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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Dans cet article, Katherine Hutchinson et Pierre Mathiot nous font découvrir l'importance cruciale pour le climat des mers sous les plateformes de glace de l'Antarctique. 

Quand on imagine l'océan, nous voyons de l'eau turquoise, des vagues rugissantes ou peut-être même des récifs coralliens colorés. Pourtant, autour de l’Antarctique, une partie essentielle de notre océan ne ressemble en rien à cela. Caché sous des centaines de mètres de glace, l’océan se montre inhospitalier, sombre, glacial et invisible depuis la surface. Occupant une superficie supérieure à celle de la France, de l'Italie et de l'Allemagne réunies, les mers sous les plateformes de glace de l'Antarctique font parties des zones les plus reculées et les plus méconnues de la planète. Les conditions d'observations très difficiles ont jusqu'à présent empêché toute exploration approfondie, mais ce que les scientifiques ont découvert nous montre que ces mers sont à la fois vitales et vulnérables. 

En hiver, des vents froids soufflent du continent, poussent la banquise au large et ouvrent des polynies côtières. Ces zones d’eau libres de glace se transforment en usines à banquise. Lorsque l'eau de mer gèle, le sel qu'elle contient est rejeté dans l'océan. En réponse à la salinisation et au refroidissement de l’eau de mer en surface, cette dernière coule dans les profondeurs, processus appelé convection. Quand cela arrive près d'une plateforme de glace, l'eau dense circule sous celle-ci et entre en contact avec la glace à des profondeurs atteignant plus d’un kilomètre. En raison de la diminution de la température du point de congélation avec la pression, l'eau dense de plateau fait fondre la base de la plateforme de glace. Le mélange résultant d’eau de fonte avec l’eau ambiante génère une eau extrêmement froide (inférieure à -1,9°C), très salée, et donc très dense. Poussée par les forces de gravité, cette eau descend en cascade du plateau continental jusqu’aux abysses telle une chute d’eau où elle devient l'une des eaux les plus importantes de la planète : l'eau profonde Antarctique.

Le tapis roulant océanique qui contrôle le climat

Cette masse d'eau est un élément clé de la circulation mondiale appelé le tapis roulant océanique qui, à son tour, contrôle le climat en répartissant la chaleur entre les zones tropicales et polaires. Les eaux chaudes de surface venant de l’équateur sont refroidies dans l'Arctique et l'Antarctique où elles sont renvoyées en profondeur vers les tropiques. Cependant, les eaux profondes se sont réchauffées et adoucies au cours des dernières décennies, ce qui soulève d'importantes questions concernant les interactions entre l'océan et les plateformes de glace en Antarctique et la stabilité du système climatique.

Nous pouvons imaginer les plateformes de glace flottantes comme des gigantesques bouchons qui contrôlent le flux de glace de la calotte polaire du continent Antarctique vers l'océan. Le point où celles-ci se mettent à flotter est appelé la ligne d'échouage. Des modifications de l'atmosphère ou de l’océan peuvent perturber ces bouchons, entraînant des changements très rapides du comportement des glaciers et une accélération de l'écoulement de glace du continent vers l'océan. Cela aurait pour conséquence une élévation du niveau de la mer.

Au cours des dernières décennies, nous avons observé des intrusions d'eau circumpolaire chaude sur le plateau continental Antarctique. Il en découle une augmentation de la fonte des plateformes de glace et un recul de la ligne d’échouage de plusieurs glaciers le long de la péninsule Antarctique et de l'Antarctique Occidental. Des études sont actuellement en cours pour connaître la sensibilité de la calotte polaire à de tels changements afin de savoir si elle risque d’être affectée et si oui à quelle échelle de temps. Comme ordre de grandeur, si les glaces de l'Antarctique Occidental fondaient intégralement, elles contribueraient à une élévation du niveau de la mer à hauteur de 3,3 mètres. Pour les 40 % de la population mondiale qui vivent à proximité des côtes, cette élévation aurait des conséquences dévastatrices.

Des modèles numériques pour comprendre les eaux de l'Antarctique

Afin de pouvoir comprendre et prévoir les évolutions possibles du système climatique, les scientifiques doivent disposer à la fois d'observations pour améliorer la compréhension des processus, et de modèles pour simuler les possibles changements.

Pendant les mois d'été en Antarctique, la relativement faible concentration de banquise et les conditions météorologiques plus clémentes permettent à des expéditions scientifiques de se rapprocher au plus près des côtes de l’Antarctique. C'est là qu'une variété d'instruments différents sont déployés pour mesurer les propriétés de l'océan au large. Cependant, observer sous les épaisses plateformes de glace est très difficile. Bien que certains véhicules sous-marins robotisés aient réussi à recueillir des données essentielles sous quelques-unes, cette partie de l’océan reste largement inconnue. Pour augmenter nos connaissances, nous nous tournons donc vers des modèles numériques d’océan et de calottes polaires afin de simuler ces derniers sur ordinateur.

Ces modèles, en combinaison avec les quelques observations disponibles, sont très utiles pour comprendre les processus qui se déroulent sous les calottes glaciaires. Ils nous aident à prévoir les changements possibles des glaces Antarctique et de l’océan Austral qui pourraient avoir lieu en réponse au changement climatique. La complexité des processus en jeu, les difficultés à les observer et à les modéliser, ainsi que leurs importances pour le climat, font qu’il s'agit là d'une nouvelle frontière passionnante pour la recherche scientifique.

 

 

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© DR

Les auteurs : Dr Katherine Hutchinson, chercheuse post-doctorale financée par le programme ‘European Union’s Horizon 2020 research and innovation’  Marie Sklodowska-Curie No 898058, laboratoire LOCEAN de  Sorbonne Université)

Dr Pierre Mathiot, chercheur postdoctoral financé par le programme ‘European Union’s Horizon 2020 research and innovation’ TiPACCs no. 820575, Institut des Géosciences de l’Environnement, Université Grenoble Alpes

 

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

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© INSTITUT DE L'OCEAN

 

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