Le mot qu’il utilise beaucoup c’est engagement. Un engagement pour un autre transport maritime, pour une autre façon de faire voyager les personnes et les marchandises. « Parce que maintenant, c’est possible, c’est rentable et plein de solutions adaptées s’offrent à ceux qui veulent décarboner le transport maritime ».
Nils Joyeux est le jeune dirigeant de Zéphyr & Borée. Une entreprise fondée avec trois amis, Victor issu de la même promo d’Hydro que lui, Amaury diplômé d’une école de commerce et Bernard, marin et ancien directeur de ligne chez CMA CGM notamment. Et qui a notamment remporté, en partenariat avec Jifmar, le contrat pour le transport de la fusée Ariane avec Canopée, un navire équipé de grandes voiles rigides. Un symbole et une étape importante dans la visibilité de la propulsion vélique et de sa viabilité pour le transport à l’échelle industrielle. Nils ne goûte guère l’autosatisfaction. « Nous sommes évidemment très heureux d’avoir pu convaincre ArianeGroup avec notre projet, le défi commence maintenant ». Mais il aime parler de la passion et de la conviction qui l’ont mené, avec ses amis, à lancer l’aventure de Zéphyr & Borée. « Cela a commencé à l’hydro dans le cadre du mémoire de fin d’étude pour lequel on a étudié la faisabilité technique du transport à la voile et le moyen d’utiliser la voile de manière industrielle ». Ils étudient tous les types de propulsions véliques, du kite au rotor Flettner. « Et puis on a découvert les voiles rigides développées par Marc Van Peteghem au cabinet VPLP. On s’est rendu compte qu’elles étaient un véritable moteur éolien qui fonctionne à toutes les allures ». L’équipe rencontre l’architecte qui partage leur enthousiasme et leur conviction quant à l’avenir de la voile dans le transport maritime.
Après le mémoire, les jeunes diplômés ne veulent pas s’arrêter. Portés par la confiance de Marc Van Peteghem et leur conviction, ils rencontrent des nombreux chargeurs pour les convaincre de passer à la voile. Ils leur expliquent qu’ils peuvent proposer le transport au même niveau de service, à la même vitesse qu’un navire classique. « Ce qui est important aujourd'hui pour que l'utilisation du vent puisse se démocratiser largement et rapidement sur les navires de commerce c'est d'avoir une approche industrielle de la conception et de l'utilisation des gréements : faire des outils robustes, simples à entretenir, simples d'utilisation, automatisés, ne nécessitant pas d'employer des marins supplémentaires ». Une approche qui a convaincu ArianeGroup: « au-delà de l'intérêt évident de la communication liée à l'innovation et l'écologie, c'est aussi un pari sur l'avenir car il s'agit d'un contrat de long terme. Et si aujourd'hui, au prix du baril actuel, nous sommes capables de proposer un prix similaire à ceux d'un navire à propulsion mécanique classique, demain avec l'augmentation probable du prix des énergies fossiles et le durcissement de la réglementation, nous devrions être moins impactés qu'avec un navire conventionnel et gagner en compétitivité ».
La voile devient un argument de rentabilité
Alors que les conventions internationales sur la décarbonation sont en train d’entrer en vigueur, la voile peut même devenir un argument de rentabilité. « On s'aperçoit qu'un grand nombre de cargos dans le monde vont devoir réduire leur vitesse à très court terme, dès l'an prochain ! Et les seuils d'émissions vont baisser de manière progressive mais très ferme. Pour répondre à ces exigences les carburants de synthèses vont apporter des solutions, en revanche il est clair aussi qu'il n'y en aura pas assez pour tous les navires et pour conserver les vitesses d'exploitation actuelles. Le ralentissement de la flotte devrait en plus tendre vers une augmentation du nombre de navires pour assurer le même volume de transport mondial. Il apparaît donc que la rentabilité de la propulsion éolienne devrait grimper rapidement dans les années à venir car le vent restera toujours gratuit ».
