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Le Conseil de surveillance de la SNCM a refusé, hier, de donner mandat à la direction de la compagnie pour entrer en négociations exclusives avec STX France, dans la perspective d’une commande prochaine de nouveaux navires. Le choix de Saint-Nazaire, allié à un autre chantier pour assurer une livraison dès 2016 (les cales du constructeur français sont pleines cette année là), a en effet été préconisé par la direction de la SNCM, devant l’offre de l’Italien Fincantieri et celle de l’Allemand FSG.

Si la qualité des propositions et du travail réalisé par les équipes techniques de la compagnie ont été salués selon un participant, la douche froide a succédé aux compliments. En effet, sur les 14 membres du Conseil de surveillance, les 6 représentants de Veolia et Transdev ont voté contre l’octroi du mandat, alors que les quatre représentants salariés se sont prononcés pour, de même que Gérard Couturier, président du Conseil de surveillance. Tout reposait donc sur les 3 représentants de l’Etat, qui se sont finalement abstenus, faisant de facto pencher la balance du côté du « non ». Une position vivement critiquée par les syndicats, qui ne comprennent pas que le gouvernement refuse de permettre à la compagnie d’engager un projet vital pour sa pérennité. De Marseille à Saint-Nazaire, la CGT se dit « scandalisée » et ne mâche pas ses mots : « Le comportement des représentants de l’Etat est lamentable, cela démontre qu’il n’y a aucune volonté politique pour faire renouveler la flotte de la compagnie marseillaise et donc d’assurer l’avenir même de la SNCM », lâche le syndicat.

 

 

« Les services de l’Etat sont mobilisés » affirme Frédéric Cuvillier

 

 

Le ministre des Transports, en première ligne sur ce dossier, explique l’abstention des représentants de l’Etat de plusieurs manières : « Le 9 janvier dernier, j’ai engagé un travail sur le montage financier permettant le renouvellement de la flotte de la SNCM ; j’ai demandé à la BPI et à la CDC de me faire des propositions sous deux mois, afin qu’elles soient présentées au conseil de surveillance de la SNCM le 15 avril au plus tard, pour une commande avant le 30 juin 2014. Ce travail est en cours. Plusieurs options sont à l’étude et les services de l’Etat sont mobilisés pour les expertiser et dégager une solution robuste, conforme à la réglementation et qui évite de nouveaux recours. Les échéances seront tenues. En parallèle, des travaux techniques sont en cours pour préparer la commande des navires. Ils ne sont pas stabilisés : il y a encore du travail à faire sur les prix, les spécifications, et les délais de livraison. Dans ces conditions, il n’était pas possible d’anticiper les échéances actées par l’ensemble des partenaires début janvier », a affirmé hier Frédéric Cuvillier.

 

 

La question du financement

 

 

Le ministre met donc en avant la question du financement des nouveaux navires, évidemment cruciale dans cette affaire. Surtout qu’il ne doit pas impacter les résultats et l’endettement de Veolia, actionnaire de la SNCM via Transdev, société commune du groupe et de la Caisse des Dépôts et Consignations (Transdev détient 66% de la compagnie, aux côtés de l’Etat pour 25% et des salariés pour 9%). Veolia, qui souhaite se désengager au plus vite de la SNCM, ne veut pas que le plan de développement de l’armement influe sur son cours en bourse, notamment par un alourdissement de son endettement. C’est pourquoi Frédéric Cuvillier a avancé, en janvier, une solution impliquant la Banque Publique d’Investissement (BPI) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Cela, alors que la direction de la SNCM a proposé une autre alternative, jugée crédible par plusieurs membres du Conseil de surveillance. Un financement privé et « déconsolidant » pour Veolia, c'est-à-dire sans impact, dont on ne connait cependant pas les contours exacts mais qui ferait apparemment appel, en partie, à des fonds internationaux. Cette piste ne semble toutefois pas avoir la faveur du gouvernement, qui attend d’en savoir plus sur l’option BPI/CDC.

Concernant cette dernière, l’un des principaux enjeux est de savoir si elle serait euro-compatible, c'est-à-dire si Bruxelles ne considèrerait pas l’intervention des deux organismes publics comme une aide d’Etat. Avec une Commission européenne d’autant plus vigilante qu’elle réclame toujours le remboursement de 440 millions d’euros d’aides publiques perçues par la SNCM entre 2007 et 2013. Un dossier qui est loin d’être clos et fait toujours peser une épée de Damoclès au dessus de la compagnie.

