Si tout va bien, le premier bateau de pêche français doté d’une propulsion hydrogène naviguera en 2017 et sera dès lors testé par les patrons et matelots de Loire Atlantique et de Vendée. Baptisé FILHyPyNE, pour « Filière hydrogène pour la pêche polyvalente », ce projet innovant, qui vise le renouvellement de la flottille côtière, a été initié par les professionnels des Pays de la Loire. Ceux-ci sont en effet soucieux de voir émerger des unités de 12 mètres de nouvelle génération - typiquement des fileyeurs et caseyeurs travaillant à la journée - capables de répondre aux grands enjeux économiques et environnementaux auxquels la profession est confrontée. « C’est la concrétisation d’une idée lancée par mon prédécesseur, Hugues Autret. Face aux problèmes rencontrés par la pêche et les questions quant à notre dépendance aux énergies fossiles, il avait imaginé de se tourner vers l’hydrogène. Et il a su fédérer les pêcheurs ligériens autour de cette idée. Nous pensions que ce serait pour dans 40 ans mais, grâce aux évolutions technologiques, on se rend compte, seulement cinq ans plus tard, que c’est dès à présent à notre portée », explique José Jouneau, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (COREPEM).

José Jouneau (© COREPEM)
Pas de pollution, une maintenance réduite et des moteurs silencieux
Les avantages sont multiples. D’abord, l’hydrogène est une ressource illimitée qui permettrait de ne plus dépendre du gasoil pour s’orienter vers une énergie totalement propre. Car le procédé chimique permettant de produire de l’énergie à partir de l’hydrogène à pour seul rejet de l’eau. Cela, en tablant sur le fait que le prix du pétrole sera, d’ici la fin de la décennie, devenu suffisamment élevé pour rentabiliser la technologie des piles à combustible. La propulsion électrique doit, en outre, permettre de diminuer les coûts liés à la maintenance. A la différence de la propulsion mécanique, il n’y aura que peu de machines tournantes et donc moins de phénomènes d’usure. Enfin, de réelles améliorations sont attendues au niveau du confort et même de la santé des marins-pêcheurs, puisque la propulsion électrique signifie des moteurs silencieux. Un point crucial dans la mesure où la surdité est la seconde pathologie dont souffre la profession. « S’il n’y avait plus de bruit, ce serait quelque chose d’énorme au niveau du confort de travail », reconnait José Jouneau, qui estime qu’avec ce projet, les pêcheurs vont s’ouvrir « à de nouvelles techniques de pêche, à une nouvelle manière de naviguer.
La pile à combustible hydrogène
Concrètement, cette pile à combustible fonctionne à l’inverse d’un électrolyseur, où l’eau et l’électricité donnent de l’hydrogène. Dans le cas qui nous intéresse, on produit de l’électricité avec de l’hydrogène et de l’oxygène, ce dernier étant soit contenu sous forme pure en bouteille (principe retenu par exemple pour les piles à combustible équipant certains sous-marins), soit prélevé dans l’air ambiant, qui est filtré et traité pour en extraire l’oxygène. La création d’énergie provient de l’oxydation de l’hydrogène sur une électrode, l’oxygène faisant office d’oxydant sur une seconde électrode. De la réaction chimique inhérente résulte la production d’électricité en courant continu, avec une tension comprise entre 200 et 600 volts. Il existe plusieurs sortes de piles à combustible, dont la PEM, dite à membrane d’échange de protons. C’est cette technologie, éprouvée et certifiée, qui sera utilisée pour FILHyPyNE. Plus performante, la nouvelle pile à combustible à oxyde solide (SOFC) offrirait un meilleur rendement mais elle n’est pas encore disponible.
Recalé de l’AMI Navire du Futur…
Pour la petite histoire, FILHyPyNE avait été proposé en 2011 dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt Navires du Futur, mais le dossier a été recalé par l’ADEME, qui estimait alors que cette technologie n’était pas suffisamment mature… L’utilisation de piles à combustible fonctionnant à l’hydrogène a, en fait, bénéficié ces toutes dernières années d’importants efforts de recherche et de développement, permettant de rendre les dispositifs plus efficients, plus sûrs et plus fiables. Assez ironiquement, l’évolution technologique est allée plus vite que les longs et complexes processus de sélection mis en place par l’administration française pour favoriser l’innovation (et qui face aux déboires rencontrés par le premier AMI ont été heureusement remis à plat).
