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Imaginé par le Paimpolais Yannick Hémeury dans la perspective du renouvellement des bateaux de pêche côtiers d’une longueur inférieure ou égale à 12 mètres, le projet Sérénité, lancé durant l’hiver 2012/2013, franchit un nouveau cap. La maquette à l’échelle 1/8ème débute cette semaine une campagne d’essais au grand bassin de traction de l’Ecole centrale de Nantes. Fraîchement livré par ProDesign 3D, le modèle réduit, long de 1.5 mètre, avait traversé le bassin une première fois le 30 juin, mais il s’agissait simplement d’une démonstration réalisée à l’occasion de la venue d’une délégation bretonne comprenant les porteurs et partenaires du projet. Après avoir achevé une campagne d’essais pour un autre programme et terminé la préparation de la maquette de Sérénité, les équipes du Laboratoire de recherche en Hydrodynamique, Energétique et Environnement Atmosphérique (LHEEA) de l’ECN entrent maintenant dans le vif du sujet.

 

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Le bassin de traction de l'ECN (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Visite de la délégation bretonne le 30 juin (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

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© BMC

Sérénité (© BMC)

 

 

Valider les calculs réalisés via la simulation numérique

 

 

L’objectif est de valider par des expérimentations physiques les calculs réalisés depuis trois mois sur des modèles numériques. Ceux-ci ont déjà permis d’optimiser le design initial imaginé par Yannick Hémeury, armateur et ancien patron-pêcheur, avec le bureau d’architecture navale Coprexma de Pont L’Abbé. Ainsi, la forme de la carène a été retravaillée sur ordinateur pour réduire la résistance à l’avancement et, ainsi, diminuer la puissance moteur nécessaire pour obtenir la même vitesse. « Après 20 mois de travail, on arrive au but. La maquette est enfin à flot, elle va être testée afin de valider les gains sur la résistance et donc sur la consommation qui proviennent des évolutions réalisées lors des études numériques. De ces essais en bassin va découler la réalisation du moule et, ensuite, la construction du premier bateau », explique Yannick Hémeury, qui se félicite notamment que son idée initiale d’étrave inversée soit pour le moment confortée : « L’étrave inversée, ça a fait rigoler au début sur les quais mais, aujourd’hui, on arrive à quelque chose de cohérent et ce design va jouer un rôle important dans les gains attendus ». Principal avantage de cette architecture, elle offre une flottaison sur toute la longueur du navire et permet de moins charger la structure, ce qui autorise un gain de poids et peut contribuer à allonger la durée de vie du bateau. En revanche, l’étrave inversée engendrerait plus de mouvement de tangage selon les ingénieurs. Les essais devront donc déterminer quel peut être le meilleur compromis entre le confort, les opérations et la nécessité de réduire les coûts d’exploitation afin que le Sérénité présente un bon niveau de rentabilité.  

 

 

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Maquette numérique de Sérénité (© BMC)

 

 

La petite maquette dans le grand bassin de traction

 

 

Dans le grand bassin de traction de l’Ecole centrale de Nantes, long de 150 mètres pour une largeur de 5 mètres et une profondeur de 3 mètres, la maquette de Sérénité est surmontée d’un pont roulant instrumenté, auquel elle est reliée par un bras. Il n’y a pas d’hélice, la maquette étant tractée par le dispositif, conçu  pour reproduire fidèlement l’avancement du bateau. Pour cela, toute une méthodologie est en place. Le point de traction, par exemple, est dans l’axe de poussée qui correspondrait à l’arbre moteur.  Différents correctifs sont également apportés, notamment sur la vitesse des mouvements de plateforme, plus rapides que dans la réalité, ou encore au niveau de la densité du liquide, le bassin étant rempli d’eau douce et non d’eau de mer. De même, l’écoulement lent de l’eau sur la maquette a tendance à la freiner plus que la résistance offerte dans la réalité par un écoulement turbulent. C’est pourquoi une bande rugueuse a été fixée sur l’étrave, afin de générer une turbulence qui se développe sur toute la carène.  

 

 

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Le bassin de traction de l'ECN (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

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La maquette de Sérénité (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

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La maquette de Sérénité (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

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La maquette de Sérénité (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

 

On constate par ailleurs que seule la coque a été reproduite, pas les superstructures. « Nous nous concentrons sur l’hydrodynamisme. La masse et la répartition des poids sont extrapolées de manière à reproduire l’échelle 1. Nous allons tester la maquette en simulant des mers calmes et plus ou moins formées, afin de mesurer les effets générés par l’écoulement de l’eau et la résistance à l’avancement. Il s’agit, ensuite, de voir quel est le comportement du bateau face à la houle et de comparer avec les essais numériques de tenue à la mer », explique Jean-Marc Rousset, en charge du projet au LHEEA.  

