Aller au contenu principal

Y-a-t-il eu danger à bord du Mega Express Five de Corsica Ferries les 31 mai et 1er juin dernier ? C’est la question qui agite, depuis quelques jours, les syndicats, notamment ceux de la SNCM, ainsi que certains médias. Le Mega Express Five est  un navire effectuant les rotations entre la Corse et le continent. Immatriculé en Italie, construit en 1993 et remis en service en 2009 après une importante refonte, il mesure 177 mètres de long. Le 31 mai, le Mega Express Five appareille du port corse de l’Ile Rousse avec 910 passagers et 86 membres d’équipage  en direction de Toulon. Peu après sa sortie du chenal, une vibration est ressentie à bord. Le navire continue sa route. Il débarque ses passagers à Toulon et repart vers Bastia, avec 798 passagers et 87 membres d’équipage, dans la matinée du lendemain (1er juin). Arrivé devant Bastia, le Mega Express Five prend son pilote. Peu de temps après, un black-out (interruption de l’alimentation électrique) intervient. Le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Méditerranée (CROSS MED), et plus précisément le CROSS Corse qui en dépend, est prévenu de l’incident qui a été de courte durée. Un remorqueur se positionne à titre de précaution. Le ferry effectue le débarquement de ses passagers et repart vers l’Ile Rousse, puis à nouveau vers Toulon. Arrivé dans le port varois et après que l’équipage ait constaté, durant le transit retour, un envahissement d’eau dans le double fond du navire, le ferry est immobilisé pour être inspecté par des plongeurs, sous la supervision des inspecteurs de Rina, sa société de classification. Après leur intervention, le Mega Express Five appareille pour La Spezia, où il arrive le 2 juin. Il restera en cale sèche 7 jours pour y subir des travaux de tôlerie destinés à réparer les dommages consécutifs à ce qui apparaît comme un talonnage : 50 mètres de tôle sont enfoncés. Le Mega Express Five reprend sa ligne le 9 juin.

 

 

Forte mobilisation syndicale

 

 

Depuis, les réactions sont vives, sur fond de grosses tensions sociales à la SNCM, où un préavis de grève a été déposé pour le 24 juin. Dans une lettre ouverte au secrétaire d’Etat aux Transports Frédéric Cuvillier, baptisée « Corsica Ferries met en danger ses passagers », la fédération des officiers de la marine marchande CGT  expose que les professionnels du monde maritime sont « pantois et scandalisés » et réclame des éclaircissements sur les modalités de l’accident, l’attitude de l’équipage du ferry et de son armateur, la durée des travaux, le rôle des autorités maritimes françaises, du CROSS Med… et compare même la situation à un potentiel Costa Concordia. Dans l’après-midi d’hier, les syndicats de la SNCM ont réclamé une enquête et des sanctions à l’encontre de Corsica Ferries. Une trentaine de syndicalistes ont manifesté devant les Affaires maritimes de Marseille : « nous dénonçons le comportement irresponsable de l’armateur qui fait peu de cas de la règlementation et aurait dû immobiliser le navire plutôt que de faire courir un risque aux 5000 passagers transportés (à priori plutôt moins de 3000, ndlr) », a déclaré la CGT. La CFE CGC s’interroge quant à elle sur la position des autorités et notamment de la préfecture maritime, par rapport à l’application des arrêtés du préfet maritime sur l’obligation de signalement d’avarie.

 

 

La chronologie de l’incident selon la direction technique de Corsica Ferries

 

 

Il est délicat d’avoir une vision objective et complète des évènements. Une enquête nautique est actuellement menée par les gardes-côtes italiens, en vertu de l’application de la loi du pavillon du navire. Le Bureau Enquête Accident Mer français pourrait également se saisir du dossier dans la mesure où il est compétent pour tout incident se déroulant dans les eaux françaises (ce qui est le cas ici puisque le ferry se trouvait, durant ces deux jours, dans la zone de protection écologique de la Méditerranée) ou impliquant des ressortissants français.

 

Les seuls éléments dont nous pouvons nous faire l'écho, sans les compétences ni les pouvoirs d’enquêteurs nautiques ou judiciaires, sont ceux fournis par la direction technique de Corsica Ferries.  Selon elle, le Mega Express Five a « probablement touché un haut-fond le 31 mai », provoquant une secousse qui a, confirme-t-elle, été ressentie par l’équipage. Ce dernier aurait constaté « le 1er juin, en faisant des contrôles usuels » avoir trouvé « une petite entrée d’eau dans un double fond sec ». L’envahissement aurait donc été découvert plusieurs heures après la secousse, lors du voyage retour vers Toulon. Pour mémoire, le double fond est une sorte de ballast, il n’est pas usuellement équipé d’une pompe de cale.

Une fois cet envahissement découvert, Corsica Ferries  indique que l’équipage a procédé au contrôle de l’ensemble des doubles fonds, à l’assèchement de ceux qui étaient endommagés puis a signalé la situation aux « garde-côtes italiens, à la société de classification Rina et aux Affaires maritimes françaises ». L’Etat du pavillon, la classe et l’Etat du port (via le Centre de sécurité des navires de Marseille) auraient donc été mis au courant de cet incident dans la journée du 1er juin.

