Nous vous proposons de redécouvrir le long article que nous avions consacré en novembre 2017 à la logistique polaire nécessaire au fonctionnement des bases scientifiques en Antarctique. Un nouveau navire, L'Astrolabe, venait alors de remplacer son illustre aîné pour acheminer durant l'hiver austral, entre la Tasmanie et la Terre Adélié, le fret et les personnels essentiels aux travaux de recherche dans l'une des zones les plus hostiles de la planète.
Remplaçant le navire éponyme qui a effectué pendant plus de 30 ans cette mission, L’Astrolabe, tout nouveau patrouilleur et bateau logistique polaire français, a débuté le 3 novembre sa première campagne de ravitaillement des bases scientifiques en Antarctique. Il est parti de Hobart, en Tasmanie, qui sert de base arrière à l’Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV). Cet organisme français est chargé de conduire des programmes de recherche en Arctique, Antarctique et zones subantarctiques (Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam), avec au-delà des études sur place la responsabilité d’assurer le soutien logistique des sites qui s’y trouvent. Concernant le continent blanc, le port d'Hobart, à l'extrême sud de l'Australie, a été historiquement choisi pour sa « proximité » avec la Terre Adélie. Mais il en reste tout de même éloigné, avec 2700 km à parcourir jusqu’à Dumont d’Urville, dont une partie du voyage à travers les glaces.

Le nouvel Astrolabe quittant Hobart le 3 novembre (© : Philippe Dordhain - Institut Polaire Français IPEV)

Soutenir Dumont d’Urville et Concordia
Ces missions consistent à soutenir deux implantations majeures : Dumont d’Urville (DDU) et Concordia, où des équipes scientifiques et techniques, dans l’un des environnements les plus hostiles au monde, réalisent tout au long de l’année des observations et recueillent des données uniques, en particulier dans les domaines de la glaciologie, des études atmosphériques, sismologiques, astronomiques, ou encore de suivi de la faune… L’ensemble de ces recherches permet en particulier d’enrichir grandement la compréhension globale de l’histoire du climat, de son évolution et de ses conséquences.
Opérationnelle depuis plus de 60 ans, Dumont d’Urville, implantée sur une île du littoral antarctique, est le point d’entrée de la logistique polaire. Celle-ci répond aux besoins de cette station côtière, mais aussi de Concordia, base franco-italienne créée il y a 20 ans sur le Dôme C, au cœur du continent, à plus de 1000 kilomètres de DDU et 3200 mètres d’altitude. Un vrai « bout du monde », l’un des endroits, si ce n’est le lieu, le plus isolé de la planète.

L'ancien Astrolabe à Dumont d'Urville (© : Institut Polaire Français IPEV)
Un accès possible uniquement pendant l’hiver austral
Les opérations d’avitaillement des bases en vivres, matériel et carburant, ainsi que les relèves de personnel, ne peuvent s’effectuer que pendant l’été austral, c’est-à-dire d’octobre à mars. A cette période, les températures augmentent dans le Grand Sud, provoquant la fonte de la banquise et libérant ainsi des passages vers la côte antarctique. Le reste de l’année, les bases sont complètement isolées. « L’Antarctique est quasiment inaccessible et une base comme Concordia, située à plus de 1000 kilomètres à l’intérieur du continent, est complètement isolée 6 mois dans l’année. Pendant cette période, toute entrée ou sortie est impossible, il n’y a aucun moyen de l’atteindre en cas de problème. Il faut donc être extrêmement prévoyant et les équipes qui travaillent sur place ont par exemple toujours deux ans de réserve en vivres et en fioul », explique-t-on à l’IPEV.

Dumont d'Urville (© : Pierre et Marie Cusa - Institut Polaire Français IPEV)
300 tonnes de fret à acheminer par la mer
Les programmes scientifiques conduits en Antarctique nécessitent le transport, chaque année, de 300 tonnes de fret, dont 30 tonnes de nourriture. Un volume projetable uniquement par voie maritime. D’où l’importance de L’Astrolabe, qui succède au navire du même nom qui a assuré pendant plus de 30 ans cette mission, jusqu’au début de 2017. Le bateau constitue un véritable cordon ombilical pour les équipes scientifiques œuvrant en Antarctique. Sans cette liaison maritime, les programmes de recherche devraient tout simplement cesser. Selon les besoins et conditions d’accessibilité, quatre à cinq rotations sont conduites chaque saison entre Hobart et Dumont d’Urville.

