Qui va venir au secours des migrants en mer Méditerranée après l’arrêt de l’opération italienne Mare Nostrum et alors que la mission européenne Triton est clairement sous-dimensionnée ? Est-ce que ce sera désormais aux navires de commerce et de pêche d’assurer plus avant les sauvetages, alors même qu’ils ne sont ni formés, ni équipés pour cela ? C’est la question que pose MOAS, une organisation non gouvernementale maltaise entièrement financée par un couple de mécènes, Régina et Christopher Catambrone.

Le Phoenix et l'un de ses drones (© : SCHIEBEL)
Un navire dédié, des embarcations de secours, des drones
A la tête d’une compagnie d’assurance maltaise, le couple a décidé de s’engager dans l’assistance aux migrants qu’ils voient en péril depuis de nombreuses années au large des côtes de leur île. Et ils n’ont pas hésité à y mettre les moyens. En 2014, ils achètent le Phoenix, un bateau de 40 mètres qu’ils transforment en « station de sauvetage ». L’ancien patron de la marine maltaise prend son commandement, des volontaires et des équipes médicales embarquent avec du matériel de sauvetage, du ravitaillement, des embarcations rapides et deux drones aériens Camcopter S-100 pour repérer les embarcations à la dérive. Le bateau et son équipage ont pris la mer en août 2014, se mettant à disposition du centre opérationnel de Mare Nostrum. Entre les mois d’octobre 2013 et 2014, l’opération italienne a assuré, sans relâche, les opérations de secours et d’assistance aux migrants qui tentent de rejoindre les côtes européennes au départ de la Libye sur des embarcations de fortune souvent armées par des passeurs sans scrupule. Près de 145.000 personnes ont été sauvées de la noyade grâce à elle. Environ 500 passeurs ont pu être arrêtés.
Plus de 3000 personnes sauvées
Dès sa première sortie, le Phoenix a reçu 300 personnes à son bord. Les migrants, majoritairement palestiniens, étaient à la dérive depuis plusieurs jours. L’équipe du Phoenix leur a fourni eau et nourriture et les médecins du bord ont examiné ceux qui en avaient besoin. Les migrants ont ensuite été débarqués à Malte. Dans les deux mois qui ont suivis, ce sont près de 3000 personnes qui ont été recueillies ou assistées, avec notamment l’envoi de nourriture ou de gilets de sauvetage sur les bateaux.
La campagne du Phoenix s’est arrêtée fin 2014, peu de temps après l’opération Mare Nostrum, cette dernière étant victime des coupes budgétaires du gouvernement italien et, peut-être aussi, du manque de solidarité des autres pays européens et de l’Union européenne elle-même. Depuis, les moyens de sauvetage sur les eaux de la Méditerranée se sont considérablement réduits. Contrairement au flux migratoire, toujours élevé en raison des conflits libyens, palestiniens et syriens, qui ont poussé près de 170.000 personnes à s’enfuir l’an passé.
Les bateaux de pêche et de commerce seuls pour sauver les migrants ?
Désormais, les navires de commerce et de pêche sont plus que jamais aux avant-postes du sauvetage. Ce qui interroge les volontaires de MOAS. « Malgré toutes leurs bonnes intentions, ces navires et leurs équipages ne sont peut-être pas les mieux équipés pour mener ces opérations de sauvetage en toute sécurité. Ont-ils suffisamment d’entraînement, le matériel et la capacité technique pour cette mission ? », s’interroge l’ONG. « Un navire de commerce avec un équipage de 20 marins et un franc-bord de 5 mètres peut être amené à assister jusqu’à 300 migrants, les sortir de l’eau, les transférer des embarcations de sauvetage vers le pont de leur navire, en ne pouvant souvent utiliser que des échelles de corde », poursuit MOAS. « Une fois à bord, les personnes recueillies doivent être assistées, avec de la nourriture, de l’eau et des couvertures et peut-être même être soignées ».

Recueil de migrants en Méditerranée (© : MOAS)
Des équipages sans formation pour ces sauvetages
Une mission pas forcément compatible avec la configuration et les procédures en vigueur à bord d’un navire de commerce. « Les bateaux ont des règles de sécurité très strictes, encore plus quand il s’agit de tankers. L’équipage, qui n’a pas été formé pour ce type de situation, va rencontrer beaucoup de difficultés pour faire appliquer ces règles aux personnes recueillies. Même le respect des zones non-fumeurs peut devenir difficile et causer des tensions. D’autres problèmes peuvent rapidement surgir, puisqu’à chaque heure supplémentaire passée par les migrants à bord, leurs besoins se démultiplient et les situations peuvent devenir très critiques. Ce qui peut créer des épisodes de stress, voire des traumatisme, pour l’équipage ».
L’article 98 de la convention internationale sur le droit de la mer rappelle le devoir d’assistance en mer. « Cet article formalise le devoir sacré que tout marin connaît. Mais il faut souligner que la convention, rédigée en 1982 et entrée en vigueur en 1994, n’a jamais envisagé cette situation de migration massive. Néanmoins, une très grande majorité des commandants adhèrent à ce principe, pas uniquement en raison de sa dimension légale, mais surtout par humanité ». Le contexte de contrainte budgétaire n’est cependant pas favorable à ces missions, quelles soient effectuées par des entités publiques ou privées. « Il faut bien se rendre compte que ces missions peuvent coûter jusqu’à 50.000 euros à l’armateur. Et que cette somme ne sera remboursée par personne ».

Le Phoenix et l'un de ses drones (© : SCHIEBEL)
Aider MOAS à court, moyen et long-terme
Alors quelle solution ? MOAS veut donner des pistes de réflexion. « Durant notre mission de 2014, nous avons traité une centaine d’alertes et effectué une dizaine de missions sans aucun incident », détaille Martin Xuereb, commandant du Phoenix. « Contrairement aux bateaux de pêche ou de commerce, nous étions en mer précisément pour cette mission de sauvetage et préparés à toute éventualité. Nous avions des centaines de gilets de sauvetage à bord, ainsi que d’importants stocks d’eau et de nourriture, un hôpital et une équipe médicale complète ».
Christopher Catambrone, qui en plus d’avoir financé la campagne y a également participé, a été frappé de voir qu’une mission aussi complexe que celle du sauvetage puisse être menée par des bateaux n’étant pas équipés comme le Phoenix. « Chaque opération était unique. Nous étions préparés à tout parce que justement nous avions anticipé tout ce que cette campagne avait de spécifique ». Il dit comprendre « la peur des commandants qui ont un équipage et une cargaison à protéger et qui n’ont aucune idée de l’organisation de la récupération de centaines de personnes ».
Alors MOAS a décidé de repartir en 2015 et ce dès le mois de mai. Pour cela, l’équipe a besoin de 400.000 dollars par mois. Si l’ONG souhaite évidemment récolter des dons (http://www.moas.eu/donate), elle aimerait aussi mettre en place des partenariats à long-terme avec des organismes, des entreprises et mécènes.
Contact : info@moas.eu et Twitter : www.twitter.com/moas_eu