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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Avec pour commencer, aujourd'hui, cet article sur le développement des sciences participatives écrit par Isabelle Le Viol et Christian Kerbiriou. 

Si l’océan est reconnu comme source de vie, de ressources essentielles pour l’homme, comme un élément clé du fonctionnement de notre planète, une large part de son fonctionnement demeure encore inconnue… La connaissance de la répartition des espèces y est encore très lacunaire, une large part d’entre elles restant encore à décrire, leurs inter-relations à comprendre, les processus en jeu dans le fonctionnement des écosystèmes à documenter. Surtout, face au déclin massif de la biodiversité 1 et au changement climatique en cours, un des enjeux majeurs est de comprendre et hiérarchiser les effets de nos activités humaines sur son fonctionnement, pour mieux anticiper leurs conséquences, et donc agir et mieux la protéger. Ainsi au-delà de l’enjeu de développer ces connaissances, celui de leur appropriation par la société pour des choix éclairés est-il bien sûr essentiel.

Si la place du scientifique est au cœur de cette construction et transmission des savoirs, celle du citoyen n’est pas cantonnée à celle d’écouteur ! Il est également un acteur clé de leur transmission, oriente leur utilisation et peut être un véritable partenaire de leur élaboration. Cette place est ainsi de plus en plus reconnue à travers les recherches et les sciences participatives, à savoir des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques participent de façon active et délibérée 2.  Elles recoupent des programmes d’étude ou de recherche dont la philosophie repose ainsi sur le partage de la démarche scientifique entre participants volontaires (citoyens) et chercheurs académiques dans des objectifs de connaissance.

Si elles existent depuis plusieurs siècles, à travers par exemple l’envoi d’observations et de spécimens collectés lors des grandes expéditions maritimes passées vers les muséums, elles connaissent aujourd’hui un essor singulier, en particulier, dans le domaine de la biodiversité. Les Sciences participatives en milieu littoral et marin recoupent ainsi une large variété de programmes, orientés vers différents sujets, taxons, milieux et vers différents publics plus ou moins spécialistes, non cantonnés « au grand public » (gestionnaires d'espaces maritimes, naturalistes, plaisanciers, pêcheurs, scolaires, volontaires grand public, etc... ). Leur objectif est par définition en premier lieu scientifique mais également pédagogique et in fine souvent d’accompagner les politiques environnementales.

Des grandes profondeurs des océans à nos plages, les volontaires peuvent ainsi par exemple aider à la collecte de spécimens (Objectif Plancton, MNHN), l’identification d‘espèces ou d'individus à partir de photographies-ou vidéos d’organismes vivant dans les grands fonds (jeu Espion des grands fonds, Ifremer), le signalement de mammifères marins (Cybelle méditerrannée, Pelagis), de tortues, ou encore l’arrivée de grands requins migrateurs au large des côtes (APECS) et faciliter leur suivi. Ils peuvent aussi s’impliquer directement sur le terrain via la collecte de données standardisées, le dénombrement, les suivis de populations et des communautés. Ainsi cette participation volontaire, à la base de plusieurs observatoires large échelle de la biodiversité, permet d’aborder des questions scientifiques qui pourraient difficilement être traitées par les seuls chercheurs académiques. Surtout, en démultipliant les efforts d’observation, elle rend possible certains suivis à large échelle et permet d’accompagner et évaluer les politiques environnementales à travers la production d’indicateurs, de scénarios et recommandations. Il est en effet crucial de documenter et suivre l’état de la biodiversité (évolution de l’abondance, répartition des espèces) pour mieux comprendre ses réponses aux changements locaux et globaux et l'emboîtement des dynamiques anthropiques et climatiques.