Le nouvel Astrolabe, ici à La Réunion (© : PATRICK SORBY)

L' ancien Astrolabe à Dumont d'Urville (© : Institut Polaire Français IPEV)
Une navigation imprévisible jalonnée de multiples dangers
Bien que l’été austral laisse la possibilité au navire d’accéder à Dumont d’Urville, il s’agit de l'une des navigations les plus délicates, une expédition imprévisible jalonnée de multiples dangers. Car, après avoir navigué en eaux libres depuis Hobart, le bateau va quand même devoir se frayer un passage dans le pack, c’est-à-dire la banquise persistante, les plaques de glace dérivantes et les icebergs. « En début de saison, le pack peut s’entendre sur 400 kilomètres. Il faut bâtir une véritable stratégie de navigation pour traverser cette zone. On se base en particulier sur des images satellite pour créer une route sur 5/6 jours mais, pendant ce temps, la glace dérive et il faut compter avec la neige et le vent. On doit donc revoir la stratégie quotidiennement », explique Stanislas Devorsine. Cet officier de Marine marchande fut l’un des deux commandants de l’ancien Astrolabe. Il rempile sur son successeur, tout comme son homologue Stanislas Zamora. En tant que réservistes, ils vont assister les équipages de la Marine nationale, le nouvel Astrolabe n’étant contrairement à son prédécesseur pas armé par des marins civils mais des militaires.

L'ancien Astrolabe dans le pack (© : Institut Polaire Français IPEV)
« On se bagarre littéralement avec la glace »
La traversée du pack est en effet une vraie épreuve, qui nécessite beaucoup d’expérience, de patience et d’anticipation. Le navire, équipé d’une coque brise-glace, peut fendre jusqu’à 80 centimètres de glace à la vitesse de 4 nœuds, et même passer dans une glace de première année, plus tendre, d’une épaisseur de 1.5 mètre. Sa proue, spécialement adaptée, monte légèrement sur la banquise et amorce la rupture de la glace. Pour autant, il ne faut pas s’imaginer qu’il puisse simplement franchir ainsi plusieurs centaines de kilomètres. La glace est en effet très épaisse et résistante dans de nombreuses zones. Il faut beaucoup manœuvrer et être capable de se dégager. « Notre record de lenteur, c’est 200 mètres en 24 heures, machines en arrière à fond et machines en avant à fond, on se bagarre littéralement avec la glace ». Et puis il faut veiller à éviter les pièges, comme ces passages ou lacs éphémères très tentants mais qui peuvent vite se refermer. Les marins n’ont qu’un objectif, ne pas se laisser emprisonner, ce qui peut arriver mais présente alors un gros risque : être contraint de subir la dérive de la banquise jusqu’à éventuellement heurter un iceberg, avec des conséquences potentiellement fatales. Premier commandant du nouvel Astrolabe, le capitaine de frégate Céline Tuccelli, qui a effectué l’hiver dernier la traversée avec l’ancien navire, a pu mesurer les difficultés de ces navigations de l’extrême : « On peut se retrouver, ce qui est arrivé, dans un lac intérieur avec 100 nœuds de vent pendant plusieurs jours. Il faut alors mettre le bateau en appui sur la banquise, bout au vent, sans couper les moteurs. Le grand risque, pendant ces missions, c’est de se retrouver pris dans la glace et dériver vers un iceberg. C’est la situation à éviter ».

Le nouvel Astrolabe (© : PIRIOU)

Le nouvel Astrolabe (© : PIRIOU)
Observation depuis le nid de pie et grâce aux hélicoptères
La neige, quant à elle, réduit la visibilité, indispensable pour se faufiler dans les chenaux s’ouvrant dans le pack. Car les images fournies par les satellites et les radars ne sont pas suffisantes. Dans la glace, où l’environnement est en évolution constante, on navigue à l’ancienne, en observant la banquise et les icebergs depuis la passerelle et même un nid de pie, véritable poste d’observation, situé sur une tour surplombant le navire. Et puis il y a à bord un ou deux hélicoptères AS350 B3 Ecureuil, régulièrement envoyés en reconnaissance pour repérer des passages, quand la météo le permet. Un tel Everest maritime pousse évidemment à l’humilité. Selon Stanislas Devorsine : « Dans la glace, quelle que soit son expérience, on en apprend tous les jours. Il faut être très patient, il faut y croire, c’est plein d’imprévus. C’est une navigation très dynamique et agressive, mais aussi très opportuniste. Il faut saisir chaque opportunité, chaque évolution météo favorable. Ces navigations sont également très particulières du fait de la pression logistique. Il y a un vrai impératif pour ravitailler les bases et, contrairement aux croisières ou à la science polaire, on doit faire en sorte d’arriver au point donné et au moment donné ». Si tout va bien, le voyage entre Hobart et la Terre Adélie est d'une huitaine de jours.

