Didier Quentel porte sa polaire orange comme une seconde peau. Le sauvetage en mer, c'est toute sa vie. De son bureau dominant la digue Sainte-Barbe, au Conquet (29), il regarde dorénavant les vedettes partir sans lui vers le large. Mais après 23 ans à la tête de la station SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) du bout de la terre, l'homme porte un regard aiguisé sur l'association. Pendant sa longue présidence, il a vu son activité évoluer. Et les moyens financiers, inlassablement manquer.
C'est quoi le quotidien d'un président de station ?
« C'est d'abord de l'administratif. J'y passe une heure par jour en moyenne. On reçoit des courriers, on doit écrire des rapports que l'on transmet à l'étage supérieur, à chaque fois que l'on sort en mer, il y en a une trentaine dans l'année. Mais la tâche la plus compliquée, c'est de trouver des fonds pour subsister. Alors, on va chercher les particuliers et les plaisanciers. Je ne sors plus en mer pour les missions, principalement pour des questions de santé. Ça me manque. Du bureau, je vois le bateau partir. Je serais mieux avec eux. Pour l'adrénaline, l'ambiance. Puis, on se sent utile. Le chef de station, il est aussi là le samedi, avec les bénévoles pour "prendre la météo". Une bonne excuse pour se retrouver tous pour l'entretien des locaux et du matériel. On fait le maximum de choses nous-mêmes ».Est-ce qu'on s'attend au pire tous les jours ?
« Au pire non, mais notre téléphone n'est jamais arrêté. J'ai une sonnerie spéciale pour le Cross Corsen. Lundi 8 mai, férié, elle a retentie à 5 h 45 pour chercher un chalutier, de Saint-Guénolé à Ouessant. J'ai donc réveillé toute l'équipe ».Y a-t-il une intervention qui vous a marqué plus qu'une autre ?
« C'était plutôt une période. En 2006, on a vu six morts. Des adultes, des enfants, dont un de 6 ans qui est décédé à Molène, quelques minutes avant que l'on arrive avec le Samu. On connaissait tous sa mère, également volontaire pour l'association. Il y a eu des missions difficiles, mais ça ne reste pas. Les morts, ça reste toujours dans un coin de la tête. À l'époque, on n'avait pas de soutien psychologique pour affronter ça. Maintenant, il y a une cellule de soutien au CHU de Brest. Deux patrons de la station l'ont fait récemment et ils en étaient très contents ».Vous êtes président depuis 1994. Est-ce que les missions en mer ont évolué ?
« Pas vraiment. Mais on a des nouveaux outils. On a reçu une caméra GoPro pour faire des vidéos. On en a fait quelques-unes, que l'on a postées sur les réseaux sociaux. Sur ce point aussi, ça évolue. Je veille sur une page qui compte un bon millier d'abonnés. Peut-être que cela amène de nouveaux adhérents. Il faut se faire connaître aussi, faire savoir qu'on est là. Avant, on savait quand on était de sortie, avec la corne, la sirène. Aujourd'hui, ce sont quelques coups de téléphones et des crissements de pneus dans la nuit. On est aussi un des premiers bateaux à avoir Internet à bord. Cela nous permet d'échanger avec le Cross, qui nous envoie ce qu'on appelle des "patterns de recherche", pour définir une zone, qu'eux peuvent créer avec leur logiciel. On ne perd pas de temps, on part et ils nous envoient ça sur la route. Pareil pour des photos de bateaux. On est à la pointe du Finistère et du progrès » !La SNSM le martèle : les fonds manquent. Comment le ressent-on, localement, au Conquet ?
« Surtout quand on devra changer le bateau. On a une vedette V1, la Louve. Pour moi c'est aussi bien qu'un CTT de nouvelle génération (Canot tout temps), mais il a douze ans. Quand on met un bateau neuf en construction, la station doit mettre un quart. La SNSM met un autre quart. Le reste est complété par le Département et la Région. Il faut donc trouver pas mal d'argent (les derniers CTT coûtent 1,3 M€, ndlr). Là, on peut déplorer que l'État ne participe que très peu. Au total, pour la SNSM, c'est 2,2 M€. S'il augmentait sa part à 7,5 M€, comme l'a écrit dans son rapport la députée Chantal Guittet, on pourrait se financer totalement. Cinq millions, pour la France, c'est le budget clopes ».Quel est votre budget à l'année ?
« Pour fonctionner un an, on doit récolter entre 55.000 et 60.000 €. Pour ça « on relance les adhérents, on en trouve des nouveaux. Ce n'est jamais évident. Tous les ans, le troisième dimanche de juillet, on organise une Fête du sauvetage, avec des démonstrations de sauvetage, mais aussi une partie kermesse plus classique. Cette année, les Marins d'Iroise viendront chanter pour nous. Puis, on fêtera, au passage, les 150 ans de la station ».L'association fête ses 150 ans. Comment imaginez-vous la station dans 50 ans ?
« Au vu de la situation géographique du Conquet, en bas du Chenal, avec les îles non loin, elle restera en place encore longtemps. Peut-être que dans les îles, certaines disparaîtront, si les volontaires commencent à manquer. Sinon, il faut remonter au nord, jusqu'à l'Aber Wrac'h, pour retrouver une station. Ici, on peut amener les pompiers jusqu'à Molène, s'il y a un incendie, par exemple. Le Conquet a sa raison d'être ».
Un article de la rédaction du Télégramme