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Les graines transportées involontairement par les visiteurs pourraient perturber la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes de l'Antarctique. C'est ce qu'affirme une étude parue dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), compte-rendu de l'académie américaine des sciences. Une équipe internationale de scientifiques, parmi lesquels Marc Lebouvier, écologiste terrestre du laboratoire ECOBIO (Université de Rennes I/CNRS) et coordinateur de la Zone-Atelier de recherches sur l'environnement antarctique, et Yves Frenot, directeur de l'Institut Polaire Français (IPEV) ont présenté une évaluation du rôle des visiteurs dans le transport et l'introduction accidentelle de graines lors de leur voyage en Antarctique. A l'occasion de l'Année Polaire Internationale 2007-2008, plus de 5600 personnes rencontrées sur les navires ou avions de dessertes des programmes antarctiques nationaux ou des navires de croisière ont répondu à un questionnaire sur leur origine et sur les pays fréquentés avant leur voyage en Antarctique. 853 d'entre eux se sont prêtés à un examen minutieux de leurs effets personnels afin de déterminer à la fois le nombre de graines transportées et les espèces végétales concernées. Au total, ce sont plus de 2600 propagules, graines ou fragments végétaux capables de participer à la dissémination des plantes, qui ont été récoltées dans les effets de ces volontaires. 43 % de ces propagules ont pu être identifiées au niveau de l'espèce végétale. La moitié de ces espèces sont adaptées à des environnements froids et pourraient supporter les conditions rencontrées dans les régions de l'Antarctique les plus fréquemment visitées, explique l'IPEV. La péninsule antarctique plus fragile Bien que les auteurs aient trouvé que les visiteurs transportent en moyenne moins de 10 graines chacun, plusieurs espèces invasives ont déjà pu s'établir à l'ouest de la Péninsule Antarctique, dans une région déjà fortement touchée par le réchauffement et où les futurs changements climatiques sont susceptibles de faciliter l'installation de nouvelles espèces, originaires de régions plus tempérées. L'étude a aussi permis de discriminer les contributions respectives des différents types de personnes se rendant en Antarctique : les équipages de navires et avions, les touristes, leurs guides, les scientifiques et les personnels logistiques et de maintenance des bases polaires. Si les touristes et les membres d'équipages transportent moins de graines que les scientifiques, les guides ou les personnels logistiques des bases, leur nombre est quatre fois plus important et leur fréquentation est concentrée sur un petit nombre de sites. Enfin, les chercheurs ont évalué la probabilité pour ces espèces étrangères de s'établir en Antarctique dans les conditions climatiques actuelles et, à l'horizon 2100, en se basant sur les scénarios climatiques du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) en relation avec les émissions de gaz à effet de serre. Cette étude propose, pour la première fois, une évaluation des risques d'établissement d'espèces étrangères à l'échelle du continent lui-même. Les auteurs mettent en exergue les risques potentiels d'invasions biologiques en Antarctique en relation avec l'évolution rapide des conditions climatiques et soulignent les impacts que cela pourrait avoir sur la biodiversité et les écosystèmes locaux. Cette étude fournit aux signataires du Traité sur l'Antarctique et du Protocole pour la Protection de l'environnement, dit aussi Protocole de Madrid, des bases de réflexion pour minimiser les risques d'introduction d'espèces sur le continent blanc. Le tourisme déjà très encadré Alors que les personnels des bases scientifiques varient de 1000 à 5000 personnes suivant la saison pour tout le continent, environ 30.000 visiteurs par an découvrent désormais l'Antarctique, un tourisme très encadré, essentiellement concentré sur la péninsule, proche du port d'embarquement d'Ushuaia, au sud de l'Argentine. On notera d'ailleurs que les organisateurs de ces voyages, dans le cadre de l'International Association of Antarctica Tour Operators (IAATO), respectent des protocoles très stricts afin de préserver l'environnement. Ainsi, sur les navires de croisières, les vêtements utilisés lors des visites à terre sont « décontaminés », les bottes des passagers et membres d'équipage se rendant sur les sites étant systématiquement nettoyées avant le débarquement et au retour sur le bateau, afin d'éviter la transmission de graines ou de germes d'un site à l'autre. Les opérateurs cherchent à réduire au maximum les possibilités de contamination, les procédures s'améliorant au fil des années. Mais, malgré toutes les précautions prises, le système n'est pas infaillible, qu'il s'agisse des touristes ou des personnels des bases. Toute la difficulté est donc de poursuivre au mieux l'étude scientifique du continent blanc, mais aussi sa découverte par le public. Car ces touristes, une fois marqués par les merveilles de l'Antarctique, en deviennent les meilleurs ambassadeurs et participent au soutien de l'opinion public en faveur de la conservation et de la protection de cette gigantesque réserve naturelle unique au monde.

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Science et Environnement