L'ancien Astrolabe en route pour Dumont d'Urville (© : Pierre et Marie Cusa - Institut Polaire Français IPEV)
DDU de moins en moins accessible
La traversée du pack est donc une opération complexe et potentiellement périlleuse mais, une fois arrivé près de Dumont d’Urville, les difficultés ne sont pas forcément toutes surmontées. Les changements climatiques complexifient en effet, depuis peu, l’accès au port de la base. Ces dernières années, les remontées d’eau froide et la rupture de grands glaciers ont entrainé une augmentation de la banquise autour de Dumont d’Urville. « Tout un équilibre est en train d’être modifié, allant jusqu’à empêcher le navire d’atteindre la base. L’année dernière, ce fut compliqué et l’année précédente catastrophique », confie-t-on à l’IPEV. L’Astrolabe doit alors se débrouiller pour s’approcher à un minimum de 50 kilomètres et, faute de pouvoir décharger directement son fret sur un quai, est contraint d’utiliser ses hélicoptères. Une longue et fastidieuse noria se met alors en place, sachant que les appareils ne peuvent transporter qu’environ une tonne par voyage, au mieux 1.2 tonne, mais tout dépend là encore des conditions météo et de la distance à parcourir. Si besoin, il faut démonter certains équipements, trop lourds, pour les remonter à terre à l’issue de leur transfert aérien.

Un Ecureuil sur l'ancien Astrolabe (© : Pierre et Marie Cusa - Institut Polaire Français IPEV)
Le ou les hélicoptère(s) embarqué(s) sur L'Astrolabe peuvent aussi servir à la construction de nouvelles infrastructures sur place et au transport de gros matériel à Dumont d’Urville, tout en apportant leur soutien à des missions scientifiques. Ils sont fournis via une prestation de service avec pilote(s) et mécanicien(s) par un opérateur ayant remporté un appel d'offres émis par l'IPEV. Actuellement, il s’agit actuellement de la société française TAF. A la fin de la saison, les hélicoptères sont redéposés à Hobart par L'Astrolabe, la société les réemployant pour ses autres missions et clients.

Le raid assurant le ravitaillement de Concordia (© : Institut Polaire Français IPEV)
Le raid terrestre vers Concordia, au cœur de l’Antarctique
Une fois arrivé, le ravitaillement acheminé par le navire doit ensuite, pour partie, rejoindre Concordia. Et là, c’est une nouvelle aventure qui commence. Des convois sont préparés à Cap Prud’homme, dont Dumont d’Urville, située à quelques kilomètres, est la base annexe. L’IPEV met en place des raids polaires afin de rejoindre la station franco-italienne. Un convoi type est composé de deux engins de nivelage et six à huit tracteurs tirant des conteneurs et citernes répartis sur une vingtaine de traineaux. Concordia est pour mémoire située sur le « Dôme C », à 1100 kilomètres de là, avec un dénivelé de plus de 3000 mètres à gravir à travers la neige et la glace. Le tout, dans des conditions météo qui restent extrêmes, même pendant l’été austral (la température sur le Dôme C est de -40 à -50 degrés à cette période, alors qu’elle descend à -86° en hiver). Le voyage, aller-retour, prend 20 à 25 jours, les véhicules ne progressant en moyenne qu’à 10 km/h. « Retrouver la piste entre deux passages du convoi ou deux étés austraux n’est pas chose facile. Celle-ci n’est matérialisée que par le léger remblai créé par la lame des machines de nivelage. Les véhicules, et plus particulièrement celui situé en tête du convoi, sont équipés de systèmes électroniques de navigation qui reposent sur l’utilisation du GPS. Le véhicule de tête est équipé de puissants projecteurs qui permettent de voir le sol même dans des conditions de visibilité réduites. La bonne marche du convoi nécessite d’adapter la répartition des charges aux types de traineaux utilisés et l’état de la piste afin de ménager le matériel, d’optimiser la consommation de fuel et de réduire les temps de parcours », précise l’IPEV.

