De Marseille à Saint-Nazaire, les syndicats appellent le gouvernement à mettre tout son poids dans la balance pour que la SNCM puisse commander au plus vite ses nouveaux navires, et ce dans les chantiers français. A l’approche du prochain Conseil de surveillance de la compagnie, prévu le 25 février et qui doit donner ou non son accord au lancement effectif du projet, les organisations syndicales ont décidé de mettre la pression sur l’Etat. « Tous les moyens humains, techniques et financiers nécessaires à la construction de ces navires doivent être mis en œuvre, tant pour des questions d’emploi, que pour des questions de savoir-faire et de technologie », viennent d’écrire au ministre des Transports la CGT de STX France et la CGT des Marins de Marseille, unies depuis plus longtemps sur ce dossier. « L’Etat est actionnaire de nos deux entreprises (25% dans la SNCM et 33.34% dans STX France, ndlr), il dit vouloir relancer l’industrie et soutenir la création d’emplois. Il se doit par conséquent d’agir dans ce dossier. Il y a en tous cas urgence pour la SNCM car s’il n’y a pas confirmation du renouvellement de sa flotte le 25 février, cela posera un vrai problème pour l’avenir de la compagnie », martèle-t-on dans l’estuaire de la Loire.
Mobilisation syndicale généralisée
Et la CGT n’est pas la seule à monter au créneau. A Marseille et Saint-Nazaire, la CFE-CGC fait également front commun : « Dans une démarche de relance de l'économie nationale, les besoins techniques de la SNCM doivent être une réponse aux besoins de remplissage du plan de charge de STX France », ont fait savoir en octobre dernier, au premier ministre et aux ministres du Redressement productif, des Transports et de l’Economie, les représentants CFE-CGC de STX France et de la SNCM. Une position qui n’a pas évolué aujourd’hui : « Ils ont besoin de bateaux, nous avons besoin de boulot. Il y a une vrai logique économique et industrielle, d’autant que ces navires seront très innovants, avec une propulsion au gaz, une technologie que très peu de chantiers maîtrisent, notamment au niveau des cuves de stockage du GNL », explique un délégué nazairien.
Chez Force Ouvrière, on avance également groupé sur le sujet : Les Unions départementales des Bouches du Rhône et de Loire Atlantique, ainsi que les sections des chantiers et de la compagnie, estiment qu’il y a « urgence » et appellent « le gouvernement à prendre ses responsabilités ». Enfin, la CFDT parachève la mobilisation générale des syndicats en faveur de la commande chez STX France des navires de la SNCM : « Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser partir une commande comme celle-ci, qui représente de nombreuses années de travail pour le chantier et ses sous-traitants ».
L’Etat planche toujours sur une solution
Du côté du ministère des Transports, en charge de ce dossier, c’est pour le moment le silence radio. Lors du Conseil d’administration du 25 février, l’Etat va-t-il pousser pour qu’un feu vert soit donné à la direction de la SNCM afin que celle-ci puisse enfin signer une lettre d’intention avec le chantier retenu ? Chez Frédéric Cuvillier, on ne souhaite pas encore s’exprimer sur cette question. Mais les services concernés continuent de plancher sur une solution, à commencer par le financement, l’un des points cruciaux du projet. On s’en souvient, le dernier Conseil de surveillance de la SNCM, le 24 janvier, avait donné son aval à la mise en œuvre du plan de redressement de la compagnie, qui inclut notamment l’acquisition d’une nouvelle flotte mieux adaptée et plus rentable. Sur ce point, la direction avait été mandatée pour finaliser les négociations avec les constructeurs et présenter les offres aux actionnaires (66% Transdev, 25% l’Etat et 9% les salariés) lors du prochain Conseil de surveillance. Le mois dernier, le gouvernement avait avancé, comme piste pour assurer le financement, le recours à la Caisse des Dépôts et Consignations (coactionnaire avec Veolia de la SNCM via leur société commune Transdev) et à la Banque Publique d’Investissement. Un groupe de travail a été créé à cet effet. Ses travaux « avancent bien » selon une source proche, qui indique que ses préconisations devraient être rendues d’ici « un mois, un mois et demi ».
Une lettre d’intention avant la commande
Un délai qui renvoie donc après le 25 février, ce qui n’est pas rédhibitoire pour le projet. Le prochain Conseil de surveillance doit, en effet, seulement se prononcer sur la signature d’une lettre d’intention. Un simple accord stipulant que la compagnie s’engage à faire construire ses navires dans tel ou tel chantier, pour un montant et un calendrier donnés. Il faut ensuite que ce choix soit entériné par une commande ferme et définitive, constituant le vrai contrat engageant. Cela peut prendre quelques mois, le temps de boucler le montage financier.
