Aujourd'hui s'ouvre la saison de pêche à la coquille saint-Jacques, l'une des plus surveillées par les autorités maritimes. Le capitaine de frégate (R) François Didierjean nous livre le récit d'un embarquement aux côtés de l’équipage de la vedette Trieux de la Gendarmerie maritime.
06h30, en baie de Saint-Brieuc, la vedette côtière de surveillance maritime Trieux de la Gendarmerie maritime largue ses amarres par une nuit noire. Une de ses missions est d’arriver avant l’ouverture des quatre heures de pêche accordées ce jour aux pêcheurs de coquilles Saint-Jacques pour vérifier que ces horaires sont scrupuleusement respectés. La campagne de pêche se tient habituellement entre les mois d’octobre et d’avril, uniquement deux jours par semaine.
L’équipage du Trieux, à l’image de ses 23 autres «sisterships», procède à des opérations de police des pêches et de la navigation jusqu’à une vingtaine de milles des côtes. La vedette mesure 20 mètres, a une autonomie de 600 milles et peut atteindre une vitesse de 20 nœuds. Sa circonscription s’étend sur 110 milles de côtes, comprend 21 ports qui abritent 365 navires de pêche et plus de 8000 voiliers.

La VCSM Trieux ( © FRANCOIS DIDIERJEAN)
La pecten maximus
Et dans sa circonscription, la pêche à la coquille est une des activités les plus importantes et contrôlées.
Les légendes font de ce coquillage le signe de la puissance miraculeuse de saint Jacques, sauvant des flots tumultueux un prince que son cheval emballé y avait précipité. Sur le point de périr, le cavalier invoque l'aide du saint, et bientôt son corps se trouve miraculeusement repêché, tout constellé de coquilles. Ce sont ces mollusques bivalves dont la forme rappelle celle de la main, que les pèlerins ramassent sur la grève et ont coutume de coudre à leur chapeau, en signe de leur pérégrination, quand vient le moment du retour de Compostelle.
Ce crépidulé filtreur, gourmand de plancton, se plait dans les espaces sablonneux. Dite «blanche» pendant la campagne de pêche, elle est coraillée l’été. Sa taille commerciale minimum est de 10.2 centimètres si elle est pêchée par un professionnel et de 11 cm par tout autre «terrien». La date d’ouverture, les horaires ainsi que les modalités de sa pêche sont particulièrement réglementés par le Comité régional des pêches et font l’objet de «directives» régulièrement actualisées. Incollables sur ces subtilités technico-juridiques, les gendarmes maritimes connaissent quasiment par cœur les zones autorisées dont les limites sont tirées au cordeau.

Un coquillier, paré à partir en pêche ( © FRANCOIS DIDIERJEAN)
Le ballet nautique des coquilliers
A 09h, c’est un vrai ballet marin qui commence, chaque coquiller tirant ses traits dans un ensemble pouvant paraître anarchique. Toutes les trente minutes, les dragues sont remontées, vidées sur le pont puis rejetées à l’eau. Les matelots s’activent. Près de la moitié de ce qui a été ramassé ne concerne cependant pas la pêche... roches, crustacés, poissons divers, coquilles vides ou de trop petite taille. L’équipage du Trieux observe attentivement, aucun contrôle n’est habituellement mené lors de cet espace temps chronométré.

Aussitôt vidée sur le pont, la drague est remise à l'eau (© FRANCOIS DIDIERJEAN)
Le tri est effectué sur le pont (© FRANCOIS DIDIERJEAN)
Un cahier des charges rigoureux
En tout début d’après-midi, les bateaux retournent au port pour la pesée obligatoire (le quota par jour est de 800 kilos pour les bateaux embarquant jusqu’à deux hommes et de 1000 kilos pour ceux dont l'équipage est plus conséquent). Pour éviter les doubles contrôles (Douane, Affaires maritimes, Gendarmerie départementale) le Centre national de surveillance des pêches d’Etel est contacté. Outre les contrôles administratifs comme la présentation de la licence annuelle, du permis de navigation, du rapport de visite annuelle de sécurité, du certificat de franc bord, du rôle d’équipage, de l’étiquette sanitaire apposée sur la pêche avec le nom du navire et son matricule pour faciliter la traçabilité, un sondage aléatoire permet de mesurer les coquilles avec un pied à coulisse appelé ici «bûche».
Trente minutes pour tout trier
Le tonnage officiel est comparé à celui qui est évalué visuellement (une manne correspond à 20 kilos, un sac à deux mannes). Cinquante pour cent des prises sont conservées par le pêcheur pour ses propres clients, le solde est mis aux enchères à la criée avec un prix barrage (de retrait) qui était ce jour là de 2 euros le kilo.
En cas de non respect des exigences réglementaires propres à la pêche et à cette pêche en particulier, la sanction administrative redoutée est le retrait de la licence communautaire par l’administrateur, l’appréhension des coquilles pour remise à l’eau de ce qui est vivant mais aussi l’interdiction de sortir en mer pendant plusieurs jours.

Une drague à coquille de type bretonne (© FRANCOIS DIDIERJEAN)
Surprise en soirée au port
Le Trieux finit sa journée dans un port de la zone. Une fois la vedette amarrée, l’équipage se partage entre la capitainerie, l’administratif à tenir, l’échange d’informations avec les collègues «terriens» mais aussi la préparation du dîner.
Le phare de l’alignement d’entrée commence sa ronde nocturne, accompagnée soudainement par le ronflement caractéristique d’un moteur diesel. Rapide coup d’œil de la passerelle pour constater l’arrivée d’une embarcation «mi-pêche mi-promenade» sans aucun feu. Les deux plaisanciers hélés pour venir à couple semblent ne pas entendre. Le projecteur est allumé, le haut-parleur activé. Le même ordre répété une seconde fois est exécuté. Un rapide tour de l’unique cabine permet de découvrir des sacs-filets remplis de coquilles et une drague artisanale «faite main» mal dissimulée sous des cirés jaunes.

L'embarcation inspectée ( © FRANCOIS DIDIERJEAN)
Une embarcation plutôt pêche que promenade...
Lors de l’audition, les deux complices expliquent sans trop convaincre, que pour faire plaisir à des amis restaurateurs, ils les alimentent régulièrement mais de façon totalement désintéressée en coquillages Saint-Jacques garanties «sauvages» sur la carte de ces derniers.
Le matériel est appréhendé, la pêche remise à l’eau devant les intéressés, un PV de l’infraction dressé. Celui-ci sera transféré dans les 72 heures à l’administrateur des Affaires maritimes et au procureur de la République pour d’éventuelles mesures administratives, sanctions pénales et financières, contrôle de cette chaîne illégale de commercialisation.

Saisie d'un matériel de pêche bien éloigné de celui d'un plaisancier ( © FRANCOIS DIDIERJEAN)
1.100 militaires, 38 unités navigantes de 10 à 37 mètres répartis en métropole et outre-mer caractérisent la Gendarmerie maritime, cinquième force de la Marine nationale (Force d’action navale, Aéronautique navale, Force océanique stratégique, Force des fusiliers marins et commandos). Rattachée au ministère de la Défense, la Gendarmerie maritime est mise pour emploi auprès du chef d’état major de la marine