Dans le module énergie du raid (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)
Un convoi parfaitement autonome
L’équipage du raid comprend une dizaine de personnes, dont un médecin. Livrés à eux-mêmes, ces hommes et femmes doivent être parfaitement autonomes et pouvoir faire face à n’importe quelle situation, allant de la panne à la gestion d’un blessé. Pour pouvoir mener à bien ce périple, ils ont à leur disposition un « module vie », comprenant des couchettes, une infirmerie, un local communication (avec radio HF, station de téléphone Iridium et terminaux satellites Inmarsat), une cuisine et une salle à manger. S’y ajoute un « module énergie », abritant un générateur (qui alimente la caravane et maintient la température des tracteurs pendant les arrêts afin d’éviter le gel des fluides), un atelier, un système de production d’eau douce et des sanitaires. Un « module magasin » comprend enfin le ravitaillement et les pièces de rechange. Jusqu’à trois convois (deux seulement prévus cette année) acheminent pendant l’été austral les centaines de tonnes de matériel et de vivres dont Concordia a besoin pour fonctionner tout au long de l’année, la caravane ramenant au retour les équipements dont la base n'a plus besoin, ainsi que ses déchets.

Les modules vie et énergie du raid stationnés à Concordia (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)

Le ravitaillement déchargé à Concordia (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)

Le ravitaillement déchargé à Concordia (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)
Liaison aérienne inter-bases
On notera qu’il existe également une liaison aérienne vers Concordia, assurée par les Italiens. A l’instar de l’IPEV avec les Ecureuils, ceux-ci affrètent pendant l’été austral des avions DHC-6 Twin Otter (environ 10 places) et Bassler BT-67 (un avion d'environ 18 places conçu sur la base du DC-3) auprès d'un prestataire canadien. Adaptés à un emploi dans cet environnement, ces appareils effectuent des trajets entre la station italienne Mario Zucchelli, Dumont d'Urville et Concordia. Ils sont essentiellement utilisés pour transporter du personnel, avec au passage un peu de petit matériel, les trajets étant optimisés au maximum. A la fin de la saison, les avions ne restent pas en Antarctique mais repartent au Canada.

(© : Alain Pierre - Institut Polaire Français IPEV)

Le raid à Concordia avec en arrière plan un avion affrété par les Italiens (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)

(© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)
La logistique polaire demeure une aventure
Fruit de plusieurs décennies d’expérience, depuis les premières grandes expéditions et le début des hivernages en Antarctique jusqu’à aujourd’hui, la logistique polaire constitue donc une activité extrêmement complexe, et même en fait toujours une véritable aventure. Ceux qui la planifient et la conduisent doivent composer avec les éléments et gérer une multitude d’imprévus dans un environnement particulièrement hostile et incontrôlable, où les équipes sur le terrain ne peuvent guère compter que sur elles-mêmes et les ressources dont elles disposent. C’est pourquoi cette mission réclame un très grand savoir-faire et la réunion de nombreuses compétences, le personnel devant être à la fois extrêmement professionnel et méticuleux, tout en sachant réagir face à des situations critiques. Car malgré les évolutions technologiques, ces périples demeurent une vraie aventure, avec son lot d’incertitudes, d’aléas, de dangers et il faut le dire aussi, de courage.

Colonie de manchants Adélie à Dumont d'Urville (© : Françoise Amelineau - Institut Polaire Français IPEV)
Des recherches fondamentales dimensionnées par la capacité à ravitailler
Le ravitaillement des bases antarctiques mobilise des énergies considérables et beaucoup de moyens. L’investissement est, il est vrai, important et sa justification demeure souvent nébuleuse pour le grand public. Mais au-delà de la mystique des aventures polaires, la présence d’équipes scientifiques conduisant d’importants programmes de surveillance et de recherche sur le continent blanc apparait comme bel et bien indispensable. Car c’est là que se joue une part importante du très complexe mécanisme climatique mondial, dont la connaissance se révèle primordiale au regard des bouleversements en cours ou redoutés. Or, le moindre problème dans le délicat mécanisme de la logistique polaire peut avoir des conséquences très fâcheuses, les recherches conduites sur place dépendant totalement de ce cordon ombilical. En cas de problème, l’IPEV peut compter sur l’entraide avec d’autres nations présentes en Antarctique, comme l’Australie, si cela est évidemment possible. Toujours est-il que la logistique polaire dimensionne le champ des études scientifiques conduites sur le continent blanc, la diversité des missions étant contrainte par les capacités de ravitaillement. D’ailleurs, si les difficultés d’accès à Dumont d’Urville persistent, voire se renforcent dans les années qui viennent, il faudra sans doute songer à réduire la voilure en termes de personnel déployé, ce qui serait évidemment très préjudiciable pour les programmes de recherche.

