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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Agnès Boutet et Julia Morales écrivent ici sur la richesse des différentes espèces marines en matière de biologie cellulaire.

Les stations marines se sont construites à partir de la deuxième moitié du XIXième siècle afin de permettre aux zoologistes et phycologistes d’accéder aux ressources biologiques marines. Ces établissements se trouvent aux quatre coins du monde: en France (Station Biologique de Roscoff, Observatoire Océanologique de Banyuls, Institut de la Mer de Villefranche), sur la côte Est des Etats-Unis (The Marine Biological Laboratory à Woods Hole), en Suède (Kristineberg Marine Research Station), en Italie (Station zoologique de Naples) pour ne citer que quelques-unes d’entre elles. Les laboratoires implantés dans ces stations marines ont donné l’opportunité aux chercheurs de faire entrer les organismes marins dans le champ de la biologie expérimentale à une époque où ils faisaient essentiellement l’objet d’études descriptives. Le monde marin offre une très grande diversité d’organismes dans l’arbre de vie, avec des phylums exclusivement présents dans la mer. Cent cinquante ans plus tard, l’utilisation des modèles marins pour déchiffrer les mécanismes moléculaires et cellulaires est toujours d’actualité et continue de se développer.

 

 

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© DR

Les modèles marins animaux utilisés au LBI2M sont représentés ici: en haut la petite roussette Scyliorhinus canicula et son embryon dans sa coque translucide, en bas deux espèces d’oursins, Sphaerechinus granularis et Paracentrotus lividus, avec en insert un embryon d’oursin au stade de deux cellules. Photos : W. Thomas, SBR et équipe TCCD, SBR. En bas à droite, la couverture de l’ouvrage sur les modèles marins utilisés en recherche en biologie et récemment publié (CRC press).

 

Les grandes questions en biologie cellulaire et biologie du développement sont souvent abordées dans un petit nombre d’organismes modèles, comme la souris, la mouche drosophile ou le vers nématode ou dans des cellules en cultures humaines ou murines. Cependant la contribution d’autres organismes moins «classiques» à l’élucidation de mécanismes moléculaires régulant des processus biologiques est loin d’être négligeable. En effet, certaines caractéristiques morphologiques, biologiques ou adaptatives de ces modèles sont révélatrices de processus masqués ou non accessibles dans des modèles classiques. Les modèles animaux marins ont ainsi permis de mettre en évidence des mécanismes moléculaires et cellulaires fondamentaux, conservés chez l’homme et dont la dérégulation est impliquée dans de nombreuses pathologies.

Par exemple, l’oursin est un modèle phare car la grande quantité d’œufs et d’embryons, facilement accessibles et dont le développement est rapide et synchrone, permet d’étudier le contrôle du cycle cellulaire et l’importance de la traduction des protéines dans ce processus, et d’en identifier les protéines clés. Les points de contrôle de la division cellulaire sont hautement conservés au cours de l’évolution de sorte que ces découvertes faites sur les oursins ont éclairé nos connaissances sur le fonctionnement des cellules humaines. Grâce donc à des petits organismes très distants (d’un point de vue évolutif) de l’homme, certaines protéines du cycle cellulaire sont devenues des cibles thérapeutiques dans le traitement du cancer. Dans un autre registre, le calamar qui possède un axone géant a révélé les échanges ioniques qui sous-tendent le potentiel d’action, ce signal électrique qui permet aux neurones de communiquer entre eux. Le nombre réduit de neurones de l’aplysie, un mollusque marin, a permis de comprendre dans un modèle simple le fonctionnement du système nerveux et de poser les bases physiologiques de l’apprentissage et de la mémoire. La découverte chez une méduse de la protéine fluorescente GFP, à l’origine de l’émission de lumière produite par cet organisme a révolutionné les approches en biologie cellulaire et en microscopie par la possibilité d’observer des phénomènes moléculaires dans des cellules. L’avancée des connaissances grâce à la contribution des modèles marins cités a été récompensée par plusieurs prix Nobel en Physiologie ou Médecine, et en Chimie comme par exemple en 2001 pour l’identification des protéines du cycle cellulaire ou en 2008 pour la découverte de la protéine fluorescente GFP.

Le nombre d’espèces marines étudiées au sein des laboratoires dans les stations marines de par le monde est très vaste, et continue à augmenter avec une meilleure connaissance de la biodiversité marine. Ainsi on compte des méduses, des tuniciers (appelé aussi «jupes de mer» car ces animaux possède une tunique), des requins, des annélides mais aussi une grande variété d’algues (brunes, rouges, vertes) comme modèles d’étude. Si certaines questions utilisant ces organismes tournent autour de la recherche appliquée (dans le domaine des biotechnologies ou de la santé), d’autres projets sont plus axés dans la recherche fondamentale et visent à comprendre des processus du vivant comme la morphogénèse, la régénération tissulaire, le développement embryonnaire. L’intitulé de ces projets fait souvent plisser les yeux du citoyen lambda reflétant une interrogation sous-jacente « ça sert à quelque chose de savoir cela ? ». Cette réaction est parfaitement légitime et est aussi l’occasion pour les chercheurs de rappeler que leur mission est d’enrichir les connaissances du vivant dans le seul but d’augmenter le savoir. C’est en effet cette démarche qui a permis de grandes découvertes comme celles citées plus haut sur le contrôle de la division des cellules ou le mode de la communication entre neurones.

Un manuel sur l’utilisation des organismes marins dans la recherche en biologie vient d’être publié chez CRC press. Ce livre de 500 pages comporte 24 chapitres dédiés chacun à un organisme marin en particulier. La plupart des chapitres sont organisés de manière à rendre compte de l’histoire du modèle, de sa distribution géographique, de son cycle de vie, son embryogenèse et son anatomie. Toutes les approches fonctionnelles possibles avec ces modèles sont également exposées. L’écriture de ce livre, sous la coordination éditoriale d’Agnès Boutet et de Bernd Schierwater, constitue un acte fédérateur de grande ampleur puisqu’elle a nécessité la participation de multiples scientifiques des stations marines de Sorbonne Université (Banyuls, Roscoff, Villefranche) et de bien d’autres instituts au niveau international (Allemagne, Australie, Crête, Danemark, Espagne, Israël, Italie, Japon, Suisse, USA). Au total 79 auteurs ont concentré leurs efforts pour synthétiser avec beaucoup de rigueur la littérature scientifique sur leur organisme favori.

Nul doute qu’aujourd’hui les organismes marins sont le substrat incontournable des recherches à la fois appliquées et fondamentales.

 

 

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© DR

Les auteures : 

Agnès Boutet (à gauche), maitre de conférences à Sorbonne Université et Julia Morales (à droite), directrice de recherche au CNRS. Dans l’équipe « Traduction, Cycle cellulaire et Développement » au LBI2M de la Station Biologique de Roscoff, elles mènent leurs recherches sur le développement et la régénération du rein chez la roussette et sur la régulation de la synthèse des protéines à la fécondation et le cycle cellulaire chez l’oursin. 

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

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