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Ce n’est pas encore une commande, pas même la signature d’une lettre d’intention, mais le projet de nouvelle flotte de la SNCM repart de l’avant. Le 7 mars, le Conseil de surveillance de la compagnie a enfin donné mandat à la direction de l’armement marseillais pour mener à bien les négociations finales avec les chantiers, en vue de la signature d’une lettre d’intention avec le constructeur lauréat. Le choix définitif doit être fait à l’occasion du prochain Conseil de surveillance, prévu le 18 mars. La décision de vendredi dernier constitue en tous cas une victoire pour les syndicats et la direction de la SNCM, qui avaient subi lors du précédent Conseil de surveillance, le 25 février, une véritable douche froide. Les trois représentants de l’Etat s’étaient en effet abstenus sur la question de la lettre d’intention, laissant de facto les représentants de Veolia et Transdev faire échec à une décision favorable, leurs six voix négatives l’emportant sur le vote favorable des quatre représentants des salariés et de celui du président du Conseil de surveillance.

 

 

Mobilisation après l’abstention de l’Etat le 25 février

 

 

La position de l’Etat avait alors provoqué d’importants remous et les élus locaux de PACA, de gauche comme de droite, sont largement montés au créneau, de même que les syndicats, tant à Marseille qu’aux chantiers de Saint-Nazaire. Une mobilisation générale qui, en pleine période de campagne pour les élections municipales, s’est révélée payante. En effet, alors que le dossier est semble-t-il une nouvelle fois remonté au plus haut niveau de l’exécutif, les trois représentants de l’Etat ont, le 7 mars, exprimé un vote favorable. Ce qui ouvre la voie, si tout va bien et que le Conseil de surveillance donne son feu vert le 18 mars, à la signature de la lettre d’intention avec le chantier lauréat.

 

 

L’Allemand FSG se retire de la compétition

 

 

On notera qu’il n’y a plus que deux constructeurs en lice pour ce projet, qui porte sur la commande de deux navires, assortie d’une option pour deux unités supplémentaires. En course jusqu’ici, l’Allemand Flensburger Shiffbau-Gesellschaft s’est retiré après avoir signé le mois dernier, avec la compagnie norvégienne Siem Offshore, un contrat portant sur la réalisation de deux grands navires de construction, livrables en février et juillet 2016. FSG n’a donc plus les capacités industrielles disponibles pour achever le premier navire de la SNCM en juin 2016, comme le souhaite la compagnie.

 

 

STX France face à Fincantieri

 

 

Les deux candidats restants sont les chantiers STX France de Saint-Nazaire et le groupe italien Fincantieri. Ce dernier ne manque pas de place, alors que son concurrent français n’est pas en mesure de réaliser seul la tête de série du projet SNCM avec une livraison en juin 2016. Cela, pour les mêmes raisons que FSG, son outil industriel étant saturé cette année là par l’achèvement du plus grand paquebot du monde (A34 – Oasis 3) et d’un  grand navire pour Brittany Ferries, qui doivent être respectivement livrés en mai et octobre 2016. STX France s’est néanmoins organisé pour pouvoir décrocher cette commande très intéressante. Pour résoudre le problème du premier navire, le chantier français entend nouer une alliance avec un autre constructeur européen, qui serait chargé de réaliser tout ou partie du premier navire, le second, prévu pour entrer en service en 2017, étant intégralement construit à Saint-Nazaire. Mais pour tenir le délai et les engagements, le temps presse, puisqu’il ne reste plus que 25 mois avant la mise en service de la tête de série, un délai très court pour mener à bien les études d’un prototype innovant doté d’une propulsion au gaz naturel liquéfié.

 

 

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© SDI

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© SDI

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Boucler le projet d’ici la fin juin

 

 

Il est donc impératif que la lettre d’intention soit signée dans la foulée du Conseil de surveillance du 18 mars, laissant trois mois pour boucler le montage financier et entériner la commande. Cela correspond au calendrier fixé par le ministre des Transports, qui a redit fin février son objectif de voir la commande signée avant le 30 juin. Quant au financement, le travail autour d’une solution impliquant la Caisse des Dépôts et Consignations (actionnaire de la SNCM au travers de Transdev, société commune de la CDC et de Veolia détenant 66% de la compagnie) et la Banque Publique d’Investissement se poursuivent. Proposée par Frédéric Cuvillier, cette option, pour laquelle les conclusions de l’étude de faisabilité menée par les services de l’Etat doivent être connues d’ici la mi-avril, n’est toutefois pas la seule envisageable. La direction de la SNCM travaille de son côté sur un financement privé, impliquant notamment des investisseurs internationaux. Cette piste continue de s’affiner.