Après avoir été recalés de l’AMI, les pêcheurs et leurs partenaires ne se sont pas découragés, la suite des évènements leur donnant finalement raison. Car des bateaux équipés de cette technologie ont rapidement commencé à voir le jour, y compris en France, avec par exemple un projet de bateau mouche à Paris ou encore la commande d’une navette fluviale pour la SEMITAN, régie de transport de l’agglomération nantaise, qui va réceptionner en 2015 le NavHybus. Destiné à être exploité sur l’Erdre, ce bateau, capable de transporter 12 passagers et 6 vélos, sera équipé de deux piles à combustible avec une puissance de 2 x 100 kW.
Premier navire maritime avec H2PAC en propulsion principale
Reste que l’essentiel des navires concernés sont, pour l’heure, dédiés aux navigations fluviales. L’emploi d’un système de piles à combustible hydrogène (H2PAC) pour des applications maritimes constitue une nouveauté et, selon ses promoteurs, FILHyPyNE sera même le premier navire maritime européen dont ce sera la propulsion principale. Cette situation s’explique par le fait qu’en mer, l’environnement est plus contraignant, avec par exemple les problématiques liées au ravitaillement, à l’utilisation d’air salé (pour l’oxygène nécessaire à la réaction chimique de la pile) ou encore aux mouvements de plateforme, la coque étant soumise aux chocs des vagues qui viennent s’y écraser. Mais cette technologie d’avenir, compte tenu des évolutions rapides dont elle faisait déjà l’objet, a incité la Direction des Pêches Maritimes et de l’Aquaculture à s’y intéresser dès 2009. « Cette année là, la DPMA a émis un appel à projets sur la transférabilité de la flottille de pêche vers une propulsion tout électrique avec une pile à combustible hydrogène. Le contrat d’études SHyPER a été confié à un consortium piloté par la Mission Hydrogène. A l’issue des travaux, menés en 2010 et 2011, nous avons démontré la pertinence économique du concept », précise Henri Mora, de la Mission Hydrogène (MH2). Créée il y a 10 ans, cette association, implantée à Saint-Herblain près de Nantes, a pour objectif de fédérer les acteurs de la filière hydrogène afin de favoriser l’émergence de projets innovants. A ce titre, la MH2 est fortement impliquée dans FILHyPyNE.

Les acteurs de FILHyPyNE présentant le projet à Nantes, le 1er juillet (© DCNS)
DCNS prend la tête du consortium
Pour aboutir à la réalisation d’un démonstrateur, les acteurs se sont progressivement structurés. En plus du COREPEM et de la MH2, le Bureau Mauric, déjà très impliqué dans SHyPER (Système Hydrogène pour une Pêche Ecologiquement Responsable) fait également partie du groupement, de même que le Réseau d’Information et de Conseil en Economie des Pêches (RICEP), association qui sert à alimenter la filière pêche en outils de R&D. S’y ajoute le site nantais de l’Ecole Nationale Supérieure Maritime (ENSM), qui va travailler sur l’aspect règlementaire et la formation des futurs équipages. Et le consortium a pris une toute autre dimension avec l’arrivée en son sein de DCNS, qui pilote désormais le projet et constitue, selon les pêcheurs, la garantie que FILHyPyNE verra le jour. Pour le grand groupe naval français, qui travaille déjà sur le sujet des piles à combustible, notamment dans le cadre de nouveaux systèmes de propulsion dédiés aux sous-marins conventionnels, cette ouverture vers la pêche est une nouveauté. « On nous connait pour notre activité historique dans la conception, la réalisation et la maintenance de bâtiments militaires, mais nous nous développons aussi sur des domaines adjacents à notre cœur de métier, comme les énergies marines. Quand la Mission Hydrogène est venue nous voir en 2013 et nous a présenté ce projet de bateau de pêche, cela nous a immédiatement intéressé », assure Jean-François Le Bert, du site DCNS de Nantes-Indret, spécialisé notamment dans les systèmes de propulsion.
