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« Next Stop, Atlantic ». C’est le nom d’une très belle série de clichés réalisés par le photographe Stephen Mallon, qui a suivi durant trois ans le dernier voyage des vieux métros new-yorkais. Depuis 2001, la Metropolitan Transit Authority, organisme en charge de la gestion des transports publics de la ville de New York, mène en effet un programme visant à « océaniser » les rames mises au rebut. Une fois qu’elles sont partiellement vidées et que les bogies ont été enlevés, les vielles voitures sont stockées sur des barges et immergées au large de la côte Est des Etats-Unis. Après une première vague de 1600 voitures, 900 autres ont été jetées à la mer, soit à ce jour quelques 2500 unités. Le MTA présente cette opération comme un projet « écologique », qui a pour objectif de créer des récifs artificiels dans des zones sablonneuses afin d’attirer les poissons en quête d’abris et, ainsi, favoriser le développement de l’écosystème.

 

Des rames contenant encore des produits toxiques

Le remarquable travail de Stephen Mallon (voir son site Internet) fait revenir le sujet sur le devant de la scène. Mais, au-delà de l’intérêt artistique de la chose, il oblige aussi de s’interroger sur l’impact que ces rejets ont réellement sur l’environnement. Face à la communication bien huilée de la MTA, reprise en cœur par la plupart des media, nul besoin de mener une grande enquête pour s’apercevoir que tout le monde ne partage pas le même enthousiasme. « Cette pratique est contestée par les ONG de protection de l’environnement pour deux raisons majeures. Tout d’abord les voitures de la MTA contiennent encore au moment de l’immersion des quantités importantes d’amiante susceptibles de contaminer les coquillages et poissons colonisateurs et d’autres déchets comme les câbles électriques. Seuls les matériaux flottables sont extraits des voitures », affirme ainsi Robin des Bois, qui s’intéresse depuis longtemps au sujet. La seconde raison avancée par l’association française est plus d’ordre moral : « Cette pratique est contre-exemplaire, elle incite les habitants du littoral et les marins à jeter n’importe quoi en mer ».

 

Intérêt économique

Alors que plusieurs Etats américains ont été dans un premier temps réticents à l’idée de voir ces métros immergés au large de leurs côtes, comme le New Jersey et le Maryland jusqu’en 2008, les immersions semblent désormais être entrées dans les mœurs, ce que dénoncent les ONG. Celles-ci appellent la MTA à cesser de jeter en mer les vieilles rames. Pourquoi ne sont-elles pas entendues ? Peut-être parce qu’aux Etats-Unis, le mouvement n’est pas assez puissant. Et peut-être, aussi, pour des questions économiques. « La MTA a économisé 34 millions de dollars en choisissant cette option sommaire plutôt qu’un démantèlement réglementaire à terre », assure Robin des Bois.

 

Une vielle tradition américaine

L’association rappelle au passage que les Etats-Unis ont une vieille histoire en matière d’océanisations, notamment de vieux véhicules hors d’usage, y compris des dizaines de chars de l’US Army qui ont terminé à l'eau en 1990. « Dès 1958, des épaves de voitures ont été utilisées comme récifs artificiels dans la baie de Santa Monica en Californie.  Par la suite des réfrigérateurs, machines à laver, caddies de supermarché, ont été utilisés mais l’emploi de ces équipements est désormais interdit car ils ne résistent pas au-delà de quelques années à la corrosion et deviennent de simples tas de ferrailles au fond de la mer ». Pour ce qui est des navires, l’administration maritime américaine (MARAD) a été autorisée en 1972 (via le Liberty Ship Act) à couler les Liberty et Victory ships, ces navires de transport construits en grande série pendant la guerre. Douze bateaux de ce type ont par exemple été immergés au large du Texas par au moins 25 mètres de fond. Et les océanisations se sont poursuivies jusqu’à une époque récente et à un rythme très soutenu : « Entre 1985 et 2005, 850 navires ont été coulés à quelques milles des côtes américaines. Tous ces "récifs artificiels" sont destinés à attirer les  algues, coquillages et poissons et sont encouragés par les promoteurs de la pêche récréative et de la pêche sous-marine ». La MARAD a néanmoins suspendu depuis 2010 les opérations de sabordage des vieux navires des flottes de réserve susceptibles de contenir des PCB et autres toxiques persistants. « Depuis l’affaire du Clemenceau et le sabordage volontaire de son homologue américain l’Oriskany (mai 2006), les ONG dénoncent de plus en plus le principe de l’immersion volontaire des navires en tant que récifs artificiels », souligne Robin des Bois. Selon l'association : « l'épave d'un bateau, d'un navire militaire ou d'un navire de commerce au fond de l'eau constitue un site pollué sous-marin ».

 

Interdiction en Europe

En Europe la Convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée contre les pollutions et la Convention OSPAR sur la prévention des pollutions dans l’Atlantique du Nord-Est interdisent l’océanisation volontaire des navires. La création de récifs artificiels est autorisée, mais seulement si ces récifs sont spécialement conçus et construits pour faciliter la colonisation par les organismes marins.Cependant, la destruction des coques en mer dans le cadre d’exercices de tirs ou de qualification de systèmes d’armes reste possible pour les flottes militaires. Une option que les marines européennes ont pour ainsi dire abandonnée en raison de la mauvaise image qu’elle offre à l'opinion publique et des engagements gouvernementaux en faveur du respect de l’environnement.. 

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Science et Environnement