Une telle unanimité est rare dans le monde de la marine marchande française. Les représentants de la CGT, de la CFDT, de l’UGICT-CGT, de la CFTC et de la CFE-CGC ont co-signé avec Armateurs de France une lettre adressée au premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Ensemble, ils tirent la sonnette d’alarme sur la nécessité de réformer rapidement la loi de 1992, dite de la sécurité des approvisionnements stratégiques. Celle-ci prévoit l’obligation du pavillon français pour 5.5% des importations de pétrole brut vers les raffineries françaises. Cette loi a notamment pour but de protéger la filière industrielle de l’approvisionnement en pétrole, en gaz et en charbon. C’est en raison de cette dernière que des VLCC (very large crude carriers, pétroliers de forte capacité) battent encore pavillon français.
La flotte chimiquière souffre
Depuis plusieurs mois, et notamment depuis la rédaction d’une mission interministérielle (dont le rapport a été rendu en août), Armateurs de France a travaillé puis proposé l’extension de cette obligation à l’importation de produits raffinés. Le but de l’opération est affiché : il s’agit de sauver la flotte pétrolière et chimiquière sous pavillon français qui, depuis quelques années, se réduit à peau de chagrin : en 2012 l’armement BW Maritime a cessé son activité, en 2013 Maersk Tankers a dépavillonné plusieurs navires et mis en place un plan social. Le marché des navires chimiquiers souffre en ce moment d’une surcapacité au niveau mondial, ainsi que des taux de fret dépréciés. Actuellement deux armateurs exploitent des chimiquiers sous pavillon français : SeaTankers et Maersk Tankers France.
Une perte irrémédiable de savoir-faire chez les navigants
« La contraction de la flotte française entraîne la disparition progressive de nos équipages dont le savoir-faire et l’excellence sont au cœur de la filière française », s’inquiète Armateurs de France. « Nous atteignons un seuil critique au-delà duquel nous n’aurons plus suffisamment de marins français formés et expérimentés pour armer de nouveaux navires sous pavillon national. Au-delà, il ne nous sera plus possible de maintenir ou de reconstituer une filière française avec des marins français. L’impact serait également dramatique pour notre système de formation maritime ».
« La France perd son indépendance stratégique »
Au-delà des dégâts propres à la filière maritime, les partenaires sociaux soulignent l’impact géostratégique de la perte de la flotte pétrolière. « Sans armateurs et sans marins français, la France perd son indépendance stratégique. Or comme l’a montré la crise de la piraterie dans l’océan Indien depuis 2008, le transport maritime est plus que jamais vulnérable : multiplication des conflits régionaux à travers le monde, redistribution de la carte des approvisionnements, besoin des forces armées de s’assurer un approvisionnement régulier en produits pétroliers, que ce soit en situation courante ou opérationnelle. En cas de crise, la France, si elle ne dispose pas d’une flotte sous pavillon national à même de maintenir ou de reconstituer ses stocks, se retrouvera dans l’incapacité de répondre aux besoins vitaux de la population et de ses forces armées »
« C’est pourquoi il est si essentiel de continuer à garantir, en toutes circonstances, la couverture des besoins énergétiques nationaux (non seulement pétrole brut mais également produits pétroliers, gaz et charbon) et de doter notre pays de moyens maritimes pérennes sous pavillon français en toutes circonstances ».
Les partenaires sociaux demandent donc au gouvernement de statuer en urgence sur la réforme de la loi de 1992, de manière à y étendre l’obligation de 5.5% d’import sous pavillon français au gaz, charbon et produits pétroliers. « Une telle décision serait la concrétisation d’une véritable politique maritime française ne se limitant pas au secteur des transports mais alliant trois mondes que sont le transport, l’énergie et la défense ».