La base Dumont d'Urville (© : Pierre et Marie Cusa - Institut Polaire Français IPEV)
Les bases Dumont d’Urville et Concordia
Voyons désormais plus en détail ces deux bases et les travaux très variés qui y sont conduits. La première, située sur le littoral, a pris le nom de l’explorateur français ayant découvert la Terre Adélie en 1840 à bord de la corvette L’Astrolabe. Elle a été créée en 1956 en remplacement d’une première station, Port-Martin (1952), détruite par un incendie. Implantée sur l’île des Pétrels, à 5 km du continent, Dumont d’Urville peut accueillir jusqu’à une centaine de personnes pendant l’été austral et 25 à 35 hivernants. La base compte 5000 m² de bâtiments, avec une cinquantaine d’installations permettant aux équipes scientifiques et techniques de travailler pendant de longs mois en toute autonomie : logements, réfectoire, cuisine, hôpital, bibliothèque, laboratoires de biologie, géophysique ou encore météorologiques, centrale électrique, distillateur d’eau de mer pour produire l’eau douce, ateliers, garages pour les véhicules… Toutes ces installations sont adaptées aux conditions très rudes du climat local, avec des températures pouvant atteindre -40°C, du blizzard et des vents amenés à dépasser les 300 km/h, ainsi que de longues nuits polaires.

(© : Legendre - Institut Polaire Français IPEV)

(© : Bruno Jourdain - Institut Polaire Français IPEV)

Etude du pack côtier à Dumont d'Urville (© : Camille Fresser - Institut Polaire Français IPEV)

Etude du pack côtier à Dumont d'Urville (© : Françoise Amelineau - Institut Polaire Français IPEV)
Champ magnétique terrestre, sismologie, étude de la stratosphère…
Dumont d’Urville abrite notamment les observatoires magnétique (depuis 1957) et sismologique. Gérés par l’Institut de géophysique du globe de Strasbourg, ils permettent pour le premier de mesurer en temps réel et d’étudier les évolutions dans le temps du champ magnétique terrestre, et pour le second à déterminer les modes de rupture des failles et participer, au sein du réseau de surveillance international Geoscope (développé depuis 1982), à localiser les séismes sur l’ensemble de la planète et participer à la prévention des tsunamis.

La base Dumont d'Urville (© : Pierre et Marie Cusa - Institut Polaire Français IPEV)

Ballon sonde à Dumont d'Urville (© : Eduardo Daforno - Institut Polaire Français IPEV)
La base accueille également l’Observatoire de la stratosphère et interactions avec le climat, placé sous la responsabilité de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Implanté en 1988 pour étudier la couche d’ozone en Antarctique, son activité s’est depuis étendue à l’étude plus globale de la stratosphère, la détection des changements liés à l’activité humaine et les interactions entre chimie stratosphérique et le climat. L’observatoire, qui déploie aussi des moyens à Concordia et à Kerguelen (archipel français de l’océan Austral), met notamment en œuvre des stations Lidar, de spectromètres et des ballons sondes. DDU dispose aussi d’un marégraphe automatisé qui réalise en permanence et transmet en temps réel via le système Argos des mesures de pression atmosphérique, de température de l’air et de l’eau, ainsi que de pression de fond.

Plongée dans le secteur de Dumont d'Urville (© : Erwan Amice - Institut Polaire Français IPEV)
Biologie marine et faune locale
Depuis cette base, on réalise aussi de nombreuses études en océanographie et biologie marine, avec par exemple des campagnes de prélèvement le long de la côte, des plongées humaines et l’emploi d’un robot télé-opéré (ROV) permettant d’étudier les fonds côtiers (images et prélèvement d’échantillons) dans des zones difficilement accessibles, jusqu’à des profondeurs supérieures à 200 mètres.

Le ROV mis en oeuvre depuis Dumont d'Urville (© : Camille Fresser - Institut Polaire Français IPEV)

Biologie marine (© : Françoise Amelineau - Institut Polaire Français IPEV)
A terre, on étudie aussi, depuis longtemps, l’évolution de la faune locale, en particulier les manchots empereurs, dont l’une des principales colonies est installée juste à côté de la base. Les chercheurs effectuent également des campagnes de glaciologie. Ils observent par exemple l’écoulement des glaciers dans la mer, avec selon les observations une nette augmentation liée au réchauffement climatique. La hausse des températures peut aussi avoir des conséquences dramatiques sur les animaux.

