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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Marina Lévy revient sur le rôle essentiel de l'océan comme amortisseur du changement climatique grâce à son rôle de pompe à carbone.

Il est aujourd’hui largement reconnu que l’océan subit de plein fouet les conséquences du changement climatique lié aux émissions croissantes de gaz à effet de serre par les activités humaines, en particulier de CO2. A cet égard, le rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère, adopté le 24 septembre 2019 à Monaco, est édifiant. Ce travail imposant, rassemblant sur plus de mille pages l’évaluation et la synthèse de près de 7000 publications scientifiques, fait le point sur les conséquences déjà observables du changement climatique sur les océans : montée du niveau de la mer, réchauffement des eaux, migrations de certaines espèces, dégradation des écosystèmes, acidification, extension des zones mortes, cette longue liste montre à quel point il est urgent de préserver la santé des océans et les populations qui en dépendent, particulièrement vulnérables dans les pays du Sud. Une part considérable des efforts de recherche en océanographie vise à anticiper ces effets, afin d’avertir les politiques publiques pour tenter d’en limiter les dégâts et ainsi participer à la mise en place de solutions d’adaptation et de mitigation.

Mais les enjeux de la connaissance de l’océan ne se limitent pas à mesurer les changements qu’il subit et les impacts que cela peut avoir sur les sociétés humaines. Car l’océan, et c’est sans doute une de ses qualités les moins connues, est aussi un amortisseur important du changement climatique. Pourquoi, comment ? En partie parce que l’océan est à la fois une pompe, et un gigantesque réservoir de carbone. On estime en effet qu’il renferme cinquante fois plus de carbone que l’atmosphère. Mais chaque année également, ces deux réservoirs s’accroissent d’une partie des émissions de CO2 relâchées du fait de l’activité humaine. L’océan séquestre en moyenne chaque année environ un quart des émissions anthropiques. La biosphère continentale stocke, elle, environ un deuxième quart. Quant à la moitié qui reste, elle s’accumule dans l’atmosphère et contribue à l’effet de serre. Sans ces processus de captation naturelle de CO2 anthropique par les océans et la biosphère continentale, le changement climatique induit par l’homme serait largement plus important.

 

 

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Si chacun se figure aisément certains puits de carbone dans les milieux continentaux, comme les forêts en formation ou les tourbières, il est plus difficile de se représenter les puits de carbone océanique, à tel point que même les chercheurs peuvent s’y perdre. Car il existe bien dans les océans, tout comme sur les continents, un puits naturel de carbone « biologique ». Il découle de la fixation du CO2 atmosphérique par l’ensemble des micro-organismes marins photosynthétiques qui flottent dans la couche superficielle des océans : le phytoplancton. Cyanobactéries, dinoflagellés, diatomées, et autres coccolithophoridés assurent, à eux seuls, près de la moitié de la production primaire de la planète en utilisant le CO2 pour synthétiser des molécules carbonées organiques. La chaîne alimentaire entre ensuite en action : le phytoplancton est brouté par le zooplancton, animaux planctoniques qui sont consommés à leur tour par des organismes plus grands et ainsi de suite. Une partie de ce carbone est rejetée dans les profondeurs sous forme de déchets organiques – cadavres, particules fécales -, et est ainsi isolée de l’atmosphère : les scientifiques parlent de pompe biologique, pour visualiser ce transport vers le fond des océans. Jusqu'à récemment, les efforts de la communauté de recherche étudiant cette pompe biologique étaient concentrés sur la chute gravitationnelle des particules en profondeur. Les recherches les plus actuelles ont mis en lumière d'autres mécanismes de pompage vers la profondeur, tels que l’injection par des courants descendants ou au travers de migrations verticales d’organismes. L’observation et la mesure des multiples facettes de cette pompe de carbone biologique requièrent de combiner les plateformes d’observations de l’océan les plus récentes, navires océanographiques, satellites, mouillages en haute-mer et robots (planeurs, flotteurs et véhicules de surface robotisés tels que les wavegliders et les saildrones). Des modèles numériques de l’océan viennent compléter les observations afin de reconstruire l’évolution dans le temps de son image tri-dimensionnelle.

