Une nouvelle passe d’armes a eu lieu en fin de semaine dernière au sujet du chalutage en eau profonde. Cette pêcherie, qui cible trois espèces de poisson (sabre, grenadier et lingue bleue) dans le cadre de quotas règlementés par Bruxelles, a suscité de nombreux débats ces dernières années, opposant les pêcheurs et des associations écologistes, qui souhaitent voir sa limitation voire son interdiction.
La restriction volontaire de l’armement Scapêche
L’armement lorientais Scapêche (groupe Intermarché) fut ainsi longtemps dans le viseur des ONG environnementale, puisqu’il exploite une flotte de chalutiers dont une partie de la pêche s’effectue dans les grands fonds. Après plusieurs années de débats, parfois très médiatisés, la Scapêche a décidé de se restreindre volontairement à une profondeur de chalutage de 800 mètres à compter du 1er janvier 2015.
Un règlement européen est en cours d’élaboration
Parallèlement, une procédure législative est en cours au niveau européen. La Commission européenne avait proposé une limitation drastique de la pêche en eau profonde, dans laquelle le chalutage ainsi que les filets maillants dérivants étaient ciblés, et qui qualifiait d’ « eau profonde », les profondeurs allant de 400 à 1500 mètres. Cette proposition avait été écartée par le Parlement européen en décembre 2013 par un vote très serré. Le Conseil avait, quant à lui, adopté une position intermédiaire en novembre 2015 en statuant sur une interdiction du chalutage au-delà des 800 mètres. Comme il s’agit d’une procédure en co-décision, le texte devra désormais être examiné en trilogue (Commission, Parlement européen et Conseil) pour y être négocié et adopté. Cette procédure est toujours en cours.
Une initiative législative française dans la loi Biodiversité
Il est sans doute utile de rappeler ici que la règlementation de la pêche relève, en priorité, du droit de l’Union européenne. Si celle-ci adopte un texte, comme une interdiction d’un type de pêche, elle va s’imposer immédiatement à l’ensemble des Etats membres. Ceux-ci peuvent, dans une certaine mesure, également légiférer dans le domaine de la pêche mais uniquement si leurs textes sont conformes à la lettre et à l’esprit de la règlementation européenne.
Des contributeurs de l’immense loi Biodiversité, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale ces dernières semaines, ont ainsi également souhaité légiférer dans le domaine de la pêche. Lors de l’examen en commission du développement durable, le 25 février, le député UDI de la Meuse Bernard Pancher a ainsi fait adopter un amendement à l’article 56 du projet de loi, prévoyant l’interdiction « de pratiquer le chalutage en eaux profondes, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat ». Un amendement similaire avait été adopté par la commission du Sénat lors de son examen de la loi Biodiversité en première lecture ; il avait été écarté lors du vote en plénière.
Inquiétude du milieu du chalutage
Le retour de cet amendement a fait vivement réagir les professionnels de la pêche. Ce n’est pas seulement la question de la pêche profonde qui a inquiété les pêcheurs mais la possibilité que, selon l’amendement, ce soit un décret qui décide quelle profondeur était visée par cette interdiction et que, par conséquent, il puisse établir des critères plus sévères que ceux que la future législation européenne. Ils ont ainsi pu y voir une menace potentielle sur un spectre beaucoup plus large de chalutiers, et par extension sur le chalutage en général.
Très forte mobilisation des députés littoraux
L’émotion a été vive sur les côtes, et notamment en Bretagne et à Boulogne, où les chalutiers constituent une grosse partie de la flottille de pêche. Les élus locaux, tous bords politiques confondus, sont immédiatement montés au créneau et ont effectué une importante riposte en déposant, à la veille du vote en plénière, quatre amendements identiques (1er, 2ème, 3ème, 4ème) visant à faire annuler l’amendement de Bernard Pancher.
Des débats accrochés à l’Assemblée nationale
Les débats parlementaires furent vifs, dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 mars, marqués par des échanges au sujet de deux problématiques distinctes : d’une part celle relevant spécifiquement de la pêche en eau profonde et celle plus générale du chalutage en lui-même. Le gouvernement, pris entre deux feux, a tenté de proposer l’alignement de la loi sur la limite des 800 mètres, pour rassurer le secteur de la pêche en général et du chalutage en particulier. Cette limite, qui serait vraisemblablement celle du cadre européen, n’aurait d’impact, selon les déclarations faites lors du débat parlementaire et suite aux restrictions volontaires de la Scapêche, que sur un seul navire français.
La procédure se poursuit devant le Sénat
Ces arguments n’ont pas convaincu la majorité des parlementaires qui ont choisi d’écarter l’amendement Pancher et toutes propositions en découlant, et donc la pêche profonde du projet de loi. Le texte adopté en fin de semaine dernière à l’Assemblée nationale va désormais effectuer la navette vers le Sénat pour son examen en deuxième lecture. Les représentants du Comité National des Pêches ont annoncé rester vigilants sur la suite du processus législatif.