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Après la livraison de son premier chalutier, le Côte d’Ambre, le groupe normand Efinor, via sa filiale Chantiers Allais, travaille maintenant sur la réalisation d’un bateau de pêche fonctionnant à l’hydrogène (H2) grâce à une pile à combustible. Ce serait une première en France. Les avantages d’une telle propulsion sont considérables: « Avec l’hydrogène, on produit seulement de l’électricité et de l’eau, il n’y a donc aucun rejet polluant. Il améliorerait aussi considérablement le confort au travail, du fait d’une propulsion électrique silencieuse, mais aussi la pêche en elle-même, puisque la discrétion permet une discrimination plus fine et donc une meilleure sélectivité », souligne Frédéric Ludet, directeur opérationnel de Chantiers Allais.

Plusieurs projets non-aboutis faute de démonstrateur

L’idée n’est pas nouvelle. En 2014, deux projets avaient été initiés en Pays de la Loire (FILHyPyNE) et en Normandie, avec le soutien des Comités régionaux des pêches. Ceux-ci s’étaient alors montrés, et c’est toujours le cas, très intéressés par les perspectives de l’hydrogène pour réduire la dépendance aux énergies fossiles et l’emprunte environnementale de la pêche, tout en améliorant le confort au travail comme la santé des marins (grâce notamment à la réduction du bruit). Mais ces projets n’ont jamais passé le cap des études, au mieux d’un premier démonstrateur terrestre de la partie génération d’énergie. Idem pour le programme SEPPAC, plus récent et qui semble lui aussi être tombé à l’eau. 

L’une des grandes difficultés réside dans le financement d’un bateau doté d’une propulsion H2. Du côté de la pêche, aucun patron ne peut s’engager dans un tel investissement sur une technologie qui bien que gagnant en maturité, est encore émergente. Il y a des questions techniques, il y a le problème l’approvisionnement en hydrogène, de la règlementation à faire évoluer… Les risques sont trop importants pour des pêcheurs qui ne peuvent se permettre d’essuyer les plâtres d’une nouvelle technologie. Et les fonds publics s’adressent surtout aux projets de recherche. Or, pour que ceux-ci aient un réel intérêt, en clair qu’ils puissent trouver une application, être industrialisés et commercialisés, il faut parvenir à les valider par un emploi en conditions réelles. Ce qui n’est pas possible sans bateau, qui plus est une plateforme représentative. Alors que la propulsion H2 progresse dans certains pays, notamment en Europe du nord, le serpent français, une fois de plus, se mord la queue depuis des années.

« Si ça marche sur un chalutier, ça marchera sur les autres types de navires »

Mais l’intérêt est là, et il devient de plus en plus en plus évident que l’hydrogène constitue une solution d’avenir à l’heure où il faut impérativement réduire les émissions de gaz à effet de serre et que le prix du pétrole, très bas ces dernières années, ne peut que remonter. C’est pourquoi, dans le cadre d’un ambitieux plan de développement de la filière hydrogène présenté en septembre dernier, la Région Normandie a décidé de soutenir un projet de chalutier à pile à combustible porté par Allais. Il s’inscrit dans la volonté de la collectivité de promouvoir un hydrogène vert, fabriqué par l’électrolyse de l’eau et alimenté par des énergies renouvelables, comme l’éolien offshore ou encore l’hydrolien. Outre le chalutier, le plan prévoit la relance de l’implantation de stations à hydrogène (une quinzaine), des véhicules H2 pour les collectivités locales ou encore une expérimentation ferroviaire. Côté maritime, c’est donc la pêche qui est d’abord visée. Un choix qui résulte du fait que cette filière est importante en Normandie, mais qui est aussi lié à des questions techniques et de stratégie industrielle : « Il n’y a pas grand-chose qui bouge plus en mer, donc si ça marche sur un chalutier, ça marchera sur les autres types de navires. L’objectif est de développer, construire et éprouver ce démonstrateur, comprendre les contraintes et valider des solutions techniques pour ensuite proposer des produits économiquement viables et pouvant être industrialisés. Nous pourrons alors développer l’hydrogène sur le marché de la pêche et d’autres secteurs, comme le transport de passagers ou les barges fluviales », explique Frédéric Ludet.