Un marché potentiel énorme
Avant d’accepter de rejoindre et de piloter le consortium, le groupe a néanmoins fait son étude de marché. Il en a conclu que la nécessité de réduire les coûts d’exploitation et de maintenance des bateaux, tout comme leur impact environnemental, offraient de belles perspectives au H2PAC. Le marché potentiel serait même énorme pour les unités de 12 mètres : « Ce gabarit constitue 80% de la flottille de pêche française et européenne. Cela représente en tout quelques 8000 bateaux, dont la moitié devra être renouvelée d’ici 2030, pour un investissement évalué à 5 milliards d’euros ». Et le système H2PAC ne concerne pas que la pêche et le fluvial. Il pourrait aussi être adopté sur d’autres types de navires, comme des transbordeurs ou encore des unités de plaisance. Ainsi, selon les projections, le marché pourrait s’élever à 210 bateaux par an sur 10 ans.
Le bloc énergie propulsion conçu et réalisé à Indret
Au sein de FILHyPyNE, DCNS va apporter sa capacité à gérer des projets complexes, son site d’Indret prenant en charge la partie industrielle avec la conception, la construction et les essais du bloc propulsion. Celui-ci comprendra un moteur électrique d’environ 200 kW alimenté par un système H2PAC d’environ 210 kW et des batteries électriques. Celles-ci seront là pour les appels de puissance, par exemple au démarrage des treuils, alors que la pile à combustible assurera l’énergie constante. Si possible, les ingénieurs tenteront de se dispenser d’un réducteur afin de gagner de la place. Au niveau du stockage, l’hydrogène sera embarqué sous forme gazeuse, 90 kg étant suffisants pour assurer tous les besoins énergétiques nécessaires à un bateau de 12 mètres, non seulement pour la propulsion, mais aussi pour les apparaux électriques. L’alimentation en hydrogène se fera au moyen de réservoirs en composite, soit une dizaine de bouteilles sous pression (probablement autour de 350 bar) placées dans un conduit situé derrière la passerelle. Point crucial, le ravitaillement à quai, entre deux marées, pourra se faire soit en rechargeant directement les réservoirs, soit via un camion grue en débarquant au les bouteilles d’hydrogène vides pour les remplacer par des pleines. Avec, selon la volonté des pêcheurs, la nécessité de pouvoir effectuer l’avitaillement en moins de 30 minutes.

« L’hydrogène n’est pas plus dangereux que le gaz ou l’essence »
On notera que si le système H2PAC produit de la chaleur, le rendement de la pile à combustible étant d’environ 45%, l’énergie dégagée n’est pas suffisante pour engendrer un risque particulier d’incendie. Une situation qui a d’ailleurs contraint DCNS à abandonner l’idée de générer du froid en recyclant via des groupes d’absorption l’énergie calorifique dégagée, celle-ci étant donc trop faible. En revanche, la chaleur provenant des piles à combustible est peut être suffisante pour réchauffer les locaux vie et, par conséquent, se dispenser de radiateurs, ce qui permettrait au passage de supprimer une source de consommation électrique.
Pour ce qui est des craintes liées au caractère explosif de l’hydrogène, elles sont, selon Jean-François Le Bert, largement surfaites : « Quand on parle d’hydrogène, l’imaginaire collectif a encore en tête l’embrasement du Zeppelin allemand Hindenburg, en 1937. A l’époque, l’hydrogène était contenu dans une enveloppe très fine avec un volume de gaz énorme. Nous ne sommes pas du tout dans ce type de configuration », explique le responsable de DCNS, qui rappelle également que, si les gens l’ont oublié, le gaz de ville était composé à 50% d’hydrogène jusque dans les années 60. « Sous réserve comme pour d’autres combustibles de valider des points de vigilance, comme la pression des bouteilles et l’étanchéité du système, l’hydrogène n’est pas plus dangereux que le gaz ou l’essence ». Toutes les mesures de sécurité seront bien entendu respectées sur FILHyPyNE, qui sera par exemple équipé d’un système de ventilation et verra ses bouteilles d’hydrogènes, du fait de leur stockage dans le conduit derrière la passerelle, être en prise direct avec l’extérieur et donc l’air libre.
Recours à des équipements certifiés et éprouvés
L’objectif des porteurs du projet n’est pas de réinventer la poudre. Ils veulent avant tout s’appuyer sur des équipements existants. « Nous ne faisons pas du développement, seulement de la recherche, en intégrant des technologies disponibles sur étagère, déjà qualifiées et certifiée. Ce sera par exemple le cas pour les bouteilles de stockage en composite », souligne Jean-François Le Bert, qui précise au passage que DCNS n’a pas vocation à se lancer dans la construction de bateaux de pêche. La réalisation du démonstrateur sera en effet confiée à un chantier spécialisé de la région. Tout dépendra du type de coque retenu : acier, aluminium ou matériaux composite, pour le moment le choix n’est pas fait et les pêcheurs restent ouverts à toutes les solutions.