 

 

Régler le problème de l’actionnariat

 

 

Dans le même temps, une solution doit être rapidement trouvée quant à l’actionnariat de la SNCM. Aux côtés de l’Etat, qui détient 25% de la compagnie, et des salariés (9%), Transdev n’a plus vocation à rester l’actionnaire principal. Car Veolia veut se désengager le plus vite possible de cette entreprise, dans le cadre du recentrage de ses activités sur les métiers de la propreté, de l’énergie et du traitement de la pollution. Quant à la CDC, qui doit normalement reprendre les parts de Veolia, elle ne souhaite apparemment pas conclure l’opération avant que la SNCM soit sortie de Transdev. C’est ce qu’affirme le président de Veolia : « La Caisse des Dépôts pourrait prendre le contrôle de Transdev mais, pour se faire, elle souhaite qu’il n’y ait pas la SNCM dans son périmètre. C’est la présence de la SNCM qui empêche aujourd’hui le désengagement de Veolia et la prise de contrôle par la Caisse », a déclaré samedi Antoine Frérot chez nos confrères de France Info.

L’Etat n’ayant aucune intention de renationaliser l’armement marseillais, privatisé en 2006, il faut donc trouver un nouvel investisseur privé. Une question que les syndicats et représentants des actionnaires salariés souhaitent aussi voir abordée à l’occasion du prochain Conseil de surveillance. Ils demandent, par ailleurs, que le patron de Transdev, Jean-Marc Janaillac, ainsi que celui de la CDC, Jean-Pierre Jouyet, prennent officiellement position.  Alors que des collectivités locales ont redit leur intérêt pour entrer éventuellement au capital de la SNCM, des discussions se sont poursuivies, ces dernières semaines, avec des investisseurs privés.

 

 

Le boulet des 440 millions à rembourser à l’Europe

 

 

Dans tous les cas, le handicap principal de la SNCM se trouve à Bruxelles. Il s’agit des deux fameuses injonctions de la Commission européenne réclamant le remboursement d’aides jugées indument versées par l’Etat. La facture s’élève en tout à 440 millions d’euros, répartie en deux procédures d’un montant de 220 millions d’euros chacune. La première porte sur le remboursement d’aides publiques versées entre 2007 et 2013 au titre du « service complémentaire » (renforts du service maritime durant les périodes de pointe, comme les vacances scolaires) intégré au contrat de délégation de service public pour la desserte maritime entre Marseille et les ports corses, dont la SNCM et La Méridionale sont titulaires. Ces 220 millions d’euros sont probablement les moins délicats pour la compagnie, dans la mesure où celle-ci n’a fait que répondre aux critères d’un marché public via le contrat de DSP. Si elle était obligée de rembourser, la SNCM pourrait alors se retourner contre la collectivité territoriale de Corse pour demander le règlement du service effectué. Une opération financièrement blanche, voire bénéficiaire pour l’armement qui a travaillé à perte sur cette période. Plus ennuyeuse est la seconde « amende » de 220 millions d’euros, visant la recapitalisation de l’armement au moment de sa privatisation il y a huit ans. L’injection de fonds par le gouvernement de l’époque pour permettre la reprise par des investisseurs privés (alors Butler Capital Partners pour 38% et Veolia pour 28%) semble difficilement justifiable et l’ancienne entreprise publique risque bien de devoir assumer l’erreur commise à l’époque par l’Etat. Des recours ont néanmoins été formulés et les procédures juridiques pourraient durer des années, avec entretemps de possibles négociations entre les parties prenantes permettant de reconsidérer une partie des remboursements et d’étaler le reste. C’est clairement sur ce scénario que mise l’armement et l’Etat.

 

 

Guerre ouverte avec Veolia

 

 