 

Formidable évolution technologique, l’outil numérique permet de réaliser rapidement les calculs de stabilité et de tester beaucoup plus vite et pour un coût infiniment moindre différents profils de carène, sans avoir besoin, à chaque fois, de réaliser une maquette. Mais l’apport de l’informatique ne s’arrête pas là, puisqu’il donne bien d’autres informations extrêmement utiles. Ainsi, en fonction du déplacement du navire, la simulation numérique précise les courbes de puissance et les vitesses correspondantes, ce qui permet de déterminer la poussée que doit avoir l’hélice pour atteindre la vitesse contractuelle. On peut, dès lors, choisir le type d’hélice en fonction du rendement de chacun des équipements.

 

 

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Simulation de mer légèrement formée (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Simulation de mer légèrement formée (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

 

L’expérimentation physique toujours nécessaire

 

 

Toutefois, malgré les progrès de la simulation numérique, les ingénieurs et architectes navals ont toujours recours aux essais en bassin. « Nous validons toujours les résultats obtenus en simulation numérique par une approche expérimentale. C’est là, à l’issue des essais en bassin, que la forme définitive de la coque est validée », souligne Jean-Marc Rousset, dont les propos sont complétés par l’un des collègues : « Il peut toujours y avoir une incertitude avec le numérique et nous testons certains points sur lesquels le code a encore beaucoup de mal à travailler. De même, nous expérimentons des choses que l’on peut faire facilement avec la maquette mais qui sont complexes à réaliser avec le numérique et réclameraient beaucoup de temps, comme les champs de pression ». On notera, de plus, que le projet Sérénité sera un peu particulier pour le laboratoire nantais puisque l’équipe se rendra à bord du premier bateau de la série, lorsqu’il sera construit, afin de « corroborer les éléments d’étude réalisés sur la maquette ». Un travail de bout en bout qui est, selon les ingénieurs, « très rare » et qui les intéresse évidemment pour vérifier que leurs travaux sont au plus haut niveau de fiabilité.

 

 

Premier bateau de pêche au laboratoire depuis 20 ans

 

 

Pour le LHEEA, même si le plan de charge est plein pour un an et les moyens d’essais très sollicités par de grands projets, notamment dans le secteur porteur des énergies marines, Sérénité est un très beau contrat. Ce n’est pas le plus cher ni le plus complexe, mais c’est la première fois depuis 20 ans que le bassin accueille une maquette de bateau de pêche. Une tendance portée par les besoins de renouvellement de la flottille et les programmes de soutien à la R&D initiés dans le secteur. Ainsi, l’Ecole Centrale de Nantes va également expérimenter la maquette du Megaptère, un projet de chalutier trimaran de 21 mètres, porté par les chantiers Bernard.

 

 

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Jean-Marc Rousset et Yannick Hémeury (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

 

Une propulsion diesel-électrique

 

 

Pour en revenir à Sérénité, les essais de la carène sont cruciaux pour Yannick Hémeury et sa société de conseil, Breizh Marine Consult, qui porte le projet. Le design n’est, toutefois, que l’un des atouts du futur bateau, qui s’appuie également sur d’autres points forts. Le premier est le mode de propulsion choisi, à savoir le diesel-électrique, qui offre une souplesse d’emploi bien plus importante que la propulsion mécanique et permet des gains d’énergie appréciables. Devenue très prisée sur les grands navires, l’architecture diesel-électrique est une première pour un bateau de pêche de seulement 12 mètres. Dans le même temps, Yannick Hémeury veut recourir à une motorisation la plus simple possible et, dans cette perspective, il s’est rapproché de John Deere. Connue pour dans le monde agricole pour équiper les tracteurs, la société américaine, implantée à Orléans, s’intéresse aujourd’hui au secteur maritime, proposant un moteur diesel adapté à ce milieu. L’intérêt serait de profiter de machines réalisées en série et de faciliter la maintenance : « Pour faire des économies, on peut jouer sur le carburant, l'entretien, comme on le fait aussi sur l'ergonomie du bateau », note Yannick Hémeury. Exit donc l’arbre d’hélice et le réducteur, le moteur diesel étant couplé à un alternateur, produisant le courant nécessaire au fonctionnement d’un moteur électrique. En plus des économies financières, cette propulsion offre au passage l’avantage d’être plus respectueuse de l’environnement, avec une réduction significative des émissions polluantes : 50 % de particules et 40 % d'oxyde d'azote (NOx) en moins.