Quatre ans pour un budget maximum de 10 millions d’euros
Côté calendrier, le projet doit se dérouler sur quatre ans. Il va d’abord falloir définir le cahier des charges du démonstrateur, qui vise donc un bateau de 12 mètres de type fileyeur ou caseyeur, avec des navigations côtières à la journée. C’est là que la puissance et la vitesse, ou encore le type de matériau retenu pour la coque, seront actés. Les études vont porter à la fois sur la propulsion et le bateau en général, les deux devant être développés de manière très étroite. Pour la partie plateforme, ce sont les architectes du Bureau Mauric qui seront à l’œuvre durant 7 à 10 mois. Ils réaliseront les études du concept général, avec intégration de la propulsion et du H2PAC, puis les études détaillées (sécurité, règlementation, adaptation au cadre d’activité des pêcheurs) et exécuteront enfin les plans détaillés. DCNS, de son côté, va durant 16 mois assurer les études du bloc énergie propulsion, puis sur une période de 8 mois sa réalisation, sa qualification à terre et les essais mer.
Dans l’intervalle, il va falloir affiner le budget, qui dans son ensemble ne doit pas dépasser 10 millions d’euros. Pour cela, FILHyPyNE espère bénéficier d’un soutien à l’innovation dans le cadre des Investissements d’avenir, mais les porteurs du projet regardent également vers Bruxelles et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Les collectivités territoriales pourraient également apporter leur soutien, à commencer par la région des Pays de la Loire, qui doit déjà subventionner les études préliminaires à hauteur de 115.000 euros, pour un budget global de 186.000 euros.
Création d’une nouvelle filière en Pays de la Loire
Ce soutien du Conseil régional entre dans le cadre de sa stratégie globale visant à promouvoir et développer l’économie maritime et littorale, afin que celle-ci constitue un relais de croissance permettant la création de nouvelles activités et par conséquent d’emplois. Mais il s’agit aussi, pour ce qui concerne la pêche, d’assurer la survie d’un secteur malmené et considéré comme très important pour la Loire Atlantique et la Vendée, les deux départements maritimes de la région. « Alors que le coût du gasoil met souvent en danger sa viabilité économique, il faut assurer la rentabilité de la pêche artisanale en Pays de la Loire. La raison d’être de FILHyPyNE est de répondre au besoin des pêcheurs et d’assurer la pérennité d’une pêche rentable durable. En plus, cela va améliorer les conditions de travail en mer des pêcheurs et amener du travail aux salariés de la navale. Car il y a derrière un marché considérable et ceux qui pourront apporter la preuve que la propulsion hydrogène fonctionne en opération disposeront d’un formidable atout pour se développer », souligne Christophe Clergeau. Pour le premier vice-président de la région des Pays de la Loire, qui compte faire de ce territoire une référence en matière d’hydrogène maritime et fluvial, « C’est la preuve que la transition énergétique, ce sont des projets mobilisant des petites et des grandes entreprises, des centres de recherche et des institutions, afin de déboucher sur un développement économique profitable à tous ».
