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A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université.  Julie Deshayes explique ici comment la modélisation des océans permet d'apporter une aide scientifique précieuse en matière d'observation des courants océaniques profonds.

 

Tandis que les observations de la surface des océans se multiplient, grâce aux satellites en particulier, les courants océaniques en profondeur restent difficiles à observer. En effet, trois solutions s’offrent aux océanographes physiciens pour étudier les mouvements des masses d’eau loin de la surface :

1) déposer un mouillage, à un endroit choisi par avance. Il s’agit d’un câble solidement attaché à une ancre à une extrémité et des bouées à l’autre (pour se dresser verticalement à l’aplomb de l’ancre, posée au fond), le long duquel on accroche des instruments qui mesurent la température et la salinité (dont on peut déduire les courants) et/ou directement la force et l’orientation du courant par effet doppler ;

2) mesurer la température et la salinité et/ou la force et l’orientation des courants à l’aide d’une bathysonde, qu’on manipule depuis le pont d’un navire, alors qu’il parcourt un trajet défini au préalable pendant une campagne océanographique ;

3) suivre la trajectoire d’instruments dérivant au gré des courants, à une profondeur choisie (au moment de la construction de l’instrument).

En conséquence, on ne dispose que de très peu d’observations des courants marins en profondeur. La modélisation des océans apporte une aide précieuse pour les étudier.

Contrairement à ceux utilisés dans d’autres domaines, les modèles d’océan ne partent pas de données existantes, mais d’équations qu’il faut résoudre. Ces équations sont celles qui régissent la physique des fluides, depuis l’écoulement d’une rivière au mouvement des masses d’air dans l’atmosphère de Mars ! Mais ces équations sont complexes et nécessitent des hypothèses simplificatrices pour pouvoir être résolues par un ordinateur, même très puissant. Vérifier que ces simplifications n’affectent pas la fiabilité du modèle est alors essentiel, et c’est à ce stade que les observations de l’océan entrent en jeu. Si le modèle est trop loin de la réalité, les hypothèses de simplifications sont modifiées jusqu’à ce qu’il soit jugé suffisamment fiable.

Jouer avec la modélisation de la dynamique des océans

La plus grosse simplification des équations qu’il faut opérer, pour produire un modèle d’océan, consiste à traduire les équations mathématiques à résoudre en langage compréhensible par un ordinateur. Techniquement, il s’agit de transformer des fonctions continues en temps et en espace, en suite d’opérations à effectuer sur un nombre limité de points. Concrètement, entre deux points voisins d’un modèle d’océan, il n’y a pas de données, alors qu’il y a toujours de l’eau à la surface des océans ! La modélisation océanique exige donc des connaissances de pointe en mathématiques et en informatique, en plus de l’expertise physique sur la dynamique océanique. La production des données nécessite parfois d’employer des supercalculateurs, tandis que la visualisation des données produites passe aussi par des outils informatiques, mais peut souvent être réalisée sur un ordinateur de bureau. Au final, un modèle d’océan, c’est comme un laboratoire virtuel qui reproduit les vrais océans de la planète Terre. A la manière de jeux vidéos, on peut “jouer” avec la dynamique océanique dans ces modèles : faire tourner la planète dans l’autre sens, fermer les cavités océaniques sous la calotte Antarctique, relâcher de l’eau douce autour du Groenland comme si toute la calotte avait fondu… Ces expériences ont un grand intérêt pédagogique et académique, car elles offrent l’opportunité unique de tester, in silico, des hypothèses de grande envergure spatio-temporelle.

Dès qu’un modèle d’océan est produit, on le compare à toutes les observations disponibles. Celles-ci sont les plus nombreuses en surface, grâce aux mesures par satellite, et dans la partie supérieure de l’océan, parcourue par les flotteurs ARGO qui échantillonnent de manière autonome. Ailleurs, on compare les modèles entre eux, et on examine attentivement les différences entre modèles pour détecter d’éventuelles erreurs dans les programmes afin de les corriger. Une fois que toutes les erreurs possibles sont écartées, on tente d’attribuer les différences entre modèles aux différentes approximations qui ont été faites pour les produire. En l’absence d’observations, on fait l’hypothèse que la moyenne de modèles est plus proche de la réalité que les modèles pris individuellement.

Ces modèles d’océan servent à étudier la dynamique océanique pour comprendre son rôle dans le climat, et décrire l’environnement marin d’un écosystème donné pour interpréter l’évolution des différentes espèces qu’il contient. L’expertise acquise est alors mise au service de décideurs politiques, pour réguler les pêches et délimiter des aires marines protégées par exemple. La modélisation océanique est également indispensable pour prédire le climat futur. En effet, avec seulement un modèle de l’atmosphère, on ne peut prévoir que la météo des prochains jours : l’océan renferme la mémoire du système climatique et détermine les fluctuations d’une année sur l’autre, d’une décennie à l’autre...

L’augmentation des défis que pose le changement climatique pour les conditions de développement des sociétés humaines incite les climatologues à affiner les prévisions du climat futur en réduisant leurs incertitudes. Cela passe par une augmentation de la complexité des modèles d’océan, pour qu’ils fournissent plus d’informations dans les zones côtières, là où l’impact est le plus fort sur les infrastructures et activités humaines. Toutefois, ces informations doivent aussi être les plus fiables possible ; il faut donc augmenter les observations de l’océan, surtout en profondeur où elles sont les moins nombreuses, pour mieux rapprocher les modèles de la réalité.

 

 

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L’auteure : Julie Deshayes, chercheuse CNRS au LOCEAN-IPSL, Sorbonne-Université, CNRS, MNHN, IRD

Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan

Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.

Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…

Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.  

L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.

Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.

- Plus d’informations sur le site de l’Institut de l’Océan

 

 

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Science et Environnement
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Sciences marines : Observation et connaissance des océans Alliance Sorbonne Université