Le casse-tête du financement
Le financement est un aspect extrêmement important dans cette affaire effroyablement complexe. D’abord, il convient de trouver une solution « non consolidante » pour Veolia, car le groupe, coté en bourse, ne veut pas que le projet de la SNCM impacte ses résultats et son endettement, ce qui pourrait avoir une incidence éventuelle sur l’appréciation des marchés. Veolia est d’autant plus intransigeant sur le sujet qu’il n’a pas caché son intention de se désengager de la SNCM. Le projet doit donc être mené en tenant compte des conditions permettant la sortie du capital de Veolia/Transdev. Avec, concomitamment, la recherche d’un nouvel actionnaire industriel, à même de reprendre la barre de l’armement et soutenir son plan de redressement. Et comme si la situation n’était pas assez compliquée, l’Europe maintient une épée de Damoclès au dessus de la SNCM, puisqu’elle réclame toujours le remboursement de 440 millions d’euros d’aides publiques, considérées comme indument perçues. Dans ces conditions, il n’est pas difficile d’imaginer que les banques rechignent à prêter l’argent nécessaire à la commande des navires. Surtout que l’Etat ne peut couvrir comme il le fait d’habitude le financement d’une commande à Saint-Nazaire via la Coface, dont le champ d’action se limite à l’exportation. D’où l’idée de recourir à la CDC et la BPI, en vérifiant notamment que cette solution soit euro-compatible et ne soit donc pas considérée par Bruxelles comme une aide publique.
L’ombre des municipales
Alors que l’Elysée et Matignon sont, apparemment, directement intervenus au mois de janvier, afin d’appuyer la décision du Conseil d’administration concernant la mise en œuvre du plan de redressement, le dossier SNCM demeure éminemment politique. Générant directement ou indirectement des milliers d’emplois à Marseille et en Corse, la SNCM est l’une des entreprises emblématiques de la cité phocéenne. Et les menaces pesant sur son avenir sont évidemment de nature à pouvoir perturber la campagne des élections municipales. Une campagne aux enjeux politiques non seulement locaux, mais également nationaux, puisque la gauche, en difficulté actuellement, peut détrôner la droite à Marseille et, ainsi, s’offrir un succès retentissant à même de masquer certaines défaites potentielles dans d’autres villes. C’est l’une des raisons pour lesquelles les syndicats veulent à tout prix qu’une décision engageante concernant les nouveaux navires soit prise avant les élections. Ils redoutent en effet que l’Etat, malgré le soutien affiché publiquement, joue en fait la montre pour renvoyer au-delà du scrutin des décisions difficiles : en clair la liquidation de la compagnie, au cas où sa situation serait jugée inextricable.
Dans cette perspective, les représentants du personnel considèrent le Conseil de surveillance du 25 février comme un véritable test. C’est là, disent-ils, que le gouvernement doit montrer ses intensions. Même si, encore une fois, seule une lettre d’intention est en jeu et que si celle-ci est obtenue, il faudra encore que la commande soit ensuite confirmée.

Projet de nouveau navire de la SNCM (© : SDI)
Plusieurs chantiers en lice
Par ailleurs, il faut rappeler que Saint-Nazaire n’est pas le seul chantier en lice. STX France est en compétition avec son grand concurrent italien, Fincantieri, ainsi que l’Allemand Flensburger Shiffbau-Gesellschaft (FSG). Le choix se jouera notamment sur le prix, ainsi que sur la capacité des candidats à livrer la tête de série au printemps 2016, ce qui laisse très peu de temps pour mener à bien les études et la réalisation d’un prototype innovant. Son outil industriel étant saturé en 2016 avec la livraison, cette année là, du plus grand paquebot du monde et du nouveau navire de Brittany Ferries, STX France a trouvé une solution en s’alliant à un autre constructeur nord-européen pour assurer une première livraison en 2016. Saint-Nazaire a donc levé l’un des obstacles majeurs pour décrocher cette commande, qui portera sur deux navires, avec une option pour au moins deux autres. Reste maintenant la question du prix, dans un environnement concurrentiel extrêmement fort qui voit certains chantiers étrangers pratiquer actuellement des tarifs très bas pour remplir leurs cales.