A la base de l’offre de Zephyr & Borée, il y a des outils, au premier rang desquels les voiles. « La technologie des ailes est selon nous la plus adaptée pour la propulsion mixte, c'est à dire sur des bateaux ayant une vitesse d'exploitation fixe qui utilisent d'abord leur moteur, et le système vélique en supplément pour réduire la consommation. Dans cette configuration, la vitesse du navire génère un vent « vitesse » de 15 nœuds constant et face au navire. Cela implique que le vent « apparent » (qui est le vent réellement perçu et utile pour propulser le navire) sera presque toujours sur l’avant du travers, le navire est toujours au près. Les ailes sont le système de propulsion éolienne qui présente les meilleures performances au près, elles génèrent de la portance très tôt (avec des angles au vent très faibles) et très peu de traînée »
Ensuite, il y a le routage. « Nous travaillons avec la start-up nantaise D-Ice Engineering qui est vraiment à la pointe du routage météo mixte, pour les navires propulsés à la voile et au moteur. C’est une compétence très spécifique car pour une vitesse donnée, on peut y parvenir de multiples façons selon les conditions de vent : parfois 80% moteur et 20% voile, ou bien parfois 50% moteur et 50% voile… etc. La vitesse induite par le moteur fait fonctionner les voiles différemment. De ce fait, le routage mixte intègre une multitude de polaires de fonctionnement. On parle, du coup, de routage 3D ». D-Ice va fournir deux types de services. Le premier est un routage statistique qui permet d’évaluer la pertinence d’une ligne et les économies envisageables en se basant sur les statistiques de vent des années passées. Le deuxième est le routage en temps réel qui donne au navire la route à emprunter, et surtout, le cran moteur à adopter. Pour présenter toutes les configurations de navigation, Zéphyr & Borée a imaginé une petite animation qui permet de visualiser les performances de l’association entre la voile et le moteur. « On estime que sur une route commerciale traditionnelle à 16 nœuds, la réduction de la consommation est de 30%. Mais on peut aussi vouloir plus de voile, pour, par exemple, certains chargeurs pour qui la vitesse est moins cruciale. Nous pouvons nous adapter à tous les besoins ».
Le mix énergétique qui tend vers le zéro carbone
Zephyr & Borée s’adresse aux chargeurs à qui la société peut proposer tout l’éventail de services : du design d’un navire neuf, à son financement, sa construction, son management. « Notre enjeu, c’est de trouver des partenaires industriels qui s’engagent de manière forte. Cela peut se traduire de multiples façons : la construction d’un bateau dédié pour lequel le chargeur est co-armateur ou un engagement sur un volume qui nous permette de garantir un fond de cale que nous pouvons compléter sur chaque voyage ». Les mentalités évoluent rapidement et de plus en plus d’industriels s’intéressent à cette solution. « Le transport, c’est le maillon faible voire invisible dans la chaîne écoresponsable. Le plus gros défi, pour notre entreprise, c’est d’installer le transport comme un nouveau levier de valeur ajoutée pour les chargeurs ». La jeune entreprise a beaucoup d’idées dans ce domaine. Si elle a pensé aux industriels en premier, elle voit désormais aussi la possibilité de travailler avec des nouvelles structures, « pourquoi pas des coopératives d’utilisateurs qui auraient recours à leurs propres moyens de transports, comme par exemple pour du cabotage dans les îles de la Polynésie française ». Et pourquoi pas combiner la voile avec d’autres énergies, « nous voulons être la compagnie maritime qui propose le mix énergétique qui tende vers le zéro carbone ». L’aventure démarre donc avec Canopée, en cours de construction pour une livraison cette année et pour Alizée, le tout nouvel armement créé pour ce projet avec Jifmar.
De nombreux projets
Zéphyr et Borée a par ailleurs planché sur Meltem, un modèle de porte-conteneurs à voile de 185 mètres de long pour 31 mètres de large, d’une capacité de 1821 EVP. « Nous étudions différentes lignes, avec différents types de clients. Sur certaines zones géographiques, nous envisageons de collaborer avec des compagnies maritimes, sur d'autres projets on travaille avec des logisticiens ». Meltem a déjà reçu l’approbation de principe du Bureau Veritas. Il y a également Windcoop, le projet de transport à la voile d’épice depuis Madagascar sur lequel Zéphyr et Borée travaille avec Mathieu Brunet, président de la société Arcadie. « Sur ce projet, nous nous inscrivons dans un mouvement de coopératives dont le but est de rendre l'économie plus collaborative, plus transparente et plus éthique, à l’image d’Enercoop ou encore RailCoop. Nous allons notamment ouvrir prochainement la possibilité d'investir dans la coopérative pour tenter d'intégrer des citoyens dans le financement du bateau, proposer à chacun de devenir co-armateur du bateau. Plus que de lever de l’argent, que l’on pourrait sans doute trouver ailleurs, ce que nous voudrions c’est que des citoyens se saisissent de ce mécanisme de financement, pour le rendre transparent ».
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