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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université.  Alexandre Stegner explique dans cet article l'intérêt des satellites pour l'observation et la connaissance des océans. 

Depuis plus d'un siècle, les océanographes partent en mer à bord de navires, ils font des observations en surface et prélèvent des échantillons sous la surface, pour décrire la distribution verticale des différentes masses d’eau.  Avec l'introduction de la télédétection par satellite les océanographes disposent depuis les années 1970 de nouveaux outils pour recueillir des observations à grande échelle et quasiment en temps réel. La plupart de ces données satellites sont transmises et analysées en moins de 24 heures. Depuis lors, l’augmentation des données océaniques disponibles est exponentielle ! En 2022, plus d’une vingtaine de satellites sont en train d’observer la surface de l’océan. Le déploiement de ces nombreux satellites d’observation est une composante majeure de l'océanographie opérationnelle. Ils fournissent des observations en temps réel, sur de très grandes surfaces qui peuvent couvrir, presque tous les océans. Mêmes si elles se limitent à la surface de la mer, ces mesures de multiples variables physiques sont aujourd’hui essentielles pour décrire l’état de l’océan et contraindre les modèles de prévisions océaniques.

Une multitude de variables océaniques sont aujourd’hui mesurées depuis l’espace

Il existe une multitude de paramètres physiques qui peuvent être mesurés à la surface de l’océan depuis l’espace.

 

- La température de surface de la mer (SST) 

L’émission infrarouge (IR) de la surface océanique, qui dépend de la température des masses d’eau, peut être mesurée par des radiomètres embarqués sur des satellites. Dès le début des années 1970, des satellites géostationnaires étaient capables de prendre des images du disque terrestre à intervalles d’une demie-heure et dévoiler les forts gradients thermiques engendrés par le Gulf Stream et les tourbillons qui s’en détachent.  La résolution spatiale de ces images infra-rouges pouvait, dans les années 70-80, atteindre une très haute résolution spatiale, de l’ordre du kilomètre, et dévoiler des structures de petites tailles inaccessibles aux modèles numériques de l’époque (Legeckis et al. 1978). La résolution actuelle peut atteindre 250 mètres pour une image de température de surface de 1400 kilomètres de large. Néanmoins, la couverture nuageuse reste le principal obstacle à une observation continue de la SST avec une haute résolution spatiale sur l’ensemble du globe.

 

- Variations de la hauteur de mer (SSH) et vitesses géostrophiques

L'altimétrie satellitaire a débuté au début des années 1990. Les altimètres peuvent mesurer, avec une précision de l’ordre du centimètre, les variations de hauteur d’eau à la verticale des satellites. Ces variations correspondent à des mesures locales du champ de pression et permettent d’avoir une mesure indirecte des courants de surface géostrophique. Le grand avantage de ces mesures radars est qu’elles traversent les nuages, contrairement aux images visibles. Cependant, une constellation de plusieurs satellites est nécessaire pour interpoler, dans le temps et l’espace, les multiples traces et reconstruire une carte journalière des variations de hauteur d’eau (Le Traon et al. 1999) avec une résolution spatiale qui varie du ¼° (~25km) au 1/8° (~12km) selon les régions océaniques. Cette résolution permet aujourd’hui de localiser correctement des tourbillons dont le diamètre dépasse 100-150 kilomètres. Mais lorsque la densité des traces satellite est trop faible, l’altimétrie devient myope. Afin de palier cela, une nouvelle génération d’altimètres ayant une large fauché est en train de voir le jour. Le lancement du premier satellite SWOT (Morrow et al. 2019) est programmé en décembre 2022 et d’ici une dizaine d’années on peut espérer un renouvellement complet de la constellation des satellites altimétriques. Ceci permettrait de mesurer les courants à beaucoup plus fine échelle et quantifier l’intensité des petits tourbillons de 20-30km de diamètre.

 

- Couleur de l'eau (OCR)

Les capteurs de radiométrie de la couleur de l'océan (OCR), souvent désignés comme la « couleur de l’eau », fournissent des données qui permettent de mesurer une variété de paramètres biologiques, biogéochimiques et écologiques (Groom et al. 2019). La lumière du soleil qui est rétrodiffusée à la surface de l'océan après interaction avec ses constituants dépend, en grande partie, du phytoplancton qui contient des pigments photosynthétiques. Les différentes longueurs d’ondes (du bleu au vert) mesurées par satellites permettent ainsi de mesurer de façon quasiment continue depuis la fin des années 90, la concentration de chlorophylle-a, la productivité biologique primaire et la matière organique en suspension. Comme pour les images infra-rouge de SST, la résolution spatiale de ces images visibles peut être très élevée (250m) mais soumise aux aléas de la couverture nuageuse.

 

- Glace de mer

Des capteurs micro-ondes passifs à basse résolution ont fourni des données essentielles sur l'étendue et la concentration de la glace de mer de 1979 à aujourd'hui. Néanmoins, il est nécessaire d’estimer également l'épaisseur de la glace pour avoir une estimation du volume total de la glace de mer. Il a fallu attendre le lancement du satellite CryoSat-2, en 2010, pour avoir des mesures précises de cette épaisseur de glace.

