En déplacement en Bretagne pour faire un premier bilan du pacte d’avenir lancé il y a un an en faveur de la région, malmenée sur le plan économique et sécouée par le mouvement des Bonnets rouges, Manuel Valls a annoncé hier différentes mesures destinées à soutenir le développement et l’emploi local.
L’une d’elles est la confirmation du transfert à Brest du siège de l’Ifremer, actuellement implanté à Issy-les-Moulineaux, près de Paris. Annoncée en décembre 2013 au moment du lancement du pacte d’avenir par le premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, cette mesure suscite une vive opposition au sein de la petite centaine de personnels du siège, mais aussi de ceux qui travaillent dans des implantations éloignées et son régulièrement amenés à venir au siège. Les syndicats, qui dénoncent une manœuvre politique dénuée de tout fondement opérationnel et qui sera source de dépenses (le coût de la délocalisation est estimé à une vingtaine de millions d’euros) dont l’Institut se serait bien passé en période de restrictions budgétaires, n’y vont pas avec le dos de la cuillère : « Un naufrage annoncé ». Voilà comment la CGT et la CFDT voient les conséquences d’un transfert du siège vers la pointe Finistère.
Les arguments des opposants à la délocalisation
Alors que le premier ministre affirme qu’une convention opérationnelle de transfert doit être signée au premier trimestre 2015, les personnels du siège de l’Ifremer se sont mis hier en grève. « Dans un document adressé aux ministères de tutelle en juin 2014, la Direction générale de l'Ifremer avait pourtant déjà alerté le gouvernement sur les risques d'un tel transfert pour l'établissement : Mise en péril forte des chantiers structurants de l'Institut ; impacts forts sur tout le personnel ; perte de compétence et de l'historique ; pas de réelle articulation scientifique ; coût très significatif. Ces inquiétudes avaient également été partagées par les industriels siégeant au conseil d'administration de l'Institut », assure l’intersyndicale, qui aurait préféré que l’argent investi dans ce déménagement aille aux projets de recherche, dont un certain nombre est en souffrance faute de financement.

Le site brestois de l'Ifremer (© LE TELEGRAMME - EUGENE LE DROFF)
L’« hégémonie » bretonne
L’intersyndicale, qui déplore l’absence de concertation dans ce dossier, craint des conséquences très négatives suite à la délocalisation du siège. Alors que le tropisme breton de l’établissement est palpable (plus de 50% des effectifs de l’Ifremer sont dans cette région), ce qui n’est pas, disent les syndicats, déjà sans poser problème avec les autres sites, notamment en Méditerranée, la CGT et la CFDT redoutent que le transfert du siège à Brest renforce « l’hégémonie » de la Bretagne sur l’Institut. « L'Ifremer n'a pas uniquement vocation à contribuer au développement des sciences marines en Bretagne. Il s'agit bien d'un établissement national. Les exemples de tous les autres instituts de recherche montrent qu'un établissement à caractère national comme l'Ifremer ne peut fonctionner sans une solide implantation parisienne afin d'assurer une présence dans les instances nationales, de faciliter les réunions mobilisant les équipes de toutes les implantations (y compris l'outre-mer), et de développer des projets avec les homologues européens et internationaux ».
Au siège, on craint donc un déséquilibre accru entre les multiples implantations et, en s’éloignant des centres de décision parisiens, d’affaiblir l’institut. Sans compter que Brest est loin d’être une solution idéale au niveau des transports, avec notamment son interminable ligne TGV vers Paris (au moins 4h30 de trajet) qui sera à peine améliorée avec la future ligne à grande vitesse Paris-Rennes et un aéroport dont l’offre en termes de liaisons est assez limitée. De quoi, potentiellement, augmenter les frais de déplacement et surtout les pertes de temps, avec à la clé un possible effet dissuasif, y compris pour les partenaires nationaux ou internationaux de l’Institut. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Ifremer doit, malgré le transfert, conserver des bureaux sur Paris.
Au final, le gain économique de cette mesure sera donc minime et le projet coûtera même, très probablement, de l’argent. Au-delà de la pertinence des arguments évoqués plus haut contre le transfert du siège à Brest, la concentration de l’Ifremer à la pointe Bretagne n’est pas non plus totalement aberrante. Il y a des racines historiques et, comme on l’a vu, le gros des effectifs de l’établissement est concentré dans cette région. De plus, au-delà de la simple question de l’emploi local, Brest est tout de même un grand centre de recherche maritime, internationalement reconnu. Enfin, un siège plus proche du « terrain » peut aussi présenter des avantages.
Besoin de rationalisation ?
Quoiqu'il en soit, la problématique de la délocalisation du siège ne doit pas faire oublier la probable nécessité de moderniser l’Ifremer. Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), créé en 1984 et placé sous la tutelle conjointe des ministères de l’Enseignement supérieur et du Développement durable, l’Ifremer compte 1528 salariés, auxquels s’ajoutent les 334 personnels de Genavir, l’armement gérant la flotte de l’Institut, composée de 8 unités. Contribuant, par ses travaux et expertises, à la connaissance des océans et de leurs ressources, à la surveillance du milieu marin et du littoral et au développement durable des activités maritimes, l’établissement, pourvu d’un budget annuel de plus de 200 millions d’euros (hors opérations internes précise-t-il), est un organisme imposant, avec 5 centres et 26 sites répartis en métropole et outre-mer. A l’instar d’un certain nombre d’administrations et de services publics, l’Ifremer a, de l’avis de connaisseurs et même de personnels, besoin de se réformer et de se rationaliser pour être plus efficient et mieux remplir ses missions. En interne, certains déplorent par exemple la complexité du fonctionnement de la maison, un manque de lisibilité sur les projets de recherche et une part trop importante des administratifs par rapport aux équipes scientifiques. Des critiques qui, en cette période de restrictions budgétaires, pourrait inciter l’Etat à y regarder d’un peu plus près.