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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Acteur majeur des variations lentes du climat, l’océan subit aussi les impacts du changement climatique. Plongée avec Éric Guilyardi dans une mécanique aussi gigantesque que délicate.

L’océan, gardien des équilibres et acteur des variations lentes

Quelle idée d’avoir appelé notre planète Terre alors qu’elle aurait dû être Mer ! Terriens par essence, notre expérience de l’océan n’est souvent qu’un effleurement de sa surface. Les milliers de mètres de ses abysses nous échappent et il faut les moyens modernes de l’océanographie pour les sonder.

Nous savons aujourd’hui que l’océan est formé de plusieurs zones qui se distinguent par les mécanismes qui les régissent (Fig. 1). Il y a d’abord l’océan de surface qui est le réceptacle des échanges avec l’atmosphère : les vents entraînent les courants, les flux de chaleur modifient la température des eaux de surface et le bilan des précipitations et de l’évaporation en modifie la salinité. Tout le monde le sait : l’océan est salé. Mais cette propriété a un rôle fondamental car, tout comme sa température, elle affecte la densité de l’eau de mer. Les « masses d’eau » ainsi formées par les échanges en surface entre l’air et la mer sont d’abord entrainées par la circulation due au vent. Sous l’effet de leur densité, lorsque l’évaporation augmente leur salinité, ou lorsque que le contact avec un air froid fait baisser leur température, elles se mélangent avec les eaux profondes. Ce mécanisme de « plongée » des eaux en raison de leur densité́ plus élevée entraîne une circulation de l’océan à l’échelle globale : c’est la « circulation thermohaline » (du Grec thermos: température, et halin: sel, Fig. 2). Les eaux chaudes se transforment en eaux froides dans les zones de convection près des pôles (cercles pointillés). Ces zones sont très petites par rapport au volume formé et on les appelle aussi les "ouïes" de l'océan car elles le ventilent en lui apportant des eaux froides, salées et riches en oxygène. Les eaux de surface, en particulier dans les tropiques, sont réchauffées par le rayonnement solaire. Elles se mélangent difficilement avec les eaux froides, profondes. Il existe ainsi entre ces masses d’eau chaudes et froides une zone de transition rapide: la thermocline.

 

 

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Figure 1. Les domaines de l’océan sur la verticale: l’océan de surface, réceptacle des échanges avec l’atmosphère et la glace de mer et lieu de formation des masses d’eau, la thermocline, zone de changement rapide de la température, et l’océan profond, alimenté par les zones polaires et dont la température moyenne est de quelques degrés.

 

 

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Figure 2. Vue schématique de la circulation thermohaline des océans. La branche chaude (rouge) est en surface et la branche froide (bleue) est en profondeur et représente 80% du volume des océans. Les eaux chaudes se transforment en eaux froides dans les zones de convection près des pôles (cercles pointillés). Ces zones sont très petites par rapport au volume formé et on les appelle aussi les "ouïes" de l'océan.

 

La machine climatique et le rôle des océans

Les tropiques reçoivent plus de chaleur que les plus hautes latitudes. Pour avoir un système stable, il faut transporter cet excès de chaleur vers les pôles. Ce rôle est assuré par les deux enveloppes fluides de la planète que sont l’atmosphère et l’océan. Ensemble, ils transportent jusqu’à 5 TW (soit l’équivalent de 5 fois la production annuelle d’électricité des États-Unis d’Amérique) de l’équateur vers les pôles. L’océan est le principal contributeur dans les tropiques et sub-tropiques, et l’atmosphère prend le relais aux moyennes et hautes latitudes. Ce transport équilibre les variations de chaleur dues aux différences d’exposition au rayonnement du soleil, et explique l’uniformité relative de la température à la surface de la Terre. Certes, il fait plus chaud à Tahiti qu’au Spitzberg, mais ce contraste entre l’équateur et les zones polaires serait décuplé sans enveloppe fluide.