Création d’une SEM et exploitation au profit d’un lycée maritime

Sur le plan financier, l’ensemble du projet est évalué à 10 millions d’euros, dont 5 pour les études et le développement. La région Normandie apportera une aide déterminante puisqu’elle prévoit de participer à hauteur de plusieurs millions d’euros. Un montant qui se justifie notamment par le fait que le prototype de ce chalutier hydrogène doit être (au moins dans un premier temps) exploité en mode formation par le Lycée professionnel maritime et aquacole de Cherbourg-en-Cotentin. Ce qui lève donc l’obstacle de devoir trouver un armateur privé. « L’objectif est de réaliser un démonstrateur avec un fort soutien public pour lancer la filière. Mais il y aura aussi des investissements privés. Nous allons créer une société d’économie mixte à laquelle auront accès tous les acteurs privés intéressés, et d’autres régions où la pêche est un secteur économique important et qui souhaiteraient s’engager dans cette voie. La SEM aura comme premier objectif de financer les études, puis il y aura un point d’étape et si c’est concluant, nous continuerons vers la construction du bateau, dont la SEM serait propriétaire ». L’objectif est de voir la société d’économie mixte créée dans le courant de l’été en vue de commencer les études au second semestre de cette année. « Nous espérons si tout va bien disposer d’une version basique du bateau vers mi-2021 et d’une version définitive un an plus tard. Le calendrier dépendra notamment du développement de la pile à combustible ».

Un jumeau du Côte d’Ambre équipé d’une pile de 480 kW

Voulant un modèle représentatif tout en capitalisant sur ce qui a déjà été fait, le constructeur cherbourgeois a opté pour le design du Côte d’Ambre, chalutier-langoustinier de 16.5 mètres de long pour 6.5 mètres de large qu’il vient d'achever pour les frères Tréguier, de Lorient. « L’idée est d’avoir la même coque, la même puissance, la même vitesse et les mêmes équipements, ce qui permettra de faire une comparaison réellement pertinente entre un chalutier propulsé au diesel et son jumeau fonctionnant à l’hydrogène ».

 

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© EFINOR

Le Côte d'Ambre (© : EFINOR)

 

Techniquement, les clés du projet résident dans la pile à combustible qui alimentera le moteur électrique de propulsion, les convertisseurs d’énergie et le système de contrôle/commande, le tout adapté à un usage dans un environnement marin. « Il nous faut pour ce projet un système de piles à combustible de moyenne puissance, de l’ordre de 480 kW. C’est un saut considérable par rapport au premier bateau à hydrogène construit en France, le Navibus mis en service à Nantes l’an dernier, qui est équipé de deux piles de 5 kW chacune ». Pour obtenir les 480 MW, le bateau devrait disposer de six piles de 80 kW accouplées dans des racks. En matière d’autonomie, Allais vise des performances comparables à celles du Côte d’Ambre. Mais pour cela, prévient Frédéric Ludet, « il faudra lever des verrous règlementaires. On a vu les premiers projets hydrogène en France rencontrer des difficultés importantes à ce niveau, ce qui a entrainé beaucoup de retard. Pour passer à la vitesse supérieure, il faudra traiter de façon constructive avec l’administration et non de manière dogmatique, sinon on n’y arrivera pas ». Pour l’heure, les porteurs du projet estiment qu’avec 150 kg d’hydrogène gazeux (compressé à 350 bar), le chalutier pourra naviguer une demi-journée et avec 300 kg une journée entière. « Nous réfléchissons aussi à la possibilité d’employer de l’hydrogène liquide, qui a l’avantage d’être plus compact. Il y a d’ailleurs des études en ce sens pour les camions, avec des projets pour lesquels on évoque une autonomie de 3000 kilomètres sans ravitailler ».

Partenariat avec l’industrie automobile

Pour mener à bien le projet, le constructeur cherbourgeois a d’ailleurs noué des partenariats avec des spécialistes, mais pas dans l’industrie navale. Il s’est d’abord tourné vers Symbio, société française détenue par le groupe Michelin et Faurecia, qui ambitionne de devenir un leader mondial de la mobilité hydrogène. Pourquoi s’allier à l’industrie automobile ? « Aujourd’hui, ce qui va tirer la filière, c’est le transport terrestre, et notamment les gros camions de plus de 26 tonnes qui auront tout intérêt à passer à l’hydrogène en raison des nouvelles normes contre la pollution. Notre objectif est de développer le maritime en parallèle, sachant que la plupart des moteurs de bateaux, comme Iveco, Scania ou MAN, sont à la base des moteurs de camions, qui ont été marinisés. L’idée est de faire la même chose avec l’hydrogène. Cela fait un an que nous travaillons dans cette perspective avec Symbio pour développer un système de propulsion marin, qui traite notamment la problématique du sel, dont il faut protéger les convertisseurs ». Allais collabore aussi avec le Laboratoire Universitaire de Sciences Appliquées de Cherbourg (LUSAC), Europe Technologies et pour le développement de la station d’avitaillement en hydrogène avec Ergosup, qui installera le dispositif dans le grand port du Cotentin.

 

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