 

- Vents

Les radiomètres embarqués à bord des satellites constituent la principale source de données sur la vitesse et la direction des vents de surface sur l'océan. Ces capteurs micro-ondes passifs mesurent le spectre de puissance (températures de brillance) du rayonnement électromagnétique qui est émis par la surface de l'eau rendue rugueuse par le vent et en grande partie par les moutons induits par les vagues. La précision sur la vitesse du vent de surface est de l’ordre du mètre par seconde, mais cela se dégrade rapidement en présence de pluies, même légères. Depuis 1996, 3 à 6 radiomètres fonctionnent sur des orbites polaires ou équatoriales, ce qui permet d'obtenir un bon échantillonnage spatial et temporel et de couvrir 95 % de la surface océanique de la Terre en un jour donné. L'Organisation météorologique mondiale fixe, comme objectif opérationnel, une résolution de 25 kilomètres et un échantillonnage toutes les 6 heures. Néanmoins, l’augmentation de la résolution spatiale et temporelle reste une nécessité pour suivre les variations rapides du vent et capturer les forts cisaillements à l’échelle locale (50-100km) qui impactent le mélange vertical à la surface de l’océan.

 

- Vagues

Les radars à synthèse d’ouverture (SAR) produisent des images bidimensionnelles à ultra haute résolution (de l’ordre de quelques mètres) de la rétrodiffusion radar de la surface de la mer qui dépend de la rugosité de surface. Ces radars spécifiques peuvent ainsi récupérer les informations relatives aux vagues océaniques : la hauteur significative des vagues, la longueur d'onde moyenne et leur direction. Ces images SAR sont également très efficaces pour détecter des nappes d’hydrocarbures qui réduisent fortement la rugosité de surface.

 

- Salinité de surface de la mer (SSS)

La salinité de l’océan, tout comme la température, modifie la constante diélectrique. Cette constante conditionne l’émissivité de surface dans le domaine des micro-ondes. Il a fallu attendre la mission SMOS en 2009, pour avoir les première cartes de salinité de surface de l’océan avec une résolution spatiale de l’ordre de 50 kilomètres avec une fréquence temporelle de plusieurs jours. Ces données ne sont pas impactées par la couverture nuageuse, mais des efforts sont nécessaires pour améliorer la qualité et la résolution spatio-temporelle de ces nouvelles données.

 

 

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© IFREMER / ChEReef

Observations satellites simultanées en Mer Méditerranée : variations de la hauteur de mer et courants de surface (haut), température de surface (milieu) et couleur de l’eau (bas), le 21 août 2021.

 

La fusion de données et l’intelligence artificielle vont booster l’océanographie spatiale

L'océanographie est passée d'un état de pénurie de données à un état d'abondance extrême. Le défi consiste aujourd’hui à utiliser au mieux cet océan de données, à l'échelle de pétaoctets, et extraire des informations utiles pour de nouvelles découvertes scientifiques ou des applications ayant un impact sociétal direct sur l'"économie bleue".  Les méthodes de fusion de données sont au cœur de la production de ces données océaniques pour recoller sur une même image des mesures provenant de plusieurs capteurs provenant de satellites différents. Mais ce n’est que très récemment que l’on commence à fusionner des variables physiques différentes (SSH et SST par exemple) pour extraire de nouvelles informations ou augmenter la fiabilité et la précisions des données. La figure ci-dessous montre que les mêmes structures tourbillonnaires ont une signature sur les données altimétriques, les images de température de surface ou de couleur de l’eau. L’analyse conjointe de ces différentes variables permet de compenser les erreurs propres à chaque capteur, augmenter la résolution des champs de vitesse et même d’estimer certaines caractéristiques des masses d’eau sous la surface en particulier dans le cœur des tourbillons. De plus, l’observation et la caractérisation, en temps réel, des flux air-mer, est un des enjeux majeurs pour l’océanographie opérationnelle. Ces processus complexes nécessitent de fusionner de nombreuses informations océaniques et atmosphériques à des échelles très différentes (SSH, SST et vents).

Les applications de l’Intelligence Artificielle, pour le traitement des données géophysiques et plus particulièrement océaniques, sont de plus en plus nombreuses (Sun et al. 2021). L’IA offre de nouvelles capacités d’analyses multi-capteurs et d’apprentissage par transfert d’informations entre les différentes variables physiques. Elle jouera vraisemblablement un rôle déterminant dans le développement de l’océanographie spatiale dans la prochaine décennie.

 

 

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L'auteur : Alexandre Stegner, Laboratoire de Météorologie Dynamique, Ecole Polytechnique, CNRS-IPSL, Paris-Sorbonne Université.

 

Références :

Groom, S. et al.  (2019) Satellite Ocean Colour: Current Status and Future Perspective. Front. Mar. Sci. 6:485. doi: 10.3389/fmars.2019.00485

Legeckis, R., 1978. A survey of worldwide sea surface temperature fronts detected by environmental satellites. Journal of Geophysical Research: Oceans 83, 4501–4522. doi.org/10.1029/JC083iC09p04501.

Morrow, R. et al.  (2019) Global Observations of Fine-Scale Ocean Surface Topography With the Surface Water and Ocean Topography (SWOT) Mission. Front. Mar. Sci. 6:232. doi: 10.3389/fmars.2019.00232

Le Traon, P.Y. et al. (2015) Use of satellite observations for operational oceanography: recent achievements and future prospects, Journal of Operational Oceanography, 8:sup1, s12-s27, DOI: 10.1080/1755876X.2015.1022050

Sun, Z., et al. (2022). A review of Earth Artificial Intelligence. Computers & Geosciences, p.105034.

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

 

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© INSTITUT DE L'OCEAN

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