Or répondre à ces objectifs sous-entend d’effectuer des comparaisons spatiales et temporelles, ce qui implique d’échantillonner la biodiversité (de manière standardisée) de multiples sites dans le temps pour constituer des jeux de données suffisamment importants et sûrs pour de telles analyses. Si le développement de capteurs automatiques, à faible coût et facilement déployables et de traitement automatisé de l’information, sont prometteurs à moyen terme, l’implication de volontaires est actuellement, pour de nombreuses questions, essentielle pour collecter une grande quantité de données de manière répétée dans le temps et l’espace. Plus de 150 000 bénévoles participent ainsi par exemple, dans le monde entier, aux comptages annuels des oiseaux hivernants notamment dans les baies, deltas, estuaires, zones humides littorales (comptages Wetlands International, initié en 1967) et ont ainsi permis de mettre en évidence les effets des changements globaux sur ces espèces mais aussi les manières de les atténuer, en évaluant par exemple à large échelle l’efficacité des mesures de protection3 (Directive Oiseaux, Convention de Bern). D’autres, comme les participants du protocole « Algues brunes et bigorneaux » (Biolit, Planète mer-MNHN), répartis sur 1000 km de côte, ont permis de montrer que la diversité et l’abondance de ces gastéropodes marins réagissaient aux pressions environnementales d’origine humaine, plutôt qu’aux facteurs biogéographiques 4. Les concentrations de nitrates et de matières en suspension présentes dans les grands fleuves de la côte ouest atlantique française, réduisaient ainsi de 65 à 85% l’abondance de ces espèces de l’estran.

Bien sûr la place du participant ne se limite pas à la simple collecte de données. Nombre de ces programmes de Sciences participatives sont co-construits et coordonnés avec des associations, des volontaires et intègrent de plus en plus la participation aux différentes étapes du processus scientifique. Leur objectif est aussi bien sûr pédagogique : rapprocher la science et le citoyen, sensibiliser à la démarche scientifique, développer des connaissances autour de la biodiversité et des enjeux relatifs à sa conservation, participer à leur appropriation et leur diffusion. Le protocole ALAMER de l’observatoire Plages Vivantes 5 (MNHN) qui vise à suivre les algues laissées par la mer sur les plages, comme témoin de l’état des habitats marins à proximité et base du fonctionnement du socio-écosystème des hauts de plages, accompagne par exemple, naturellement les participants dans leur montée en compétences en identification des espèces, mais il propose également des outils co-construits avec le monde de l’éducation pour l’appropriation de l’ensemble de la démarche scientifique, de l’émergence des questionnements, la définition des protocoles, la collecte et l’analyse et l’interprétation des données (séquence pédagogique). Pensé pour être déployé au sein des Aires Marines Educatives 6, il participe à ce dispositif qui vise à gérer de manière participative, dans une démarche pédagogique et écocitoyenne, une zone maritime littorale de petite taille. Ces sciences participatives sont aussi l’occasion de rapprocher le participant de la nature. Elles peuvent favoriser la découverte ou la redécouverte de l’environnement proche, susciter l’émerveillement et l’envie de connaitre cette biodiversité mais aussi de la protéger et d’agir.

L’enjeu est d’autant actuel que nos modes de vie nous amènent à avoir de moins en moins de de contacts directs avec la nature et à en saisir la vulnérabilité. La perception des changements globaux et la sensibilisation aux enjeux de conservation en milieu marin d’un plus grand nombre peut contribuer à faciliter le dialogue entre acteurs, faire émerger des projets de territoire qui intègrent des mesures de gestion et de protection des milieux plus pertinentes et durables 6. Les Sciences participatives constituent ainsi aujourd’hui un formidable outil de mobilisation citoyenne, et d’initiatives associatives et publiques en faveur de la biodiversité, notamment littorale et marine, comme le prouve le panel de programmes mis en place au niveau national et mondial et la participation qu’ils connaissent.

 

 

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© DR

Les auteurs : Isabelle Le Viol, maître de conférence, Centre d’Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO), Muséum National d’Histoire Naturelle, Station marine de Concarneau, Alliance Sorbonne Université.

Christian Kerbiriou, maître de conférence, Centre d’Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO), Sorbonne Université, Station marine de Concarneau, Alliance Sorbonne Université.

 

1 IPBES : https://ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr

2https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/320323-7bb62-resource-rapport-de-la-mission-sciences-participatives-fevrier-2016.html

3 Gaget E., Galewski T., Jiguet F., Le Viol I. 2018. Waterbird communities adjust to climate warming according to conservation policy and species protection status. Biological Conservation, 227: 205-212.

4 Serranito B., Dimeglio T., Ysnel F., Lizé A., Feunteun E. 2022. Small- and large-scale processes including anthropogenic pressures as drivers of gastropod communities in the NE Atlantic coast : A citizen science based approach. - STOTEN Science of the Total Environment. In press.

5 https://www.plages-vivantes.fr/

6 https://www.ofb.gouv.fr/les-aires-marines-educatives

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

275540 institut de l'océan sorbonne
© INSTITUT DE L'OCEAN

 

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Sciences marines : Observation et connaissance des océans Alliance Sorbonne Université