Des ajoncs et de la bruyère, des falaises vertigineuses et le port du Stiff en contrebas, avec le Fromveur II de la Penn Ar Bed sur une mer bleu canard. Une poignée de promeneurs chanceux profite de ce décor ouessantin dans une matinée sans vent et sans nuages en plein mois de janvier. Seule fausse note à la carte postale : un bras articulé dépasse de la lande.

Le site a une vue imprenable sur la baie du Stiff (© MER ET MARINE - GAEL COGNE)

(© MER ET MARINE - GAEL COGNE)
En s’approchant d’avantage de la pointe de Penn Arlan, au Sud-Est de l’île, émergent de la lande en coussinets quelques préfabriqués et de bruyants engins de chantier. Ils raclent, soulèvent, déposent et trient plastiques, terres, pierres ou ferrailles. Gravats et déchets sont rangés en tas par calibres ou prêts pour expédition dans des bennes ou big bags étanches. A côté : un trou. Ou plutôt, un gouffre à deux pas des falaises vertigineuses. Sur ses parois pendent des déchets en tous genres pris dans la terre. Une arche ferme la fosse dont la mer lessive le fond.

(© MER ET MARINE - GAEL COGNE)

(© MER ET MARINE - GAEL COGNE)
A côté des machines, une bonne douzaine de personnes, casque de chantier sur la tête. C’est jour de visite pour l’équipe du parc naturel marin (PNM) d’Iroise. Le chantier a commencé début janvier. Avec 2 millions d’euros du plan France Relance, le PNM a lancé la restauration expérimentale de la décharge dite de Bouge Pep (prononcer Bougué Pep, située à Bougeo Ar Pebr). Depuis plus de 70 ans, une anfractuosité de la falaise a servi de décharge tolérée où se sont accumulés 8000 m3 de déchets et gravats, selon les estimations menées. Voitures, matériaux du BTP, engins de pêche, plaques d’amiante, appareils électroménagers, peaux et carcasses de mouton y ont été jetés pêle-mêle, formant des strates qui témoignent des usages sur l’île depuis 1940 et comblent presque la fosse. On pourrait même y trouver les cheminées de l’Olympic Bravery, le pétrolier qui s’était brisé de l’autre côté de l’île, vers Yuzin, le 24 janvier 1976. Une déchetterie officielle existe maintenant sur l’île. La décharge de Bouge Pep n’a plus lieu d’être. Un arrêté municipal en interdit l’accès depuis 2020.
Les ports dépollués
A partir de 2019, le parc marin d’Iroise a identifié de nombreux sites pollués dans les zones portuaires et insulaires de son enceinte. Déjà, plusieurs ports ont été dépollués (Le Conquet, Camaret, Le Rosmeur, Morgat) par des scaphandriers et plongeurs, avec un financement du plan de Relance et du dispositif Interreg Preventing Plastic Pollution financé par l’Union européenne. Tous les ports continentaux de l’Iroise devraient avoir été dépollués d’ici la fin de l’année.

Sur cette vue aérienne de 1963, on voit le gouffre à l'entrée de la pointe. La mer communique en passant sous la falaise, au nord (© GEOPORTAIL)

Le gouffre, de nos jours, à demi-comblé (© GEOPORTAIL)

Le site avant le début des travaux. (© MARIE-AMELIE NEOLLIER - OFB)

Le site avant le début des travaux. (© MARIE-AMELIE NEOLLIER - OFB)
Restait à s’attaquer aux décharges. « Il y en a partout en France, que l’on soit en montagne, en campagne, ou en bord de mer », tient à rappeler, en préambule, Marie-Amélie Néollier, en charge de ce projet pour le PNMI. Mais la montée du niveau des eaux inquiète. Elle « remobilise » les vieux déchets qui menacent de repartir dans le milieu marin. « Avant, on mettait des patchs, on confinait ». La solution n’est pas pérenne, d’autant que le site est instable. Un éboulement pourrait « à terme, emporter le massif de déchets » d’un coup vers la mer. Alors, « c’est un problème qu’on prend à bras le corps ».
Un travail compliqué
Ce ne sont pas des mots en l’air. Le chantier cumule les difficultés : il doit se dérouler en plein hiver pour ne pas perturber les oiseaux qui nichent sur les falaises, le matériel doit être amené par le petit cargo Molenez de la Penn Ar Bed, le site se trouve en pleine zone Natura 2000, la proximité des falaises rend les travaux scabreux… Bref, « c’est le pire que l’on puisse imaginer en termes de climat, de contraintes », souligne Marie-Amélie Néollier. C’est justement pour cela que ce site a été choisi pour en faire un chantier expérimental. Car, « si on arrive à faire ça là, on sort un cahier des charges, des fiches méthodologiques, des entrepreneurs en capacité d’intervenir… Notre objectif est de transmettre cette expérience pour que d’autres gestionnaires de territoires puissent gérer ces décharges ».