La Basse Normandie dans la boucle avec un bateau de 16 mètres
Mais ce programme collaboratif est en train de dépasser les frontières ligériennes pour s’étendre à la Normandie, où les acteurs locaux mènent également des réflexions sur les applications de l’hydrogène. Le développement de grands projets énergétiques dans le Cotentin, avec l’EPR mais aussi les futurs parcs hydroliens et , dans le Calvados, les éoliennes offshore, pourraient voir la production électrique de la région atteindre 10 MW dans les prochaines années. Un trop plein pour les besoins locaux traditionnels qui pose la question du stockage de l’énergie pour d’autres applications. Dans cette perspective, le Conseil général de la Manche s’intéresse à l’hydrogène et souhaite le développement de démonstrateurs territoriaux terrestres, par exemple dans le domaine des véhicules, mais aussi maritimes. L’association EH2020, regroupant Areva, Air Liquide (seul grand producteur français d’hydrogène) et DCNS a vu le jour pour répondre à ces besoins, la région Basse Normandie étant également associée. Comme dans les Pays de la Loire, les pêcheurs locaux s’intéressent à la propulsion hydrogène, mais leurs besoins sont différents. Si en Vendée et en Loire Atlantique, le gros de la flottille côtière travaille sur les « arts dormants », les Normands utilisent plutôt les « arts trainants », comme le chalut, avec des zones de travail proches des côtes, ce qui autorise le recours au système H2PAC. Alors que les pêcheurs bas-normands comptent développer un chalutier à propulsion hydrogène de 16 mètres, des discussions sont en cours avec le consortium ligérien afin, autant que possible, de mutualiser les recherches et donc les coûts. « Entre les deux comités régionaux des pêches, nous souhaitons partager notre expérience. Les deux projets sont complémentaires et les calendriers sont les mêmes », explique José Jouneau, qui a plaidé dès le début pour une politique d’ouverture afin que le plus grand nombre puisse bénéficier des recherches entreprises. Côté industriel, DCNS soutient également une telle collaboration, de même que les institutionnels, les deux régions ayant pris contact en ce sens.

Le démonstrateur fera la tournée des ports ligériens (© MER ET MARINE)
Un démonstrateur itinérant que les pêcheurs pourront tester
Pour en revenir à FILHyPyNE, la réalisation du démonstrateur ligérien a, bien entendu, pour but de valider les performances opérationnelles, économiques et sociales de la technologie H2PAC en conditions réelles de pêche. Mais le futur bateau doit aussi être l’outil qui convaincra les pêcheurs d’adopter l’hydrogène. C’est pourquoi, après sa mise à l’eau et ses essais, il doit se déplacer de port en port, entre 2018 et 2019, afin de pouvoir être testé par les professionnels dans leur environnement habituel. « Ce bateau ne sera pas une vitrine flottante immobile. Il aura son propre équipage et adoptera une logique d’itinérance. Il ira pendant 12 mois faire le tour de différents ports, où nous le mettrons à disposition des pêcheurs candidats à son utilisation. Ils devraient être deux par port sur une semaine, avec pendant deux jours la formation du patron et de ses matelots, qui disposeront ensuite de trois jours de travail à bord pour remonter leur matériel », explique Laurent Baranger, du RICEP. De cette utilisation découlera un retour d’expérience sur les aspects opérationnels et économiques, avec pour objectif d’améliorer le prototype avant d’enclencher la production en série. Le démonstrateur permettra aussi de mesurer l’acceptabilité sociétale de l’hydrogène par le monde de la pêche et le grand public, qui peuvent encore en avoir peur, comme nous l’avons vu.
Le coût de l’hydrogène
La pertinence économique de FILHyPyNE dépendra, bien entendu, de la hausse du coût des combustibles fossiles, qui doit atteindre un certain seuil pour permettre, via les gains réalisés en exploitation, de couvrir le surcoût à la construction. « Le programme SHyPER a déjà permis d’identifier que le croisement des courbes entre l’intérêt économique de la solution conventionnelle et celui de l’hydrogène se ferait autour de 2020. Il est clair que le prix de cette source d’énergie va baisser, du fait notamment de son développement et de la massification. Les Japonais, par exemple, ont prévu qu’à compter de 2020, 50% de leur flotte de véhicules utiliseraient des systèmes H2PAC », assure Laurent Baranger. Pour l’heure, rappelle-t-on à la Mission Hydrogène, il existe déjà des référentiels terrestres qui donnent une idée des prix : « Sur les véhicules terrestres en service, avec un kilo d’hydrogène, on fait 100 kilomètres, sachant que l’ensemble des coûts, distribution comprise, s’élève à 8 euros le kilo », rapporte Henri Mora. Jean-François Le Bert, de son côté, fait remarquer de son côté que 80% du prix de l’hydrogène vient du coût de l’électricité nécessaire à sa production. Et d’évoquer un possible partenariat entre les pêcheurs et les développeurs de parcs éoliens offshore, qui vont cohabiter dans les mêmes zones. « Il y a sans doute des partenariats intelligents à nouer, notamment du fait que les pêcheurs bénéficient de mesures compensatoires dans le cadre de la construction de parcs éoliens en mer. On pourrait par exemple imaginer, aux heures où l’électricité produite par les éoliennes est vendue moins cher, l’utiliser pour alimenter l’hydrolyse ».
