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C’est le rêve de tous ceux qui veulent protéger la planète : faire en sorte qu’un véhicule puisse produire sa propre énergie, sans utiliser de carburant fossile et sans polluer. Cette quête, longtemps considérée comme chimérique, devient progressivement réalité, grâce aux avancées technologiques. Dans les airs, Solar Impulse en fut une première démonstration et l’aventure se poursuit désormais sur les mers avec Energy Observer, auquel Bertrand Piccard a d’ailleurs offert le compas qui l’a accompagné durant le tour du monde de l'avion solaire. Un instrument qui va repartir sur le bateau pour une nouvelle circumnavigation destinée à éprouver les systèmes embarqués dans toutes les conditions et promouvoir les énergies renouvelables pour lutter contre le réchauffement climatique.   

 

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

Le baptême d'Energy Observer le 6 juillet à Paris (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

 

Baptisé le 6 juillet à Paris en présence notamment de Nicolas Hulot et Anne Hidalgo, Energy Observer est le premier navire énergétiquement autonome fonctionnant à l’hydrogène. Il s’agit d’un ancien catamaran de course, Formule TAG, construit au Canada en 1983 et qui est resté célèbre après avoir remporté en 1994, aux mains de Peter Blake et sous le nom d’Enza New Zealand, le Trophée Jules Verne. 

 

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© Jeremy Bidon / Energy Observer

Victorien Erussard et Jérôme Delafosse (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

 

Pendant deux ans, le bateau de 30.5 mètres de long pour 12.8 mètres de large a été totalement transformé à Saint-Malo. Un projet porté par Victorien Erussard, son capitaine, et  Jérôme Delafosse (chef d’expédition), avec autour d’eux une équipe de navigateurs, architectes et ingénieurs travaillant à Saint-Malo, mais aussi depuis Paris, Grenoble et Chambéry. Coût de l’opération : 5 millions d’euros. En tout, une soixante personnes se sont attelées à reconditionner un catamaran de légende en concentré d’innovations.

Objectif : combiner différentes technologies permettant d’obtenir un mix assurant l’autonomie du navire. « Il n’y a pas une solution miracle pour lutter contre le réchauffement climatique : il y a des solutions, que nous devons apprendre à faire fonctionner entre elles. C’est ce que nous faisons avec Energy Observer : faire collaborer les énergies de la nature, mais aussi de notre société, en réunissant autour de ce bateau, les savoir-faire des entreprises, des laboratoires, des start-ups et des institutions », explique Victorien Erussard.

Différents acteurs participent donc à cette passionnantes aventure, à commencer par le CEA-Liten, Laboratoire d'Innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux du Commissariat à l’Energie Atomique, qui a eu un rôle clé. Ce sont en effet ses ingénieurs qui ont mis au point l’architecture énergétique d’Energy Observer.  

 

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© ROMAIN FROGÉ - ENERGY OBSERVER

(© : ROMAIN FROGÉ - ENERGY OBSERVER)

 

Avec donc comme grand challenge de faire fonctionner ensemble, et en tenant compte de toutes contraintes d’un emploi sur un bateau (encombrement, poids et résistance des matériaux et systèmes dans un environnement marin), différents types d’énergies renouvelables. Problème : Celles-ci sont par nature intermittentes, en fonction par exemple du niveau d’ensoleillement ou de la force du vent, qui fait varier considérablement le rendement des panneaux solaires et des éoliennes. Il a donc fallu jouer sur la complémentarité des technologies pour obtenir un bateau capable, 24h/24 et quelque soient les conditions extérieures, de produire l’énergie dont il a besoin sans avoir recours à des carburants fossiles.

Pour cela, Energy Observer est basé sur un concept multi-sources : Il intègre des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, une aile de traction, des moteurs électriques de propulsion convertibles en hydro-générateurs et une pile à combustible générant de l’électricité. L’ensemble est géré par un système intelligent de pilotage, de distribution et de stockage de l’énergie développé par le CEA-Liten. Un système de monitoring permet, en temps réel, de suivre les performances, gérer et optimiser les flux énergétique, que ce soit à bord ou à distance.