Tout le matériel a été transporté par le Molénez, de la Penn Ar Bed (© MER ET MARINE - GAEL COGNE)

(© LE FLOCH DEPOLLUTION)

(© LE FLOCH DEPOLLUTION)
En quatre mois, le site doit être vidé de ses déchets et sécurisé, les pentes adoucies et l’endroit renaturé pour revenir à son état initial afin de retrouver un bon état écologique. La tâche incombe à Le Floch Dépollution qui s’est fait une spécialité des « moutons à cinq pattes », glisse son PDG, Jean-Pierre Vanbaelinghem, qui a récemment travaillé à l’île Maurice après la catastrophe provoquée par le Wakashio. L’entreprise morlaisienne, qui mobilise une dizaine de personnes sur Ouessant, a décroché en septembre l’appel d’offres préparé depuis plus d’un an par le parc marin.
De nombreuses études et analyses
Auparavant, il a fallu réaliser plusieurs travaux pour analyser le comportement des polluants avec le Cedre (Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) ou dresser la topographie du site par des études géophysiques et géotechniques, doublées de magnétométrie et panneaux électriques pour identifier les volumes de ferrailles. Le chantier commencé, les analyses continuent. Le Floch Dépollution travaille sur des mailles qui quadrillent le site. Chaque maille est creusée et dépolluée sur une profondeur de 2 mètres. Mais avant de s’y attaquer, les quadrilatères de 2 mètres de profondeur sont analysés pour en déterminer les polluants et adapter les techniques à mettre en œuvre.

(© MARIE-AMELIE NEOLLIER - OFB)

(© MARIE-AMELIE NEOLLIER - OFB)
« Le but est de trier tout cela, en sécurité - vous avez vu le trou - et en qualité - pour ne pas créer de surpollution - », poursuit Jean-Pierre Vanbaelinghem. Pour y parvenir, le tamis est sophistiqué. Des filets anti-envol ont été disposés pour empêcher que les plastiques partent vers la lande ou la mer. D’autres, dans le trou, retiennent la masse de déchets, si elle venait à partir vers le fond du gouffre. « Le gros défi, c’est que les déchets n’arrivent pas à transiter », précise Marie-Amélie Néollier.
Machines et tri manuel
Les déchets sont traités manuellement et mécaniquement. Deux cribles en étoile approvisionnés par des tractopelles ont été ramenés sur l’île pour calibrer ce qui est extrait. Un puissant aimant et un overband séparent les ferrailles. Les plastiques sont mis de côté. Un tri manuel affine encore le tout. Quand des plaques de fibrociment sont repérées, l’emplacement est cantonné, une pelle dédiée les soulève et les opérateurs habilités enfilent leurs tenues pour les empaqueter dans des sacs étanches.
Ce travail fastidieux permet de séparer les déchets de la part terreuse. « Tous les matériaux réutilisables sur l’île, comme les terres ou les cailloux, doivent y rester pour réaménager le site après avoir été analysés pour s’assurer qu’il n’y a pas de pollution. Les déchets, eux, partent dans des filières agréées vers le continent », précise le dirigeant de Le Floch Dépollution. Il met en avant l’agilité de son entreprise pour mener ce type de travaux : « Il faut s’adapter au fur et à mesure ».
Pour réaliser une nécessaire zone de stockage, il faut aussi rogner un peu sur la lande. En pleine zone Natura 2000, l’opération est délicate. « On va décaper, soulever par plaques, décaler, récupérer les graines pour repositionner et replanter derrière », explique Marie-Amélie Néollier. « C’est plein de challenges ».
Servir d'exemple
Des défis qui serviront de leçons. « Le retour d’expérience que l’on va tirer de cette opération servira à l’ensemble des sites qui devront être dépollués sur le littoral français ou international. On n’a pas vocation à aller dépolluer l’ensemble des décharges littorales, y compris dans l’enceinte du parc. Le but, c’est vraiment d’aider les autres à faire la même chose », indique Fabien Boileau, directeur du parc naturel marin d’Iroise. Cette renaturation du site s’imposait alors qu’ « il y a une remobilisation des déchets régulière et donc une pollution d’une zone sensible, juste à côté d’une réserve nationale ».
« Un parc marin est là pour expérimenter, tenter des choses », ajoute le directeur du PNMI qui, après quinze ans d’existence, s’apprête à retravailler le plan de gestion du parc. Un important document qui fixe de manière très précise les objectifs du parc et offrira l’opportunité de dresser un premier bilan. « Les gros enjeux que l’on voit apparaître sont ceux des changements globaux. On voit des dérèglements qui vont avoir un impact sur l’environnement mais aussi sur les activités. Nous allons devoir travailler énormément là-dessus ».
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