« La technologie évolue très vite »
D’un point de vue technique, le consortium se montre très confiant : « La technologie évolue très vite et la fiabilité s’est considérablement améliorée en quelques années. Il en va de même pour les prix, qui bénéficient des progrès accomplis. Ainsi, les systèmes qui ont été commandés il y a moins d’un an pour le NavHybus seront deux fois moins cher dans deux ans », estime Henri Mora. Pour autant, le groupement FILHyPyNE entend prendre le temps nécessaire pour développer au mieux le projet. D’où cette longue phase d’études, mais aussi, comme le fait DCNS pour les appareils propulsifs des bâtiments militaires, la période de qualification à terre avant l’embarquement du module énergie propulsion sur le bateau. « Il était prévu au départ d’intégrer les équipements sur le bateau et, ensuite, de faire les essais. Chez DCNS, on ne fonctionne pas comme ça, nous avons une culture de prudence liée à la complexité des projets que nous gérons. C’est pourquoi, avant l’embarquement, nous qualifions le système à terre », rappelle Jean-François Le Bert. Une méthode qui présente l’avantage de pouvoir procéder facilement à des ajustements ou modifications, interventions forcément beaucoup moins aisées dans un espace aussi restreint que la coque d’un petit navire.

Le site DCNS de Nantes-Indret (© DCNS)
Adapter la règlementation
En fait, les acteurs impliqués dans le projet jugent que le risque principal est avant tout règlementaire. Car il n’existe pas encore de texte se rapportant aux navires dont l’hydrogène est utilisé pour la propulsion principale. L’ENSM va plancher sur cette question déterminante. « Nous avons commencé à faire l’état des lieux de la règlementation. Il faudra lever des verrous règlementaires pour permettre une utilisation paisible de ce bateau », confirme Awa Sam-Lefebvre, docteur en droit et chargée d’enseignements en sécurité et sûreté maritimes à l’ENSM. Les aspects règlementaires toucheront aussi bien le bateau que la partie terrestre, avec le point crucial de l’avitaillement direct en hydrogène, qui fait encore l’objet en France d’interdictions, alors qu’il est devenu courant dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni ou encore l’Islande.
Les discussions pourraient être longues avec l’administration, d’où la nécessité de les débuter rapidement afin de coller au calendrier de construction de FILHyPyNE. Le caractère expérimental du bateau pourrait éventuellement, en attendant une règlementation définitive, bénéficier d’une « norme provisoire ». C’est en tous cas ce que suggère au Conseil régional Christophe Clergeau.
La formation des marins
Il faudra aussi penser à la formation des équipage qui seront amenés à utiliser des bateaux équipés de piles à combustible. Sur cette partie, également, l'ENSM se positionne. « Nous nous appuierons sur nos professeurs et nos outils afin de définir un référentiel de formation pour ce navire innovant ». La formation est en fait l’un des principaux enjeux du projet. Pour fonctionner, il doit emporter l’adhésion des marins-pêcheurs, qui devront avoir la volonté de s’engager dans la transition énergétique et, de ce fait, apprendre à travailler avec cette nouvelle technologie. De ce point de vue, le démonstrateur mis à leur disposition aura un rôle crucial, qui se prolongera peut être après sa période d’itinérance. FILHyPyNE pourrait dit-on servir ensuite à l’apprentissage, en remplaçant par exemple, c’est une piste envisagée, le vieux bateau du lycée aquacole de Cherbourg.

José Jouneau (© COREPEM)
Il reste donc encore du chemin à parcourir avant que le bateau de pêche à propulsion hydrogène voit le jour et se généralise. Mais, pour José Jouneau, la machine est désormais lancée : « C’est un projet que nous menons avec beaucoup d’opiniâtreté, de rigueur et d’humilité. Nous nous appuyons sur les savoir-faire des membres du groupement pour voir émerger la propulsion du futur et permettre aux pêcheurs de s’affranchir des énergies fossiles. Les pêcheurs ligériens sont au cœur de ce projet de transition énergétique et je pense qu’ils pourront en être fiers. En plus, notre profession n’est pas la seule concernée : si un bateau de pêche peut être exploité avec une pile à combustible, d’autres pourront le faire ».