Un optimisme que Veolia refuse de partager, agitant régulièrement la menace des remboursements réclamés par Bruxelles. Antoine Frérot l’a redit samedi matin : « Ces amendes, 440 millions d’euros, le jour où elles sont exécutoires, elles tuent l’entreprise. Certains disent que ces amendes ne sont pas exécutoires (et donc) qu’il n’y a pas besoin de se biler (sic). Non ! Ces amendes le seront un jour au l’autre, j’en suis persuadé, au moins pour la seconde, et dans ce cas l’entreprise sera morte ». Le patron de Veolia, dont le groupe coté en bourse voit la SNCM comme un épouvantail pour les marchés (d’où la volonté de s’en séparer le plus vite possible), préconise donc de placer la compagnie sous la protection du tribunal de commerce de Marseille. En clair, un dépôt de bilan. Selon lui, cela permettrait, ainsi, de « mettre à l’abri les activités de la SNCM des amendes de Bruxelles ». Cette solution, déjà préconisée le 27 février par Antoine Frérot, avait alors provoqué une vive réplique de la SNCM : « La déclaration du président de Veolia indiquant ce jour sa volonté de placer la SNCM en situation de dépôt de bilan crée un impact commercial et social extrêmement préjudiciable pour la compagnie (…) Il convient de rappeler que l'Etat, dans son rôle d'actionnaire majeur de la SNCM, a rejeté toute solution qui passerait par une procédure collective pour la SNCM et a confirmé la nécessité de poursuivre la mise en œuvre du Plan Long Terme de la compagnie, de trouver un financement pour le renouvellement de sa flotte et la commande de quatre nouveaux navires, condition essentielle à la réussite de la restauration de sa rentabilité », avait alors réagi l’armement dans un communiqué. Les syndicats s’en étaient ensuite vivement pris au patron de Veolia, arguant notamment que le groupe n’était plus qu’indirectement actionnaire de la SNCM et que, si avis il devait y avoir, c’était à Transdev de s’exprimer.  

 

 

Le tribunal de commerce comme arrêt de mort ?

 

 

Il faut dire que le torchon brûle depuis des mois entre Veolia, l’Etat et la SNCM, les intérêts des uns ne rejoignant pas forcément ceux des autres, voire s’y opposant. Veolia fait tout pour cajoler les marchés financiers et, à ce titre, il est tout à fait logique que le groupe souhaite en finir au plus vite avec des menaces financières qui pourraient peser sur ses résultats. La SNCM, de son côté, est parvenue à mettre en place sur PLT dont l’un des principaux volets réside dans la modernisation de la flotte, qui nécessite un investissement de plusieurs centaines de millions d’euros. En fait, chacun est devenu un boulet pour la stratégie de l’autre, d’où l’urgence d’une séparation.

Concernant la proposition de dépôt de bilan de la SNCM, cette piste ne parait en théorie pas stupide puisqu’elle permettrait, sur le papier, de liquider le passif de la société, à commencer par les remboursements réclamés par Bruxelles. Sauf qu’au sein de l’entreprise, personne n’est dupe.  Si la compagnie est liquidée, elle le sera probablement définitivement. Ses actifs seront dispersés ici et là et ses parts de marchés reprises par son actuel partenaire, La Méridionale, et sa principale concurrente, Corsica Ferries. Se placer sous la protection du tribunal de commerce reviendrait en fait à signer l’arrêt de mort de la SNCM. Pour une raison bien simple : la perte de confiance de la clientèle, qui provoquerait à coup sûr un effondrement des réservations et donc des rentrées financières.  

 

 

Le redressement surprise d’une compagnie moribonde

 

 

Pour finir, il n’est pas inutile de rappeler que la situation de la compagnie a significativement évolué ces deux dernières années. Et c’est une donnée fondamentale du « problème » actuel puisque la grande majorité des observateurs imaginait que la SNCM allait mourir d’elle-même, rongée par son historique et ses relations sociales réputées inextricables. Seulement voilà, contre toute attente, le directoire, emmené par Marc Dufour, est parvenu à mettre en place avec les syndicats un plan de redressement crédible, impliquant la mise en œuvre d’un nouveau pacte social comprenant la suppression de 500 postes, une importante réorganisation et la remise à plat des usages. Des efforts significatifs auxquels même la CGT a finalement accepté d’adhérer, au nom de la pérennité de l’entreprise et de ses emplois. Grâce aux économies réalisées, l’armement prévoit de renouer avec les bénéfices dès 2015 et, après une période difficile cet hiver, a vu son manque provisoire de  trésorerie solutionné. Le dédommagement consenti par les assurances suite à l’accident du Napoléon Bonaparte fin 2012, avec le versement de 60 millions d’euros, donne une bouffée d’oxygène supplémentaire et même, en cas de besoin, la capacité d’honorer les premiers versements de sa future commande de navires neufs. Quant aux ventes, elles se portent bien et sont en avance, depuis février, sur les chiffres de l’année précédente. Cela permet de compenser progressivement le retard lié par la grève du mois de janvier, lorsque les personnels, craignant un abandon de l’Etat, on cessé le travail pour faire pression sur le gouvernement.

En somme, il semble bien que l’on assiste aujourd’hui, même si cela n’était pas gagné, à un véritable redressement, avec la possible résurrection d’un armement longtemps resté moribond. Pour la première fois depuis bien longtemps, la SNCM a en tous cas une stratégie, des perspectives et, du patron aux syndicats, tout le monde est motivé pour ramer dans le même sens. 

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