Le groupe de travail BPI/CDC continue donc, selon le ministre, de plancher sur le sujet. Des travaux auxquels, assez curieusement, la SNCM ne serait pas associée.

 

 

Les aspects techniques

 

 

Hier, Frédéric Cuvillier a également évoqué des questions techniques, expliquant que les travaux n’étaient de ce point de vue pas « stabilisés ». Etonnement puisque cela fait maintenant deux ans que la SNCM travaille sur son projet et que les navires souhaités n’en sont plus, depuis longtemps, au stade de l’ébauche. Innovant puisque faisant notamment appel à une propulsion au gaz naturel liquéfié, le projet est considéré comme techniquement mûr depuis de nombreux mois. Suffisamment précis, en tous cas, pour que nous en fassions un article de près de 15.000 signes, en octobre dernier, sur le design élaboré par l’armement et STX France, plans des nouveaux navires à l’appui (voir cet article). Il est en revanche vrai que les études détaillées ne sont pas réalisées, ce qui est normal puisqu’à l’instar de tous les grands projets en construction navale, cette phase, très coûteuse, n’intervient qu’après la signature du contrat. Il en va d’ailleurs de même pour le financement. Lettres d’intention et même commandes sont traditionnellement conditionnées au bouclage du montage financier, qui est très rarement finalisé au moment de la signature entre un armateur et un constructeur.

La SNCM aurait par exemple pu signer dès aujourd’hui une lettre d’intention avec STX France afin d’aboutir le projet, à commencer par le prix, avec un délai de plusieurs mois avant d’engager ou non la commande. Ce laps de temps aurait été mis à profit pour boucler le montage financier, en partant pourquoi pas sur la solution proposée par la direction et, si celle du tandem BPI/CDC s’était révélée meilleure, d’opter finalement pour cette dernière.

 

 

De report en report

 

 

Au lieu de cela, la décision finale sur le projet de nouvelle flotte, dont le premier navire devait initialement entrer en service en 2015, est encore reportée. Les syndicats réclament une avancée décisive à l’occasion du prochain Conseil d’administration, qui se déroulera le 7 mars, non plus à Marseille mais à Paris. Un espoir qui risque d’être déçu puisqu’à cette date, sauf grosse surprise, aucune avancée majeure n’aura été obtenue. A défaut d’une lettre d’intention, les discussions ne peuvent guère aller plus loin avec les chantiers et le groupe de travail BPI/CDC n’aura pas encore rendu ses conclusions (de source étatique, celles-ci sont attendues au plus tôt dans un bon mois). Quant au calendrier fixé avec les deux échéances du 15 avril et du 30 juin, ces dates ne correspondent à rien d’un point de vue industriel. Pire, la seconde est même clairement trop tardive pour permettre une livraison du premier navire neuf en mai 2015. Elles tombent en revanche après les élections municipales, prévues les 23 et 30 mars, ce qui éviterait, au cas où le dossier SNCM tournerait au vinaigre, une « pollution » de la campagne.

 

 

Vers une crise de confiance ?

 

 

D’où une inquiétude et même une méfiance grandissantes au sein de la compagnie, où l’idée d’un gouvernement jouant la montre se renforce de semaine en semaine. Avec, clairement, la crainte que la SNCM soit liquidée après les municipales. Face à ces soupçons, les arguments de Frédéric Cuvillier peinent de plus en plus à convaincre les salariés comme les observateurs. Alors que la CGT parle d’ « enfumage », même la CFE-CGC fait désormais preuve de défiance envers le ministre, accusant celui-ci de « manœuvres dilatoires ». Il faut dire que l’abstention des représentants de l’Etat lors du vote d’hier n’a fait que renforcer les soupçons. Car il ne s’agissait que d’autoriser la direction à engager des négociations exclusives avec les chantiers. En clair, signer une lettre d’intention, un document faisant office de prélude non engageant à une éventuelle commande. Il n’y avait en fait aucun risque financier et pas l’ombre d’un obstacle technique. Au contraire, cela permettrait d’affiner encore un peu plus le projet avant, dans les prochains mois, de prendre la vraie décision d’investir. Face aux doutes qui émergent à Marseille, on martèle dans l’entourage de Frédéric Cuvillier que l’Etat ne va pas lâcher la SNCM : « Il n’y a pas anguille sous roche. Le gouvernement se bat pour la SNCM et la détermination est forte pour assurer son avenir. Le travail continue et les services de l’Etat sont mobilisés, notamment pour trouver une solution de financement pérenne ». Dont acte. 

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