Colonie de manchants enpereurs à Dumont d'Urville (© : Françoise Amelineau - Institut Polaire Français IPEV)
Impact direct du réchauffement climatique sur les manchots
Ainsi, alors que la banquise devient de plus en plus persistante dans le secteur, obligeant les manchots qui y nichent à parcourir plus de distance pour pêcher et nourrir leurs petits, le thermomètre, qui descend à -30/-40 degrés en « hiver », passe depuis quelques années dans le positif durant l’été austral. Conséquence : il pleut sur Dumont d’Urville et le taux de mortalité des bébés manchots, dont la fourrure est adaptée au froid mais pas à la pluie, atteint un niveau alarmant. Pendant l’hiver 2013/2014, tous les nouveau-nés de la colonie sont même morts, une première depuis le début des études il y a des décennies. « Plus le milieu est extrême, plus il souffre des modifications climatiques, avec des conséquences directes et dramatiques », souligne-t-on à l’IPEV.
Les chercheurs en Antarctique sont donc aux premières loges pour mesurer les conséquences du réchauffement climatique, dont les effets se font progressivement sentir sur le reste du globe.

Concordia (© : Michel Munoz - Institut Polaire Français IPEV)
Concordia, un site unique au cœur du Dôme C
En plus de l’implantation historique de Dumont d’Urville, les scientifiques travaillent sur un site complémentaire implanté dans une zone encore plus isolée mais considérée comme idéale pour l’étude de nombreuses disciplines. Il s’agit de Concordia.
Plus récente que DDU, Concordia, active depuis 1997 et permettant des hivernages depuis 2005, est une base internationale opérée conjointement par l’IPEV et son homologue italien, le PNRA. Située sur le Dôme C, à 1100 km de la côte et à plus 3200 mètres d’altitude, c’est, avec Amundsen-Scott (Etats-Unis) et Vostok (Russie), l’une des trois seules stations (et l’unique européenne) opérées tout au long de l’année au cœur du continent antarctique. Concordia, qui accueille 50 à 70 personnes en été et 13 à 15 en hiver, a été installée sur un site remarquable.

Antennes de mesure du champ magnétique terrestre à Concordia (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)

Concordia (© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)
Accéder aux archives du climat et mieux étudier l’atmosphère
Selon l’IPEV, le Dôme C présente en effet « une épaisseur de calotte glaciaire permettant d’accéder aux archives du climat de la planète et de reconstruire les cycles interglaciaires sur plus de 800.000 ans ». Actuellement, les équipes de Concordia essaye d’ailleurs d’effectuer un carottage permettant de remonter à un million d’années. Alors que la base présente l’avantage de se situer sous la trace de la plupart des satellites en orbite polaire, son altitude élevée et son atmosphère particulièrement stable, pure et sèche, est présentée comme idéale pour les observations astronomiques et pour les études sur la composition chimique des basses et hautes couches de l’atmosphère. Le positionnement de Concordia sous le vortex polaire offre en outre l’opportunité d’étudier au plus près les fluctuations de la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique.

Raid science depuis Concordia (© : Jean-Jacques Farcy - Institut Polaire Français IPEV)
« Aucun site en Antarctique ne présente de tels atouts »
Enfin, l’IPEV relève que sa situation éloignée des perturbations côtières est favorable aux observatoires en magnétisme et sismologie, complétant ainsi le réseau mondial de données très lâche dans l’hémisphère sud. « Actuellement, aucun site en Antarctique ne présente de tels atouts. La vocation de Concordia est donc d’offrir à la communauté scientifique internationale un accès au haut plateau antarctique, l’une des régions les plus isolées et inhospitalières de la planète, et permettre ainsi la réalisation de programmes de recherche permanents et des observations uniques dans de nombreux domaines ». Alors que la température peut atteindre -86°C en « hiver », et demeure à -40/-50° pendant l’été austral, Concordia offre des conditions de vie proche de ce que l’on trouve dans l’espace.

Des conditions de vie proches d’une station spatiale
Des programmes scientifiques y sont d’ailleurs conduits par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), en partenariat avec l’IPEV, sur l’acclimatation d’une population aux environnements les plus isolés et extrêmes, le comportement humain en milieu confiné et la mise en place de protocoles médicaux très pointus. Sur le plan technique, différents équipements y sont testés et développés, comme par exemple des prototypes de retraitement des eaux usées.
C’est pour toutes ces recherches, qui ont donc des implications très vastes, que sont entretenues et développées les stations en Antarctique.

(© : Thibaut Vergoz - Institut Polaire Français IPEV)