 

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© ENERGY OBSERVER

 

Concrètement, l’énergie solaire et éolienne recharge des batteries, qui alimentent deux réseaux distincts : l'un, de 24 V, est utilisé pour la vie à bord ainsi que les équipements de contrôle-commande et de sécurité. Le second réseau, plus puissant (400 V), sert pour la gestion de la propulsion, mais aussi l'électrolyse permettant de produire à bord de l’hydrogène et compresser cette molécule, stockée dans des réservoirs. C’est avec cet hydrogène que fonctionne la pile à combustible équipant le bateau. A cela s’ajoute un cerf-volant de type kite, aile de traction pilotée par un système informatique qui permet d'augmenter la vitesse du catamaran et réduire sa dépense énergétique. Mais ce kite sert aussi à produire de l’énergie. Comment ? Grâce aux deux moteurs électriques à très haut rendement (97%) dont est équipé Energy Observer. Ces machines, d’une puissance de 2 x 41 kW à 3000 tours par minute en mode propulsion, sont en effet réversibles pour pouvoir dans certaines conditions servir d’hydro-générateurs. Ainsi, grâce à la rotation d’hélices mues par le seul déplacement du bateau, tracté par son kite, on produit aussi de l’électricité (2 x 2.5 kW).

 

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© ENERGY OBSERVER - KADEG BOUCHER

(© : KADEG BOUCHER - ENERGY OBSERVER)

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

(© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

 

Les extérieurs d’Energy Observer ont été recouverts de 130 m² de panneaux photovoltaïques à hautes performances (capacité de 21 KW) développés par les ingénieurs du CEA et qui présentent des niveaux de rendement parmi les meilleurs au monde. Trois technologies ont été utilisées pour ces panneaux : conformable, bifaciale et avec revêtement antidérapant. « A l'Institut national de l'énergie solaire, les panneaux ont été réalisés sur mesure, galbés selon un rayon suffisant pour épouser la forme de la coque. Près des flotteurs et à l'arrière, des ailes ont été ajoutées et équipées de panneaux bifaces qui utilisent la technologie hétérojonction pour recueillir les rayons solaires directs mais aussi indirects, par réverbération sur la coque et les flots. Comme toute cette surface doit rester compatible avec le passage des équipiers, elle est recouverte d'un revêtement antidérapant. Les ingénieurs ont aussi adopté la basse tension et toute une connectique spéciale leur permettant de travailler sans risque électrique », explique le CEA-Liten.

 

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

Le bateau dispose de panneaux solaires bifaces (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

Le bateau dispose de panneaux solaires bifaces (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

Le bateau dispose de panneaux solaires bifaces (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

(© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

 

Pour la production d’énergie, ces panneaux photovoltaïques sont couplés à deux éoliennes à axe vertical de 1 kW chacune, spécialement conçues pour produire de l’énergie sur un support mobile.

Répondant aux besoins à court terme du navire, l’énergie générée par le solaire et l’éolien est comme on l’a vu stockée dans des batteries. Utilisant la technologie lithium-ion, qui se prête notamment très bien aux appels de puissance de la propulsion, ces batteries sont des modules Flex EP7 développés par la société Forsee Power.

 

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© CEA-LITEN

Lors des tests sur les batteries en enceinte sécurisée (© : CEA-LITEN)

 

Pour prolonger son autonomie, Energy Observer utilise également une pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène. Cette molécule, la plus répandue au monde, est très simple à produire. Il suffit de disposer d’eau (H2O) qui, via une électrolyse, se décompose en oxygène (O2) et en dihydrogène (H2). Le premier est relâché dans l’atmosphère et le second, conservé sous forme gazeuse pour préserver son excédent d’énergie, est compressé et stocké dans 8 réservoirs de 322 litres pouvant contenir 62 kg d’H2. Celui-ci est ensuite réutilisé par une pile à combustible, qui génère la réaction chimique inverse, c’est-à-dire qu’elle produit de l’énergie électrique et thermique en associant hydrogène et oxygène. Il en résulte également de l’eau chaude, valorisée dans le circuit sanitaire du bord (elle le sera même à l’avenir pour produire du froid).