Dès l’arrivée du navire à Toulon, les plongeurs, diligentés par le Rina, interviennent. Ils effectuent des petites réparations et suite à leur rapport, les inspecteurs ordonnent l’arrêt de l’activité commerciale du navire et son passage en cale sèche. Pour mémoire, c’est la société de classification qui est responsable du « suivi technique » du navire. C’est elle qui se charge notamment des inspections en cas d’avarie. Le navire a ensuite été arrêté du 2 au 9 juin en cale sèche à la Spezia pour le changement des tôles endommagées. Une inspection supplémentaire de la coque ainsi qu’une visite ISM ont été diligentés par les gardes-côtes et le Rina avant le retour du ferry sur sa ligne commerciale.

 

 

L’explication du black-out

 

 

En ce qui concerne le black-out arrivé devant Bastia, Corsica Ferries indique qu’il s’agit d’une « chute de la pression de l’air de contrôle ».  L’air de contrôle est un air basse pression dont le circuit sert notamment aux commandes de la machine, où il remplace des commandes électriques ou hydrauliques. Si l’on veut pousser le moteur, on augmente l’air de contrôle qui ouvre un tiroir et envoie la commande au moteur. Mais si, pour des raisons diverses (fuite, arrêt d’un compresseur…), la pression de l’air de contrôle baisse, les commandes ne peuvent plus être exécutées. Ce qui amène donc à un black-out. Il s’agit alors de trouver la raison de la chute de pression de l’air de contrôle et de la corriger pour remettre en route l’ensemble des commandes et donc, ici, les moteurs de propulsion. Ce type d’avarie n’est pas exceptionnel. Et n’aurait, selon Corsica, « aucun lien avec la secousse ressentie ». Il apparaît difficile, avec ses éléments, de connaître exactement le degré de dangerosité de la navigation à bord du ferry ces 31 mai et 1er juin. L’enquête nautique, qui prendra en compte l’ensemble des paramètres naturels, techniques et humains, devra le déterminer.

 

 

L’information du CROSS Med

 

 

A côté de ces éléments techniques, la question de l’information des autorités maritimes a été soulevée à plusieurs reprises ces derniers jours. Il convient donc de bien distinguer le rôle de chacune des administrations et leurs prérogatives. Le CROSS, armé par les Affaires maritimes, est placé sous l’autorité directe du préfet maritime. Son rôle, outre la diffusion d’informations nautiques, est de recevoir toutes les alertes sur sa zone, d’en évaluer la teneur et d’y apporter une réponse appropriée. En l’espèce, le CROSS n’a pas été averti par le navire de cette « secousse » du 31 mai. Il n’a été mis au courant que du black-out du lendemain. On comprend aisément que le CROSS ne pouvait pas « deviner » l’incident de l’Ile Rousse.

 

 

Quelle est l’obligation de signalement ?

 

 

La question est plutôt de savoir dans quelle mesure il aurait dû être informé dès le moment de la « secousse ». Un arrêté du préfet maritime de Méditerranée de janvier 2004 pose les principes de l’obligation de signalement d’un incident par les bords. « Le capitaine est tenu de signaler immédiatement par message au CROSS MED, tout incident ou accident portant atteinte à la sécurité du navire, tel qu’abordage, échouement, avarie, défaillance ou panne, envahissement ou ripage de cargaison, toutes défectuosité dans la coque ou défaillance de structure ; tout incident ou accident qui compromet la sécurité de la navigation, tel que défaillances susceptibles d’affecter les capacités de manœuvre ou de navigation du navire, ou toute défectuosité affectant les systèmes de propulsion ou appareils à gouverner, l’installation de production d’électricité, les équipements de navigation ou de communication ; toute situation susceptible de conduire à une pollution des eaux ou du littoral, tel qu’un rejet ou un risque de rejet de produits polluants à la mer ; toute nappe de produits polluants, et tout conteneur ou colis dérivant observé en mer ». Le non-respect de ces obligations serait constitutif d’une infraction au regard des conventions internationales et par conséquent de la loi française.

 

 

Pas de situation d’urgence selon Corsica

 

 

Sauf qu’elles sont sujettes à interprétation : qu’est ce qui porte réellement atteinte à la sécurité du navire ? Est-ce ce qui nécessite un déclenchement des secours ? Ou est-ce toute situation d’avarie à bord, même la plus bénine pouvant toujours potentiellement dégénérer ? Corsica Ferries, interrogée sur le point de savoir pourquoi le CROSS-Med n’a pas été prévenu, explique que l’ « information n'a pas été transmise au CROSS car cet organisme gère  les demandes de sauvetage, ce qui n'était pas du tout le cas. En revanche, elle a été régulièrement transmise et en temps utile au Centre de sécurité des navires des Affaires maritimes de Marseille ».

Une fois les notions de danger, d’urgence ou de sauvetage écartées, ni  le CROSS ni la préfecture maritime ne suivent donc ce type de dossier. Par conséquent, il paraît inutile de vouloir leur demander des comptes, puisque si l'on devait en arriver au contentieux, ce serait à la justice pénale de faire le jour sur les circonstances de l’incident. Là encore, les éléments de l’enquête et l’analyse des spécialistes devraient permettre d’éclairer objectivement sur la notion d’atteinte à la sécurité du Mega Express Five.

Aller plus loin

Rubriques
Marine marchande
Dossiers
Corsica Ferries