 

 

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(© BMC)

 

 

Confort amélioré

 

 

L’ergonomie est également très importante dans ce projet, notamment pour des problématiques de recrutement. Les professionnels de la pêche sont en effet confrontés à de vrais soucis pour embaucher des jeunes, plus exigeants que leurs aînés sur le confort. Proposer de nouveaux bateaux modernes, plus stables et agréables à vivre  pourrait donc, au passage, relancer l’attractivité des métiers de la pêche. Conçu pour améliorer le confort et l’efficacité au travail, mais aussi la sécurité, Sérénité, doté d’une passerelle panoramique offrant une vision à 360°,  verra ses locaux vie situés au dessus de la ligne de flottaison. A l’issue de la validation des lignes de coque va débuter le travail de répartition des volumes et des masses, sachant que le bateau pourra être décliné en chalutier, coquiller, fileyeur (poissons et araignées), palangrier et caseyeur, le poids de ces différentes versions oscillant entre 39.2 et 43.8 tonnes.

 

 

Un besoin de renouvellement énorme de la flottille côtière

 

 

Le projet de Yannick Hémeury vise un marché très large puisqu’en 2012, la flottille de pêche française comptait 1724 bateaux d’une longueur allant jusqu’à 12 mètres et dont l’âge était de plus de 30 ans, certaines unités atteignant le demi-siècle d’activité. Il y a donc un fort besoin de renouvellement, alors que le coût du gasoil, qui a été multiplié par quatre en 20 ans, est un problème majeur pour la pérennité économique du secteur. Le gros de la flottille à remplacer se situe en Bretagne (430 bateaux de plus de 30 ans) et en Provence Alpes Côte d’Azur (430), le Languedoc-Roussillon (278), l’Outre-mer (192) et les Pays de la Loire (125) arrivant ensuite.

 

 

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La pêche aux subventions

 

 

Afin que son projet voit le jour, Yannick Hémeury est allé à la pêche aux subventions, avec un succès certain puisque les coûts de R&D, qui doivent s’élever au final à 460.000 euros, avec une première phase de 180.000 euros (la facture des études réalisées par l’Ecole Centrale de Nantes s’élevant à 36.000 euros) seront intégralement couverts par des fonds publics. Au travers de différents programmes d’aides à l’innovation, l’Etat assumera 40% de la facture, l’Europe (via le FEP) 20%, la région Bretagne 20% et les quatre départements bretons (Finistère, Côtes d’Armor, Morbihan et Ile et Vilaine) 5% chacun.

 

 

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(© BMC)

 

 

Une mise à l’eau en 2015 et déjà deux clients méditerranéens

 

 

Côté construction, le moule du futur bateau sera réalisé par le chantier Gilles Conrath de Paimpol. Yannick Hémeury voudrait bien que France Filière Pêche finance cet outil, qui permettra de réaliser les 20 premières coques. Quant au chantier qui sera en charge de fabriquer Sérénité et ses petits frères, les discussions sont toujours en cours mais le patron de Breizh Marine Consult ne cache pas son souhait de voir les bateaux naître sur ses terres costarmoricaines : « C’est l’occasion de mener un véritable projet de territoire et de redonner de la construction navale à Paimpol. On pourrait créer une vingtaine d'emplois à raison de deux bateaux par an ». L’armateur, qui fera réaliser pour lui le prototype, se fixe toujours comme objectif une mise à l’eau en 2015.  Et, déjà, deux premiers clients ont été convaincus, non pas sur la côte bretonne, comme on aurait pu s’y attendre, mais en Méditerranée : un pêcheur de La Ciotat pour un chalutier et un patron de Port-la-Nouvelle pour un Bolincheur. Alors que Sérénité est déjà labellisé par le Pôle Mer Bretagne Atlantique et soutenu par les collectivités et acteurs locaux, Yannick Hémeury veut d’ailleurs que son bateau perce aussi dans le sud de la France. Pour cela, il cherche notamment à nouer et renforcer des partenariats avec la région Provence Alpes Côte d’Azur et le Pôle Mer PACA. D’ores et déjà, des études sont en cours avec le Comité régional des pêches de Languedoc-Roussillon afin d’adapter les aménagements de Sérénité aux besoins locaux pour de petites marées de 24 heures (dimensions des cuves de baillages et de la cale, aménagements/conditions météorologiques en été, motorisation...) Une étude complète de stabilité pour l’utilisation de la senne coulissante est également prévue.

 

 

La problématique du financement

 

 

Si le prototype devrait coûter autour d’un million d’euros, l'objectif est, grâce à l’effet de série, de faire ensuite descendre la facture sous la barre des 800.000 euros. En matière de financement des projets, la Direction des Pêches Maritimes et de l’Aquaculture a organisé le 27 juin une réunion avec la Banque Publique d’Investissement. Des réflexions sont par ailleurs en cours avec le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel de Bretagne, le Pôle Mer Bretagne ainsi que la BPI pour accompagner le financement de l’installation des jeunes. L’idée de mettre en place un crédit-bail de 60 ans, permettant d’éviter les apports financiers, souvent trop lourds pour les pêcheurs, notamment ceux qui s’installent, est avancée. Les porteurs du projet continuent, par ailleurs, à étudier les possibilités de défiscalisation pour soutenir le financement des bateaux par des armateurs privés ou des sponsors. 

 

 

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