Pour l’électrolyse, Energy Observer utilise de l’eau de mer, qui passe d’abord dans un désalinisateur à osmose inverse d’une capacité de 105 litres par heure. Ce système, comme l’électrolyseur et le système de compression, est alimenté par les batteries.

 

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© CEA-LITEN

Lors des essais du système de supervision de la châine énergétique (© : CEA-LITEN)

 

Lorsque les autres moyens dont dispose le bateau, comme le solaire et l’éolien, ne sont plus suffisants pour recharger les batteries alimentant les réseaux électriques, c’est la pile à combustible qui s’en charge. Ainsi, les différentes technologies, y compris le kite et le mode hydro-générateur des moteurs, se complètent et se relaient en fonction des conditions dans lesquelles évolue le navire. La combinaison de cet ensemble de technologies comme leur pilotage constitue une belle prouesse technologique. « Le Liten est sans doute le seul institut au monde à savoir combiner ces différents vecteurs énergétiques et ces compétences et savoir-faire multiples dans des systèmes complets et intégrés », estime Florence Lambert. Selon la directrice du CEA-Liten et marraine d’Energy Observer : « Nous sommes en route vers une vraie révolution énergétique. Ce bateau c’est un véritable accélérateur de technologies, de la recherche, vers l’industrie. C’est un laboratoire vivant et naviguant, qui va à la fois permettre de tester dans un environnement naturel difficile les technologies développées par le CEA-Liten, trouver des solutions contre le réchauffement climatique et à terme deviendront un vecteur d’emploi vert ».

 

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© JEREMY BIDON / ENERGY OBSERVER

Florence Lambert, directrice du CEA-Liten et marraine d'Energy Observer (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

 

Car c’est aussi ça la vocation d’Energy Observer : tester et valider des innovations pour ensuite les diffuser dans l’industrie. Et pas seulement sur des navires puisque la combinaison des technologies vertueuses, en particulier autour de l’hydrogène, que l’on peut produire partout, doit également trouver des applications à terre, en particulier dans les ports et les îles. « Le défi de ce bateau est de viser l’autonomie énergétique. Nous espérons contribuer à l’accélération de la transition énergétique, en inspirant les entreprises, les collectivités, les états et les citoyens en leur montrant qu’un futur plus propre est possible grâce à l’innovation technologique, et notamment l’architecture énergétique développée par le CEA-Liten  », souligne Victorien Erussard.

Un message qu’Energy Observer va porter dans le monde entier au travers d’un tour du monde qui durera six ans et verra le navire réaliser plus de 100 escales dans 50 pays afin de présenter le projet et, dit l’équipe, « prouver qu’un futur plus respectueux de l’Homme et de son environnement est possible ». Ce périple débutera après un tour de France qui s’achèvera en décembre à Monaco. En attendant, au lendemain du baptême d’Energy Observer, un village entièrement dédié au projet a été ouvert au Port du Gros Caillou (7ème arrondissement de Paris), là où est amarré le catamaran. Pour répondre aux nombreuses questions du grand public, deux dômes d’exposition ont été aménagés. Caractéristiques techniques, schéma énergétique, programme, parcours, mission, exploration, maquette… tout y est expliqué, détaillé, documenté, avec à la clé une expérience de réalité virtuelle. Ce village sera ouvert jusqu’au 15 juillet, date à laquelle Energy Observer (qui n’est pas ouvert à la visite) quittera la capitale.

 

Le village Energy Observer est ouvert au public de 12 heures à 18 heures en semaine, le week-end de 10 heures à 18 heures, fermé le 14 juillet toute la journée. A noter qu’Energy Observer quittera Paris pour une nouvelle escale le 15 juillet à 17h30.

 

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© Jeremy Bidon / Energy Observer

Arrivée à Paris le 4 juillet (© : JEREMY BIDON - ENERGY OBSERVER)

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Science et Environnement