Mais, et c’est là que ça se complique, la pompe biologique de carbone ne contribue pas, ou peu, au puits océanique de carbone anthropique. Car c’est un phénomène naturel qui est peu affecté par l’excédent de CO2 présent dans l’atmosphère. Elle aurait en fait plutôt tendance à devenir moins efficace. Pourquoi ? Parce que l’augmentation de température des eaux de surface aboutit à une stratification plus prononcée des couches océaniques : les eaux intermédiaires ont plus de mal à atteindre la couche de surface où se trouve le phytoplancton. Or, c’est la remontée de ces eaux qui, normalement, amène au phytoplancton les sels nutritifs qui lui sont nécessaires. Résultat de cette diminution du brassage des couches d’eaux : la croissance du phytoplancton diminue, ce qui diminue le flux de carbone sous forme de particules vers le fond de l’océan.

Deux systèmes pour piéger le carbone

Mais alors, comment l’océan pompe-t’il le carbone anthropique ? Il existe en fait deux systèmes de pompe différents, mais néanmoins liés, qui régissent l’absorption du carbone par l’océan.  La pompe qui va efficacement piéger le carbone anthropique est physico-chimique : lorsque les eaux tropicales superficielles chaudes sont entraînées vers les hautes latitudes, elles se refroidissent. Ce refroidissement augmente leur capacité à dissoudre du CO2 atmosphérique tout en augmentant leur densité.  Une fois arrivées aux latitudes polaires, elles plongent en profondeur, emportant avec elles le CO2 qui est ainsi soustrait à tout contact avec l’atmosphère, et ce pour des centaines d’années.

Ces pompes vont-elles continuer à nous protéger naturellement en limitant l’amplitude du changement climatique, alors que nos émissions de CO2 continuent d’augmenter ? Leur efficacité est-elle en danger ? Mieux connaître leur fonctionnement permet d’apporter certains éléments de réponse. Tout d’abord, plus l’océan absorbe de CO2, plus il devient acide, inévitablement. Et plus il est acide, moins il peut pomper de CO2. A terme, cela signifie que l’augmentation du CO2 atmosphérique risque d’aboutir à une diminution de la capture de CO2 par l’océan. Autre paramètre dont l’évolution laisse elle aussi présager un ralentissement de la pompe : la température des eaux de surface, qui augmente. Des eaux plus chaudes dissolvant moins facilement le CO2, cela diminue l’absorption de ce dernier. Bien d’autres mécanismes entrent en jeu, tels que la modification des vents et des courants, la composition de la communauté planctonique et de sa capacité à exporter du carbone, qui sont plus complexes et plus difficiles à anticiper, et au cœur de nombreux projets de recherches actuels.

Mais alors, existe-t-il des solutions basées sur les océans pour augmenter leur capacité naturelle à pomper et séquestrer du CO2 ? Certaines solutions envisagées à l’heure actuelle sont naturelles, telles que la restauration et la conservation de certains écosystèmes côtiers (principalement des marais salants, des mangroves et des herbiers marins), d’autres impliquent d’intervenir artificiellement sur l’environnement, par exemple en fertilisant par ajout de fer soluble dans les eaux de surface pour augmenter la production primaire (lorsque le fer est le nutriment limitant) et, par conséquent, l'absorption de carbone par le phytoplancton. L'alcalinisation est une autre option qui consiste en l'ajout de substances alcalines qui consomment du CO2. Leur potentiel est aujourd’hui essentiellement théorique. Lorsqu’elles n’ont pas un trop faible impact pour relever le défi de captage de CO2 à grande échelle, ces méthodes présentent encore trop d'incertitudes et/ou de risques d'effets collatéraux négatifs pour être recommandées pour un déploiement à grande échelle. Mais l’espoir n’est pas perdu.

 

 

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L’auteure : Marina Lévy est directrice adjointe du département Océans, Climat et ressources de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), et directrice de recherche au CNRS. Elle travaille au Laboratoire d’Océanographie et du Climat de l’Institut Pierre Simon Laplace (LOCEAN-IPSL), à Sorbonne Université.

Pour en savoir plus :

Nathaniel Herzberg, « Les bons comptes du carbone des océans », Le Monde, Sciences Climat, 30/04/2019

Marina Lévy et Laurent Bopp, « Turbulences dans l’océan », La Recherche, N°414, décembre 2007

MOOC de l’UVED sur la pompe de carbone, 27/09/2021, https://www.uved.fr/fiche/ressource/la-pompe-biologique-de-carbone-dans-locean

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

 

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Science et Environnement
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Sciences marines : Observation et connaissance des océans Alliance Sorbonne Université