpris, c’est cette décision  brutale d’arrêter tous les bateaux français », témoigne un professionnel du secteur. Il y a sans doute beaucoup d’explications à cette décision de CGG. L'une d’entre elles tient sans doute aux rapports contractuels qui lie le groupe à ses deux gestionnaires nautiques. GeofieLD armait des navires en propriété. Eidesvik, mis à part les X-Bow Oceanic Sirius et Oceanic Vega en copropriété avec CGG, fréte les Oceanic Endeavour (jusqu’en avril 2018), Geo Caspian (février 2017) et Oceanic Champion (Juin 2020). Sans connaître les termes de la charte-partie d’affrètement de ces derniers, on peut aisément concevoir qu’elle prévoit des grosses pénalités en cas de rupture du contrat.  Des sommes sans doute plus importantes que celles prévues dans les relations contractuelles entre CGG et LDA. « Dans un premier temps, nous avons réduit la flotte de 23 à 11 navires avec un impact minimal sur les navires français.  Les conditions de marché nous forcent malheureusement aujourd’hui à n’opérer plus que 5 navires et à arrêter les navires dont nous sommes propriétaires. Il se trouve et nous le déplorons que ces bateaux propriétaires sont aujourd’hui opérés par notre partenaire LDA », poursuit-on chez CGG.

Les contraintes spécifiques de la constitution d'équipage sismique

Sauf que cet état de fait, que l’on peut comprendre d’un point de vue financier, emporte d’importantes conséquences de stratégie industrielle. Mettre la flotte française sous cocon jusqu’à la fin des chartes-parties des navires affrétés, comme l’a annoncé CGG, va provoquer une perte de la compétence des équipages. Puisqu’on n’arme pas un navire sismique comme on veut. Les très hautes exigences de l’industrie offshore, notamment dans le domaine QHSE, imposent désormais une « matrice » pour la constitution de l’équipage. Les marins, outre les très nombreuses formations et certificats spécifiques à l’offshore, sont subordonnés à des conditions très précises d’expérience et de navigation, dans une période de temps spécifique. Si l’on arrête d’armer avec des équipages français, ceux-ci vont rapidement perdre ces « antériorités » et cette expérience. Et quand bien même le marché irait mieux dans quelques années, il sera sans doute difficile de « réamorcer la pompe » pour reconstituer des équipages tricolores. Il n’est donc pas complètement impossible d’imaginer que la filière française va s’éteindre et, qu’à la fin des chartes-parties liant CGG à Eidesvik, ce seront les équipages norvégiens, qui seront, eux, toujours titulaires des qualifications nécessaires pour la « matrice », qui pourraient armer les navires propriétés de CGG. « De notre côté, nous planifions de ramener ces navires propriétaires pour remplacer les navires en location à la fin des chartes.  Nous espérons que les marins français ayant acquis un savoir-faire en acquisition sismique marine pourront trouver à se reclasser dans d’autre segments d’activité et qu’ils pourront à terme reprendre leur activité lorsque le marché sismique le permettra», précise-t-on chez CGG.

La question du rôle de l'Etat

La France, qui a été un des berceaux de la prospection sismique, risque donc de perdre un savoir-faire qui pourrait s’avérer pourtant stratégique dans les années à venir quand, mécaniquement, le cycle va repartir et que les compagnies pétrolières devront reprendre leurs prospections.

CGG vient de lancer une augmentation de capital de 350 millions de dollars sur les marchés, entre autres pour financer son plan de restructuration. L’Etat, via la BPI et l’IFP, a déjà annoncé sa participation à cette opération. Une position dénoncée par la CFDT qui demande à l’Etat « de négocier la rupture de ces contrats d’affrètement » des bateaux norvégiens et « d’exiger le réarmement de deux navires sous pavillon français, afin de sauvegarder ces emplois aux compétences stratégiques pour l’avenir de l’industrie pétrolière française ».

On sait la situation suivie de près au cabinet d’Emmanuel Macron, le ministère de l’Economie et des Finances. Reste à voir quelle va être sa position sur la perte éventuelle de cette filière.

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