Si l’océan et l’atmosphère travaillent de concert, ils n’ont pourtant pas les mêmes propriétés climatiques. L’océan a une forte inertie thermique : ses deux à trois premiers mètres contiennent autant de chaleur que l’ensemble de la colonne atmosphérique qui le surplombe (soit environ 70 kilomètres). Profond de 4000 mètres en moyenne, son inertie thermique est donc gigantesque, et en fait le véritable réservoir de chaleur de la machine climatique. De plus, l’essentiel de ce réservoir de chaleur est isolé de l’atmosphère. En effet, l’océan est opaque (le flux solaire ne pénètre que de quelques dizaines de mètres) et il est chauffé par le haut, ce qui a tendance à le stabiliser (l’eau chaude restant, comme on vient de le voir, au-dessus de l’eau froide). L’océan est donc fortement stratifié, ce qui réduit d’autant les échanges entre l’océan profond et la surface. La différence d’inertie entre l’océan et l’atmosphère fait qu’une dépression atmosphérique a une durée de vie de quelques semaines alors que l’on peut suivre des tourbillons océaniques à la surface de l’eau pendant plusieurs années, et que les multiples chemins de la circulation profonde (Fig. 1) se parcourent en plusieurs centaines à milliers d’années.

Le rôle de l’océan et de ses masses d’eau dans le climat est donc double. D’abord, il régule les mouvements rapides de l’atmosphère, les « lissant » dans le temps et dans l’espace. Ensuite en les absorbant, en les transportant, en les transformant et en les restituant à l’atmosphère loin et longtemps après, il joue un rôle majeur dans les variations lentes du climat. Ainsi, la chaleur stockée en été dans l’océan de surface est restituée à l’atmosphère en hiver, ce qui explique par exemple la douceur hivernale du climat océanique de la Bretagne comparé à celui, plus continental, de l’Alsace.

Un acteur des variations lente du climat

Il existe de nombreuses manifestations du rôle de l’océan dans les variations lentes du climat. Tous les 3 à 7 ans, le phénomène El Niño, qui a son origine dans l’océan Pacifique tropical, perturbe les régimes de précipitations et la survenue des cyclones tropicaux sur tout la planète. A l’échelle décennale, la circulation océanique connaît des soubresauts qui laissent aussi leurs marques sur le climat planétaire. Nous savons ainsi que les sécheresses au Sahel des années 1970-1980 ont été associées à des température de surface de la mer plus élevée dans l’océan Atlantique Nord. Les enregistrements des sédiments marins, récoltés au fond des océans, montrent même que, pendant le dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, la plongée des eaux profondes dans le nord de l’Atlantique s’est fortement réduite à plusieurs reprises, limitant en quelques dizaines d’années l’extension méridienne du Gulf Stream et entraînant un refroidissement intense en Europe. Enfin, à l’échelle millénaire, l’océan participe à la dynamique des cycles glaciaires/interglaciaires en stockant puis en relâchant du CO2 dans et depuis l’océan profond.

L’océan et le réchauffement climatique

L’océan permet de limiter le réchauffement de notre atmosphère. L’inertie de l’océan lui permet d’absorber 90% de la chaleur additionnelle due à l’accumulation des gaz à effet de serre d’origine humaine. Le cycle du carbone de l’océan permet aussi d’absorber près de 30% du CO2 que les activités humaines émettent dans l’atmosphère. Le rôle de puit salutaire s’accompagne néanmoins de conséquences sur l’océan : montée du niveau de la mer, acidification, et autres impacts sur la vie marine.

L’océan est une machine dont nous commençons juste à comprendre la complexité physique, chimique, biologique. Mais malgré son immensité, sa formidable inertie et ses eaux profondes millénaires, c’est une machine fragile. En moins de deux générations, l’empreinte de l’homme a atteint la démesure de ses vastes bassins et se fait sentir dans chacun de ses recoins. Les scientifiques ont montré que notre capacité à comprendre et à anticiper l’évolution du climat terrestre dépendait de notre connaissance fine des océans et leur effet sur le climat. Citoyens par nature continentaux, il nous faut apprendre à gérer cette formidable ressource en bon père de famille planétaire. L’éducation à l’océan en forme une porte d’entrée majeure.

 

 

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L'auteur : Éric Guilyardi, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’océanographie et du climat  (LOCEAN-IPSL) et à l’Université de Reading, Grande-Bretagne, président de l’Office for Climate Education.

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

 

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Science et Environnement
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Sciences marines : Observation et connaissance des océans Alliance Sorbonne Université