A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Franck Lartaud rappelle ici la fragilité et l'importance des récifs coralliens.
L’exploration des fonds océaniques a révélé la présence de récifs de coraux, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, qui n’ont rien à envier à leurs congénères des eaux tropicales de surface (Figure 1). En effet, la croissance tridimensionnelle de colonies dont certaines atteignent des âges multi-séculaires, a créé un réseau complexe pouvant s’étendre de quelques mètres à plusieurs kilomètres, comme le récif Røst au large de la Norvège. Ces récifs de coraux d’eau froide vont alors servir de refuge et de nurserie pour une abondante faune associée. Une myriade de poissons, crustacés, mollusques, oursins et autres vers s’affairent ainsi dans ces habitats coralliens, créant un véritable hot spot de biodiversité en profondeur.

Figure 1 : Récifs coralliens à Desmophyllum pertusum le long d’un flanc de falaise du canyon de Lampaul, dans le Golfe de Gascogne, à 900 m de profondeur (image prise par le ROV Ariane, (© IFREMER/ChEReef).
Si les eaux de la façade maritime européenne sont particulièrement riches en récifs de coraux profonds, les connaissances scientifiques sont paradoxalement moins avancées que pour les coraux tropicaux. C’est en grande partie lié aux conditions d’accès à ces environnements, qui ont conduit à découvrir l’existence de ces espèces profondes que récemment. En effet, si dès la Préhistoire la collecte du corail rouge de Méditerranée a alimenté les échanges de pièces de bijouterie en Europe, tout comme les coraux de mers chaudes pour les cultures précolombiennes des Antilles et dans l’Indo-Pacifique, on ne doit la première description de coraux d’eau froide qu’en 1768, par le naturaliste norvégien J. E. Gunnerus, guidé par des pêcheurs locaux. Malgré l’intérêt scientifique pour l’exploration des milieux profonds de l’Atlantique et de Méditerranée au XIXe siècle, porté en France par des naturalistes tels que H. de Lacaze-Duthiers, H. et A. Milne Edwards ou encore G. Pruvôt, la description des habitats coralliens d’eau froide reste difficile.
Un premier essor est réalisé dans les années 1960 grâce aux travaux de D. Reyss, biologiste au laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer, qui a réalisé les premières observations sous-marines de coraux constructeurs de récifs, à bord de la soucoupe plongeante du commandant Cousteau, dans le canyon Lacaze-Duthiers du Golfe du Lion, à 300 m de profondeur. Le développement des engins submersibles de nouvelle génération, plus maniables, plus autonomes, équipés de bras préhensibles pour la collecte d’échantillons, permet désormais d’étudier la biologie et l’écologie de ces organismes, complété par des expérimentations en aquarium. La mise en place d’observatoires profonds, comme ceux opérés dans les canyons sous-marins de Méditerranée par l’Observatoire Océanologique de Banyuls (OOB) ou de l’Atlantique par l’IFREMER, en partenariat avec des équipes de l’Alliance Sorbonne Université (BOREA, LECOB), offrent de nouvelles perspectives pour caractériser la préservation des récifs profonds et leur résilience face au changement global.
On estime aujourd’hui que les eaux froides et profondes abritent plus de la moitié des espèces connues de coraux, et que les récifs formés par les espèces ingénieurs tels que Desmophyllum pertusum (mieux connu sous le nom de Lophelia pertusa) fournissent une multitude de services à la biodiversité marine mais aussi aux sociétés humaines (zones de pêcheries, stockage de carbone, archives paléoclimatiques et paléocourantologiques, source de produits pharmaceutiques). Mais a peine la biologie de ces organismes et des espèces associées est-elle étudiée que la communauté scientifique s’alarme devant les nombreuses menaces qui pèsent sur ces écosystèmes.
En premier lieu, les dégâts liés à la pêche, notamment par chalutage, sont considérables. Un trait de chalut peut détruire en quelques minutes des récifs qui ont mis des centaines voire des milliers d’années à se constituer, rendant ces activités halieutiques incompatibles avec l’idée de développement durable. Des engins de pêche plus ciblés, entraînant moins de dommages sur les fonds benthiques, sont à privilégier. L’interdiction de chalutage au-delà de 800 mètres de profondeur votée en 2016 par le parlement Européen est un pas en avant, même si son application reste parfois délicate à mettre en œuvre. Par ailleurs, le chalutage de petit fond, sur le plateau continental au-dessus des canyons, est lui aussi néfaste en provoquant des sortes d’avalanches sous-marines qui recouvrent les récifs et dont les coraux peinent à se débarrasser.
L’amoncellement de déchets, notamment plastiques, dans les eaux profondes est une autre source d’inquiétude. Les débris de notre quotidien, transportés par le vent ou les rivières, sont disséminés dans l’océan par les courants marins et finissent pour une bonne partie dans les milieux profonds, poussés par des courants descendants (Figure 2). Aux macro-déchets, observables directement depuis le hublot du submersible ou par caméra interposé, s’ajoutent les micro-débris, de taille inférieure à 5 mm. De récentes études menées à l’OOB ont révélé que la présence de plastique entraîne une réduction de taux de croissance des colonies, induit pour les macroplastiques par un effet barrière empêchant la capture de proies par les coraux, et pour les microplastiques à un épuisement lié au processus d’expulsion des particules ingérées. Sur le long-terme, les expériences montrent que les coraux peuvent développer une stratégie d’évitement des macro-déchets mais leur état de santé se dégrade continuellement en présence de microplastiques dans leur habitat.

Figure 2 : Sacs et gobelets en plastiques (indiqués par les flèches blanches) piégés au sein des colonies de coraux profonds à 500 m de profondeur, dans le canyon de Lacaze-Duthiers (Golfe du Lion), au large de Banyuls-sur-mer (image prise par le ROV Super Achille, Comex (© Fondation TOTAL/UPMC).
Enfin, l’impact du changement climatique (réchauffement des eaux, acidification, desoxygénation) est une composante fondamentale à prendre en compte, même pour les milieux profonds. Si certaines espèces peuvent s’adapter à une hausse de température, les principaux ingénieurs des profondeurs sont particulièrement affectés, notamment en Méditerranée où ils vivent déjà en limite haute de leur distribution (14°C). Les travaux du LECOB à Banyuls montrent que les effets induits par l’élévation de température agissent aussi bien au niveau du microbiote (bactéries associées au corail), avec l’entrée d’espèces opportunistes voire pathogènes, que sur la croissance de la colonie, fortement ralentie lié à une baisse des capacités de nutrition. Cette altération de l’état de santé peut même conduire à une mort rapide des colonies. Les travaux en cours de l’ANR ARDECO et la thèse de M. Chemel au LECOB visent ainsi à préciser les capacités de résilience de ces coraux profonds.
Pour éviter que nos paysages sous-marins soient irrémédiablement affectés par la régression des récifs coralliens profonds, il est urgent de prendre des mesures de protection. Les scientifiques de l’Alliance Sorbonne Université, en partenariat avec d’autres chercheurs et des gestionnaires de l’environnement, travaillent en ce sens en développant les connaissances et des outils de surveillance. La sensibilisation d’un large public est également nécessaire pour préserver ce patrimoine naturel car nos actions à terre se répercutent dans les grands fonds océaniques (pêche, déchets, effet de serre…).

L'auteur : Franck Lartaud, maître de conférences, Laboratoire d’Ecogéochimie des Environnements Benthiques (LECOB), Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-mer, Alliance Sorbonne Université
Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan
Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.
Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…
Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.
L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.
Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.
- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan
